Dossier #1 : La Casa de Papel

Partie 3 : Des personnages impétueux (Berlin, Palerme, Helsinki, Oslo)

Il est temps de s’attaquer à un gros morceau. Berlin est un des personnages les plus controversés de la série. Adoré par les uns, détesté par les autres, le comportement du personnage est mystérieux et peut être interprété de bien des manières. On va essayer de déchiffrer l’attitude étonnante de Berlin, mais aussi celle de Palerme, tellement influencé par lui, avant de faire la rencontre d’un dénommé Helsinki. Ce chapitre n’a pas pour but d’excuser les agissements de Berlin ou Palerme mais d’essayer de comprendre ces personnages. Il va de soi que j’admire davantage les comédiens qui se cachent derrière. Au reste, La Casa de Papel peut se targuer de faire interagir un panel de personnages très différents, parfois mauvais, mais surtout humains, avec toutes leurs imperfections. C’est ensuite au spectateur de juger si un personnage mérite de l’empathie ou non.

I. Berlin : Le crime en col blanc

El señor Berlin.

J’ai déjà souligné combien les personnages étaient l’ingrédient essentiel au succès de La Casa de Papel. Le documentaire La Casa de Papel : Le Phénomène explique qu’on est amenés à éprouver tellement d’émotion et d’empathie pour eux qu’on peut finir par… « aimer le méchant ». C’est vrai. Non seulement Berlin est mon personnage favori, mais en plus de cela, il est apprécié par énormément de gens. Il est si populaire que les scénaristes se sont mordus les doigts de l’avoir tué dès la Partie 2, et ce même si sa fin est totalement logique, et que la série était bel et bien censée se terminer, avant son rachat par Netflix. C’est sans doute pourquoi Berlin réapparaît dans les parties 3 et 4, par le biais d’analepses.

Pourtant, Berlin a failli ne jamais exister. Pourquoi ? Parce que c’est un personnage trop extrême. On le jugeait « méprisable » et « hors du temps », notamment parce qu’il est misogyne. Un tel personnage pouvait-il délibérément passer à l’écran, au XXIème siècle ? Le créateur de la série, Álex Pina, a finalement permis à Berlin d’exister. Comme cela est dit dans le documentaire, « le public décidera librement ce qu’il doit en penser ». Quant à comprendre pourquoi un « méchant » est si apprécié… Et bien, je vais essayer de trouver des réponses, sans me lancer dans un débat sur l’aspect cathartique de l’art, ni défendre aveuglément l’impardonnable.

Dès le début de l’aventure, Tokyo nous donne tout de suite la couleur avec une métaphore bien huilée : « C’est comme un requin dans une piscine, tu peux te baigner avec mais t’auras jamais l’esprit tranquille. » Malgré ses apparentes bonnes manières, Berlin est un homme dangereux. Alors que le Professeur est le théoricien du crime, il en est le praticien. Il pourrait faire penser à un de ces affranchis dépeints par Martin Scorsese, et pourtant, un je ne sais quoi le rend très différent et atypique. C’est pourquoi j’avais demandé à son interprète, Pedro Alonso, de quoi il s’était inspiré pour incarner Berlin, lorsque je l’avais rencontré à Paris, fin 2019. Voilà ce qu’il m’avait répondu :

« Alors, il nous explique qu’il a établi une connexion profonde avec son personnage, et que celle-ci est née à Mexico. (C’est… au Mexique). Il nous a expliqué que la spiritualité est quelque chose d’important pour lui et que cela a donc influencé sa façon d’incarner Berlin. Il voit vraiment le braqueur comme un chaman, de par sa manière d’influencer les autres ou même d’esquisser certaines danses. D’ailleurs, pour l’anecdote, Mexico est considérée comme la Berlin de l’Amérique latine ! Certes, il n’a pas choisi le pseudonyme de Berlin, mais il ne le regrette donc pas, d’autant plus qu’il a de l’affection pour la capitale de l’Allemagne. »

Voilà donc l’élément, plus exotique, dont on a besoin pour expliquer Berlin. C’est probablement pour cela qu’il paraît si énigmatique et persuasif, au point de demander aux braqueurs, dont il est le capitaine, de se donner les mains, pour méditer, après avoir délibérément expulsé Tokyo de l’établissement. A ce moment-là, Rio n’hésite pas à le traiter de « leader de secte ». Au reste, on constate, à plusieurs moments de la série, que Berlin ne s’émeut pas du malheur des autres, voire qu’il en tire du plaisir. C’est pourquoi il est prêt à éliminer un otage qui aurait désobéi. C’est pourquoi il fait d’Arturito son souffre-douleur attitré. (Tu vas me dire, qui n’a pas envie de faire d’Arturito son souffre-douleur ?) Berlin impressionne, mais certains personnages n’hésitent pas à le remettre à sa place, à commencer par Nairobi qui se plaît à dire qu’il n’a « rien d’un être humain » ou qu’il a un « bâton dans le cul. » Ah, sacrée Nairobi. Il est vrai que la bande n’a pas le capitaine le plus compréhensif qui soit. D’ailleurs, Berlin aime souligner que son commandement n’est pas une « démocratie » mais bel et bien un « patriarcat ». Il se montre particulièrement misogyne à l’égard des dames de l’équipe, mais c’est sans doute avec Ariadna, une otage, qu’il commet l’intolérable. La jeune femme se sent forcée de sortir et de coucher avec lui, pour espérer rester en vie. Elle confie à Monica qu’il la viole, qu’il la « dégoûte » et que, paradoxalement, il est « persuadé » qu’elle l’aime. Alors qu’on aurait pu imaginer que Berlin prend du plaisir à dominer et à asservir une femme sans défense, il semblerait qu’il soit persuadé qu’ils forment un vrai couple. Attention, je ne cherche pas à l’excuser. Cela reste un viol puisque Ariadna n’est pas consentante. Quant à Berlin, rappelons que c’est un psychopathe. Même s’il est capable de ressentir des émotions, il est incapable d’éprouver de l’empathie pour les autres. Il ne peut donc pas comprendre ce que les autres ressentent. Il est plausible que Berlin ait réellement cru qu’Ariadna était amoureuse de lui.

La relation entre les deux hommes se révèle peu à peu.

Ce qui est étonnant, c’est que Berlin semble avoir conscience de son trouble et même en être chagriné. Quand il croit avoir fait exécuter Monica, et après l’avoir appris au Professeur par téléphone, Berlin confie aux otages qu’il aurait aimé être capable d’éprouver du chagrin, comme le Professeur. C’est à ce moment précis que j’ai réalisé combien le personnage était complexe, ambigu et difficile à cerner. Quand on croit avoir compris ses réactions et agissements, on réalise qu’ils peuvent être interprétés d’une autre manière. C’est d’autant plus troublant que le personnage a conscience de ce qu’il est et peut être un parfait comédien ou provocateur. A quel moment joue-t-il ? A quel moment est-il lui-même ? Une des composantes essentielles du personnage est le fait qu’il soit malade. Berlin souffre de la myopathie de Helmer, une maladie dégénérative inventée pour la série, mais qui s’inspire des réelles myopathies. Parcouru de douleurs et de tremblements, Berlin suit un traitement pour aller mieux. Néanmoins, la maladie est incurable et il ne lui reste que quelques mois ou années à vivre. Tu sais de qui est inspiré Berlin ? De Walter White, dans Breaking Bad. Celui qu’on surnomme Heisenberg est atteint d’un cancer en phase terminale, ce qui le pousse dans le monde du crime, et à devenir de plus en plus monstrueux. Certes, Berlin était déjà un criminel avant de tomber malade, mais il n’a maintenant plus rien à perdre et il se délecte de chaque instant comme du dernier. Ce qui est intéressant à noter c’est que, à la base, tous les personnages devaient être malades et mourants. Le Professeur aurait dû former une équipe de personnes n’ayant rien à perdre. Berlin peut faire référence à un autre personnage. C’est à prendre avec des pincettes car ce n’est pas vérifiable. Lorsqu’il est seul avec Ariadna, il commence à danser avec elle, sur la musique « Por una Cabeza ». Cette scène m’a fait penser au tango du film Le temps d’un week-end (1992), avec Al Pacino, lui-même remake du film italien Parfum de femme (1974). Dans Le temps d’un week-end, Al Pacino incarne un ancien militaire aveugle et acariâtre, qui veut vivre avec intensité un dernier week-end, avant de se suicider. Alors que le personnage paraît détestable au début, on finit par éprouver de l’empathie pour lui. C’est un homme condamné, ayant tout perdu, mais qui veut mordre à pleines dents les derniers instants. Cela te rappelle quelqu’un, n’est-ce pas ? Ce qui rend Berlin un peu plus humain, c’est aussi sa relation très équivoque avec le Professeur. Non seulement Sergio a confiance en lui, mais Berlin se montre relativement protecteur à son égard. Il faut attendre le dernier épisode de la partie 2 pour avoir la confirmation que les deux hommes sont frères, ou du moins demi-frères. La fin de cette partie 2 est ponctuée par le sacrifice de Berlin, qui accède a une forme de rédemption. Nairobi elle-même refuse de le voir rester sur place, pour leur permettre de gagner du temps. Mais après avoir vécu comme un « sale con », Berlin souhaite « mourir avec dignité ». peu avant d’être criblé de balles, sur un fond de Bella Ciao. Les derniers mots qu’il adresse au Professeur sont « Je t’aime très fort, frangin, ne l’oublie pas ».

Andrés s’est pris d’affection pour Florence.

Ainsi aurait dû disparaître Berlin. Mais c’était sans compter sur sa popularité. Les créateurs de la série ont décidé de le faire revenir, dans les parties suivantes, par le biais de flash-back. La troisième partie peut surprendre car, quelques années plus tôt, Andrés semble un homme assez différent. Il a tout d’un dandy et d’un gentleman. Était-il très différent en dehors du braquage où il était obsédé par le plan, ou est-il idéalisé dans les souvenirs de son petit-frère ? Dans ces analepses, Berlin est présenté comme un esthète, véritablement amoureux de la beauté et de l’art. Pour lui, la vie est « l’art de cultiver la beauté ». Il compare ses braquages à des œuvres d’art, c’est pourquoi il souhaite continuer à travailler, même malade. On s’aperçoit d’ailleurs que Berlin sait dessiner, lorsqu’il reproduit Denver et Moscou. Or, ce dessin a vraiment été réalisé par Pedro Alonso et se trouve sur sa page instagram. Par dessus-tout, il tente d’inculquer sa philosophie de vie à son petit-frère, en lui expliquant qu’il existe des risques et qu’il ne pourra jamais tout contrôler. En bon épicurien, Berlin semble profondément attristé que Sergio ne profite pas davantage de la vie. Sans doute aurait-il été soulagé d’apprendre, avant de mourir, que le Professeur avait su trouver l’amour. Le début de la partie 4 continue à idéaliser le personnage, ou du moins à le montrer sous un autre jour. Elle nous permet d’assister au (cinquième) mariage de Berlin, où celui-ci est entouré de son frère et de ses amis : Bogota, Marseille et un certain Palerme. C’est pendant ce mariage qu’Andrés montre de nouveau sa folie des grandeurs, en chantant Ti Amo, avec un chœur monastique. Il serait faux de dire que la chanson Ti Amo est posée là, de manière aléatoire et gratuite. Si tu tends bien l’oreille, tu t’aperçois qu’elle est déjà apparue, dès le début de la partie 4. Lorsque le Professeur croit que Lisbonne est morte, son ouïe est brouillée. Parmi les sons parasites, on peut distinguer la voix de son frère. La chanson Ti Amo évoque de la nostalgie au Professeur qui peine à se remettre de la mort de son frère, et de celle de son amante. Et pourtant, Andrés avait tenté de le prévenir que la perte et la trahison faisaient partie de l’amour, au cours de ce même mariage.

On aurait pu craindre que les parties 3 et 4 idéalisent le personnage, afin de faire oublier ses crimes et de le rendre plus plaisant. Cependant, les épisodes suivants proposent un retour brutal à la réalité. Mécontent de traiter un homme en surpoids d’orang-outang qui devrait se passer de cacahuètes, Berlin finit par le suivre dans les toilettes, afin de lui planter une fourchette dans les parties génitales. Pourquoi Andrés massacre-t-il cet homme ? Parce qu’il s’est simplement moqué de son nœud papillon ? Parce qu’il s’est moqué de sa proximité avec Palerme ? Ou parce que, juste avant, Sergio a osé lui ouvrir les yeux sur les sentiments de Palerme, ou l’aspect bancal du plan qu’ils concevaient ensemble ? Comme toujours, il est difficile de trancher. Cela nous amène à aborder un dernier point. On sait que Palerme aime Berlin de manière démesurée. Mais qu’éprouve celui-ci, en retour ? Berlin se montre assez brutal à l’égard de son vieil ami : « Tu penseras à moi, mais moi je ne penserai pas à toi », dit-il peu avant de le quitter pour toujours. Palerme semble brisé, mais rappelons que Berlin est incapable d’éprouver de l’empathie pour les autres. Alors pourquoi donner de faux espoirs en soulignant qu’ils étaient des « âmes sœurs » et en lui offrant des baisers érotiques ? On peut imaginer qu’il voulait tester si les dires du Professeur étaient vrais. On peut imaginer qu’il ressent quelque chose pour Palerme mais qu’il ne veut ou ne peut pas franchir le pas. On peut imaginer qu’il est sincère quand il confie : « Je donnerais tout ce que j’ai pour ressentir la même chose mais c’est impossible. » D’ailleurs, réagirait-il de la même manière s’il n’était pas condamné ? Une fois encore, le spectateur peut imaginer tout et son contraire avec Berlin, ce qui rend le personnage si énigmatique. Une chose est probable, en disant : « Parfois, la distance est le seul moyen de retrouver la paix », avant de tourner les talons, Berlin fait à la fois ses adieux avec Palerme, la série et le spectateur…

II. Palerme : Boum Boum Ciao

Un borgne parfois incontrôlable. Comme un air de famille avec le Gouverneur (The Walking Dead).

Boum Boum Ciao. Ces trois mots stupides ont presque le même rythme que Bella Ciao. Ces trois mots stupides soulignent que Palerme tend à être une parodie de Berlin. Ces trois mots stupides en disent très long sur le personnage, d’autant plus qu’ils prennent une nouvelle signification au fur et à mesure que défilent les épisodes.

Quand on rencontre Palerme, le nouveau capitaine de la bande, on peut craindre qu’il s’agisse d’une pâle copie de Berlin. Or, loin d’être de la paresse scénaristique, cette ressemblance est la clé de lecture du personnage. Palerme, incarné par le brillant Rodrigo de la Serna, essaie désespérément de ressembler à Berlin, au point d’en devenir la caricature. Pourquoi cette quête vaine et désespérée ? Pourquoi est-il finalement assez différent ?

La première fois que Palerme présente sa théorie Boum Boum Ciao, c’est pour expliquer que les femmes ont des rapports sexuels afin de procréer, à l’inverse des hommes qui font cela par besoin et plaisir, avant de se quitter. C’est pourquoi Nairobi dit, à juste titre : « t’es pas homo, t’es misogyne ». Palerme ne se conduit pas de façon très tendre avec Helsinki, dont il accepte les faveurs, tout en passant son temps à le rabaisser. Il n’est pas plus aimable avec le Professeur ou les autres membres de l’équipe. Palerme montre des excès de fureur aussi inattendus que déroutants. Pis encore, il n’hésite pas à trahir la bande, lorsqu’il ne peut plus en être le chef. D’après Tokyo, « il avait été un bon capitaine mais il n’était pas fait pour jouer en équipe ». Palerme décide donc de les abandonner, avec une mallette emplie de madeleines et des explosifs laissés dans son sillage. Le Boum Boum Ciao prend une autre ampleur lorsque Helsinki attrape un explosif dans chaque main. Il n’est pas prêt à laisser Palerme partir. C’est d’ailleurs grâce à sa tendresse qu’il parvient à le raisonner. Après cela, il est impossible de faire confiance à Palerme, qui est enchaîné auprès de Gandia. Ce coup d’état n’est pas sans rappeler celui qui avait été organisé à l’encontre de Berlin. Mais alors que celui-ci avait attendu son heure pour reprendre les rênes, Palerme se montre aussi capricieux que dangereux. Conscient que « le véritable chaos déferle dans le silence », c’est lui qui suggère à Gandia de se libérer. Comme l’avait deviné le Professeur, Palerme est un homme imprévisible et obsédé par le pouvoir. D’une certaine façon, la série propose un capitaine encore plus antipathique. Comment peut-on espérer éprouver de l’empathie pour lui, d’autant que l’évasion de Gandia aura des conséquences terribles ? La série commet un nouveau tour de force en déconstruisant peu à peu Palerme, comme elle a pu le faire avec d’autres personnages.

Palerme est incarné par Rodrigo de la Serna.

Palerme aimait Berlin de manière démesurée, si bien qu’il a été anéanti par la séparation, puis par la mort de ce dernier. S’il ressemble parfois à Berlin, c’est parce qu’ils étaient des amis de très longue date et parce que, sans doute, il souhaite combler un vide affectif. Ne dit-il pas à Gandia, tout en le tabassant, qu’il a été à l’école « allemande de Berlin » ? Il s’inspire aussi de Berlin en tentant de passer pour un être inhumain, qui ne se soucie pas des sentiments des autres. Le dialogue avec Nairobi est un chef d’œuvre : « Pourquoi tu cours après cet impossible amour ? » lui demande-t-il, car elle aime Helsinki. « L’être aimé se limite à être l’idole de l’autre », ajoute-t-il, faisant sans doute référence à Berlin. Mais Nairobi n’est pas dupe et rétorque qu’elle est plus courageuse que lui. Lui, est juste « vide à l’intérieur ». En effet, en perdant Berlin, Palerme a perdu sa raison de vivre et toutes les caricatures du monde ne sauront le remplacer. Alors qu’il se plaît à dire Boum Boum Ciao aux autres, Palerme fut le premier à en faire les frais. La scène de rupture avec Berlin, dans le dernier épisode de la partie 4, est réellement déchirante. Plus tard, il révèle à Helsinki que c’est une douleur dont il ne se remettra jamais. Cette douleur, mécontente de lui avoir retiré tout goût à la vie, a fait de lui une « merde » et un « monstre ». Palerme a conscience de son pathétisme. C’est pourquoi il semble si ébranlé par la mort de Nairobi, dont il est indirectement responsable. Aussi étonnant que cela puisse sembler, Helsinki semble prêt à le lui pardonner. « Je sais qui tu es », dit Helsinki, qui a probablement vu clair dans le jeu presque adolescent de Palerme. Ce n’est qu’en acceptant de s’ouvrir à Helsinki, en oubliant Berlin, que Palerme parviendra à guérir.

III. Oslo et Helsinki : Les deux Serbes

Oslo donnait vraiment envie d’être connu.

Oslo et Helsinki faisaient partie de la première équipe de braqueurs. Tokyo les présente tout d’abord comme deux brutes épaisses qui se contentent d’obéir aux ordres : « Ils ont peut-être un cerveau mais franchement on ne le saura jamais. » Force est de constater que cette impression est renforcée par le fait que les deux cousins soient peu loquaces. Il faut dire qu’ils sont serbes et ne maîtrisent pas totalement l’espagnol. Il y a – hélas – peu de choses à dire sur Oslo, incarné par Roberto Garcia. Celui-ci est rapidement neutralisé par les otages, au point que nous n’ayons pas eu le temps de le connaître. Du moins sa disparition permet-elle de développer Helsinki, qui a dû l’achever dans une scène émouvante.

Helsinki, incarné par Darko Perić, commet des erreurs. Pour commencer, il n’a pas détruit la voiture comme le Professeur le lui avait demandé. Ensuite, il est vrai qu’il obéit aveuglément aux ordres, et peut parfois perdre son sang-froid. C’est le cas lorsqu’il accroche une ceinture d’explosifs à Arturito. Helsinki a un énorme ours tatoué sur l’abdomen, ce qui a en dit long sur son aspect bourru… A moins qu’il ne s’agisse de sa tendresse.

Tu as déjà vu un sourire plus heureux ?

Ce n’est pas un hasard si Nairobi se prend tellement d’affection pour lui, au point de l’adorer, en dépit de son homosexualité. Elle perçoit le bon fond d’Helsinki, cet homme à l’harmonica, qui est plus affecté par le rejet de Palerme qu’il ne veut bien le montrer. Je profite de parler d’Helsinki et de Palerme pour souligner combien il est satisfaisant que la série propose des personnages LGBT en s’attardant sur leurs relations, ni plus ni moins que sur les autres relations. Helsinki et Palerme, pour ne citer qu’eux, sont des personnages à part entière, bons ou mauvais, et indépendamment de leur sexualité. Il paraît évident que Helsinki a beaucoup d’affection pour Palerme, ce qui ne l’empêche pas de lui tenir tête lorsqu’il dépasse les bornes. Alors que Palerme, masculiniste, se croyait tout-puissant, le rapport de force finit par s’inverser au point que Helsinki parvienne à le raisonner et à l’inciter à s’ouvrir à lui. Et tout cela, avec de la bienveillance.

Introduction

Partie 1

Partie 2

Partie 3

Partie 4

Partie 5

Bilan

16 réflexions au sujet de « Dossier #1 : La Casa de Papel »

  1. Ton article m’en aura beaucoup appris sur la série, que ce soit le nom prévu de base, le fait que tous les personnages auraient dû être mourants (une excellente idée, soulignée par le générique qui prend tout son sens !) ou encore des détails comme les noms de planètes. C’est fascinant de voir les idées de départ avec ce que la série est devenue. Certes, c’est une série qui accumule incohérences ou choses trop grosses pour être crédibles, mais ça fait aussi partie de son charme, de son excentricité. Autant que son coeur, qui correspond aux personnages. On s’attache à eux bien plus que dans d’autres séries, et tu as bien raison de faire ton hors-série (nom bien trouvé pour ce nouveau format !) en passant par leur regard.

    Tu analyses finement les utilités du masque de Dali, des couleurs et de l’hymen de la série. Ils font bien partie de son identité propre tout en s’étant ensuite fait approprier par les fans ou par des mouvements populaires, comme avec le masque de V pour Vendetta avant lui. C’est une façon de montrer à quel point la fiction peut être particulièrement puissante jusqu’à inspirer la réalité. Les passages de Josepha Rouxel y apportent un éclairage supplémentaire riche sur le choix de Dali, merci !

    Tu m’apprends aussi beaucoup de choses sur les personnages, notamment Tokyo avec l’inspiration de Mathilda Lando, ou argument supplémentaire avec son caractère très fort, à ce qu’elle soit la narratrice. Il est vrai qu’elle a beaucoup de coeur qui contribue à équilibrer la série. J’aime beaucoup la comparaison du professeur avec Don Quichotte et son acolyte Sancho/Marseille, que je n’avais pas vraiment remarquée. Mais c’est vrai que le prof a le don de se retrouver dans les pires situations absurdes, pour un personnage extrêmement réservé. C’est d’ailleurs un plaisir (comme pour Berlin ou Palerme) de voir ce type de protagoniste avec une place aussi importante dans une série. Ça permet à bien des gens discrets de s’identifier à lui et ça change. Et le clin d’oeil avec les lunettes, pour Superman… Je ne suis pas spécialement fan de Rachel, mais elle est aussi un beau portrait de personnage complexe, qui évolue avec justesse. Quant à Alicia, elle a beau se rattraper un peu vers la fin, je la trouve toujours aussi détestable, haha. Même si elle a subi des choses difficiles, je la trouve terriblement insensible, égocentrique et vulgaire, ce qui n’aide pas à l’apprécier. J’ignorais totalement que c’était elle qui interprétait le générique de la dernière partie, cela a un côté très glaçant et désabusé, de mauvais augure pour la suite.

    Tu abordes bien les personnages controversés. Je suis toujours étonnée de cet aspect chaman qui fait partie du personnage, même si cela explique plusieurs de ses comportements. On peut aussi supposer qu’il a espéré que ce genre de connexion mystique l’aide à comprendre les autres… Il est en tout cas l’un des personnages les plus ambigus de toute la série. Et sa rédemption conclut l’arc du personnage en beauté, même si on le redécouvre ensuite avec plaisir dans les flash-back, toujours aussi ambigu, un peu plus humain, moins sinistre en un sens… et qui fend un peu le coeur avec sa dernière scène, avec Palerme, qui est aussi magnifique que triste. La similarité de ce dernier avec le Gouverneur est frappante, d’ailleurs. Deux hommes qui sont assez détruits intérieurement et prêts à tout pour que ça aille dans leur sens, quitte à semer le chaos et la mort. Heureusement que le retournement qu’il subit avec Nairobi commence à le rendre sympathique, et plus humain, là aussi. La série a l’art de retourner les personnages pour mieux les faire découvrir.

    La présence de Manille est brève, mais bien exploitée, même si elle ne fait pas énormément avancer l’intrigue. Les créateurs ont réussi à faire passer bien des messages par les femmes, féministes ou LGBT, et c’est vraiment plaisant, d’autant que l’Espagne est effectivement en avance sur ces points sociétaux, notamment par rapport à la France. Je ne me rappelais pas que la scène des regards entre Nairobi, Moscou, Berlin et Oslo avait déjà été utilisée auparavant, mais elle est déchirante. Bogota sera peut-être encore plus développé par la suite, comme Marseille a commencé à l’être, mais je n’ai pas beaucoup d’affection pour lui. Sa relation avec Nairobi était en effet un peu artificielle, mais tu décris très bien son évolution.

    C’est au moment du Bella Ciao de Moscou que j’ai vraiment commencé à apprécier la série. Comme tu le dis bien, c’est là qu’on sent l’unité de la bande, qu’on sent leur coeur et leur complicité. Le début d’une famille qui perdure. Moscou manque, décidément. Un Davos dans l’âme ! Stockholm est aussi un des personnages qui a l’une des plus belles évolutions et qui grandit le plus, acquérant maturité et assurance. Elle apporte âme et coeur à l’équipe également. Et je partage entièrement ta vision d’Arturito en miroir de la mesquinerie de chacun. On ne déteste pas les personnages sans raison. Et tu as décrit avec richesse chacun des protagonistes de la série, qu’on les aime ou qu’on les déteste, mais ils sont surtout très humains.

    Je ne peux que te féliciter encore pour ce superbe article, riche et passionnant à tous égards. J’en ai appris pas mal, et je suis toujours contente de lire d’aussi intelligentes analystes des personnages, de ce qu’ils représentent ou des enjeux qu’ils portent avec eux. Aucun doute sur ton amour de la série !

    Et un bravo à Mystic Falco pour ces superbes miniatures qui accompagnent le texte ! C’est très bien trouvé, et beau simplement.

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    1. Je suis contente que le dossier soit effectivement instructif. Je tenais à rappeler que le but premier de la série n’est pas la vraisemblance, même s’il y a quand même certains efforts de faits. Le problème est que la surenchère rend ces incohérences de plus en plus visibles, et que ça déchaîne de plus en plus les passions. Enfin, plus une série avance et est populaire, plus ça devient facile de taper dessus. Oui, la série est forte car elle s’inspire d’un mouvement, avant d’en créer un elle-même, même s’il est plus pop culturel qu’autre chose. Quant aux personnages, on les aime ou non, mais je tenais à souligner qu’ils ont tous une fonction bien précise. J’ai aussi entendu dire que l’Argentine avait la réputation d’être sexiste, ce qui expliquerait le comportement de Palerme. Il est peut-être plus utile de montrer des hommes sexistes remis à leur place, plutôt que de faire comme s’ils n’existaient pas. En tout cas, merci pour ton retour !

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  2. Super article, c’est complet! Voila un article qui en vaut 5/6 en quantité et qualité!
    La mallette de Marcellus Wallace aha? J’avoue que le nom des villes est plus intéressant que celui des planètes, rien que pour le surnom Stockholm!

    1) Je te rejoins pour Tokyo, ses folies m’exaspèrent mais sans ce personnage explosif, il manquerait clairement un truc! Est-ce que Rio et elle se remettront ensemble? Un vrai mystère!

    2) Bien vu pour Don Quichotte et le Professeur! Marseille est un sacré écuyer! Le plan des moulins, je l’avais pas vu! Tu penses que Bogota l’a tué? Je pense qu’il est prisonnier (mais s’est mangé une bonne raclée, non?)
    Après je ne vois pas d’interet à le garder en effet!
    Belle évolution de Lisbonne, surtout le doute, c’est pas simple de faire face à ses anciens collègues!

    3) Palerme imite Berlin comme un romantique transi! Je ne sais pas si tu connais le jeu Baten Kaitos mais l’Empereur Geldoblame devient la pale imitation d’un homme qu’il aimait dans Baten Kaitos Origin! Y’a vraiment un excellent parallèle vidéoludique!
    Penses-tu que Berlin aurait pu être différent s’il n’était pas « au bord de la mort »?

    4) Bogota est vraiment une bonne découverte pour moi! Je me demande comment il va faire le deuil et comment il va évoluer!

    5) Arturito montre aussi que les otages ne sont pas forcément innocents (ou que les violeurs ne viennent pas forcément des menaces que l’on pense)! Après côté acteur, tu devrais voir celui qui jouait Joffrey dans Game of Thrones, il a subi de très nombreuses menaces! Alors que l’on devrait remercier ces acteurs qui créent tant d’émotions!

    Beau boulot encore une fois!

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    1. Tout d’abord, merci d’avoir pris le temps de lire et de commenter un article aussi long. Je suis assez d’accord avec toi, les noms de villes sont plus aguicheurs. Et je t’avoue que je ne m’intéresse pas trop au couple Tokyo/Rio, ahah. J’aurais l’impression que Rio régresse s’il se remet avec elle. Toutefois, on peut espérer que Tokyo gagne en maturité et qu’ils trouvent un équilibre. Je me suis permis d’éditer la phrase de mon dossier qui parle du sort de Gandia. C’est vrai que c’est assez incertain. Je pensais qu’il était mort car plusieurs personnes ont parlé de l’éliminer, comme le Prof et Bogota. Mais c’est vrai que ce n’est pas « montré ». Je suis heureuse de rencontrer quelqu’un qui comprend à ce point Palerme, et d’ailleurs, merci pour la comparaison. Je pense que Berlin a toujours eu ce caractère qui le mène vers les extrémités de mal ou de bien. Toutefois, être mourant rend ces extrémités encore plus énormes. Serait-il aussi impitoyable sans cela ? Ce serait-il sacrifié s’il était en bonne santé ? C’est difficile à dire. Peut-être ne peut-il pas envisager de rester avec Palerme parce qu’il sait qu’il n’y a aucun avenir, d’ailleurs. Oui, c’est vrai que certains acteurs de GOT ont également été harcelés… Encore merci !!!

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  3. Eh bien eh bien… Si nous ne sommes pas là sur un article aussi grandiose, qu’il est complet, je ne sais pas ce que l’on a !
    Tu as su, avec brio, analyser tous ces personnages, tout en incluant tes avis personnels au sujet de ces personnages. Rajoute à ça, que tu nous apprend des tas de choses sur la série… Jamais on ne pourra faire un article aussi complet que le tiens, ça c’est clair.

    Il est très rare que j’ai envie de me refaire une série, rien qu’en lisant un article sur celle-ci, mais là, je dois l’avouer, tu fais fort. Toutes tes analyses sont écrit avec une justesse assez dingue, sans oublier le cheminement logique que tu as donné à la construction de cette article.

    En deux mots ;
    ¡ Felicidades Hermana !

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  4. Ça c’est du travail de titan ! Ne me dit pas que tu l’as abattu en seulement une semaine quand même ? Ce serait inhumain !

    Forcément, il y aurait beaucoup de choses sur lesquelles rebondir (preuve aussi que tu as bien fait ton job !) mais je note particulièrement ta comparaison à Don Quichotte. J’avais noté la référence, mais sans chercher à l’analyser, et j’avoue que j’aime beaucoup ce que tu en déduis. Pour être honnête, la croisade révolutionnaire du Professeur et du reste de l’équipe me semble être problématique. On en parle depuis la première saison, mais sans jamais vraiment développer contre et pour quoi ils se battent vraiment. J’ai vraiment le sentiment que c’est utilisé comme un prétexte, autant pour les personnages que pour les spectateurs, histoire de les dépeindre comme des bons gars. Forcément, je ne m’attends pas à ce qu’une telle série soit politique, mais quand on entame un discours, c’est toujours dommage de voir que ça ne va pas plus loin que la surface. Du coup je suis content de voir que les auteurs eux-mêmes aient l’air conscient de cet état de fait, même s’ils ne le disent qu’implicitement !

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    1. Et si, je l’ai abattu en très peu de temps ! (Plus si je compte le rewatch de la série, avec prises de notes comprises). Mais c’est vrai que ce furent quelques jours intensifs en terme de planification et de rédaction, ahah. Après, mon analyse de la référence à Don Quichotte reste une interprétation dont on est partisan ou non ! J’ai beau adorer la série, je suis pleinement consciente de ses défauts et l’aspect politique en fait partie. La partie 4 en particulier, veut aborder de nombreuses luttes à la fois, au risque de seulement les effleurer. Il est vrai qu’il est rassurant que les auteurs aient conscience du caractère idéaliste et peu fiable du Professeur, mais l’admettre, sans chercher à rectifier ne serait-ce qu’un peu le problème, peut aussi être problématique ahah. Mais bon, même si je suis la première à dire que LCDP a beaucoup plus de profondeurs qu’on veut l’admettre (comme en témoigne ce dossier), la série reste plus là pour nous divertir que pour être crédible ou politique.

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