Dossier #1 : La Casa de Papel

C’est en mai 2017 que La Casa de Papel commence à être diffusée sur la chaîne espagnole Antena 3. La série, qui aurait pu s’appeler « Les expulsés » n’obtient pas le succès escompté. C’est en arrivant dans le répertoire de Netflix, avec un découpage différent, qu’elle rencontre son public, au point de devenir la production Netflix la plus regardée de l’histoire dans de nombreux pays.

Dans cet article très particulier, j’aimerais décrypter une série qui est devenue très importante pour moi. Il va de soi que le dossier comporte des spoilers, y compris sur la quatrième partie, sortie le 3 avril dernier.

La Casa de Papel met en scène une bande de voleurs qui décide de s’infiltrer dans la Fabrique Nationale de la Monnaie et du Timbre. Quand j’ai découvert cette série, elle m’a immédiatement fait penser à du Tarantino. Si dans Reservoir Dogs (1992), les voleurs portent des noms de couleurs, les braqueurs espagnols portent des noms de villes. (Ils ont d’ailleurs failli porter des noms de planètes). On pourrait considérer que les références à l’univers de Quentin Tarantino ne s’arrêtent pas là. La série mise beaucoup sur son ambiance de huis-clos, ainsi que sur le caractère excentrique de ses personnages et de ses dialogues. D’ailleurs, Nairobi rappelle qu’ils ne se trouvent pas dans un « film de Tarantino » quand ils commencent à dégainer leur arme les uns contre les autres, dans les toilettes. Les scénaristes de La Casa de Papel ont l’art d’écrire des échanges aussi triviaux que révélateurs du tempérament des personnages. (Tu te souviens quand Moscou et Berlin se disputent à propos de particules de caca ?). Je pourrais pousser le vice jusqu’à imaginer que la mallette noire de Palerme, dans la partie 4, est un clin d’œil à la mystérieuse mallette de Pulp Fiction (1994). On ne sait toujours pas ce qui se trouve dans celle-ci, ce qui a entraîné de nombreuses théories au fil des années. Quand Palerme tente de s’enfuir, il prétend embarquer des documents confidentiels, avant qu’on ne se rende compte qu’elle était farcie de… madeleines.

« On est pas dans un film de Tarantino ! »

Tu l’auras compris, La Casa de Papel est un thriller mais il serait malvenu de croire que la série se prend au sérieux. Elle a toujours possédé un je ne sais quoi de fantaisiste et outrancier, au risque de basculer dans la surenchère de partie en partie. Alors que le Professeur présentait le premier plan comme presque impossible, le deuxième est réputé infaisable, tandis que le Plan Paris est ni plus ni moins qualifié de « pure folie ». Si, la plupart du temps, l’exécution est bien menée, force est de constater que la série est de plus en plus décriée pour ses invraisemblances. La Casa de Papel est de ces récits qui font appel à la suspension consentie de l’incrédulité. Notons qu’il serait malhonnête de dire que les créateurs ne font aucun effort en terme de réalisme. Par exemple, la Banque d’Espagne comporte vraiment un coffre sous-terrain et inondable, en cas d’intrusion. Les scénaristes de la série ont d’ailleurs fait appel à des ingénieurs pour imaginer un moyen d’intrusion qui pourrait fonctionner. Tu as sans doute compris que je suis très bienveillante vis-à-vis de la série. Malgré tout, je comprends qu’on puisse ne pas tolérer ses incohérences. C’est pourquoi je peux te conseiller les avis et analyses de Captain Popcorn, qui est plus objectif sur le sujet.

Quand on parle d’excessivité, on peut aussi penser aux réactions de certains personnages. Cela pourrait toutefois être expliqué par cette ambiance très particulière de huis-clos. Braqueurs et otages sont confinés au même endroit, pendant des jours. Ils ne mangent pas à leur faim et dorment à peine. Au cours des deux premières parties, Tokyo rappelle à plusieurs reprises combien le manque de sommeil peut provoquer un « cour-circuit cérébral », sans compter que la bande de braqueurs, en plus d’être composée de caractères atypiques, fait fasse à une pression énorme.

La première bande au complet.

La Casa de Papel est un cocktail composé d’éléments assez détonants, mais le public a surtout été charmé, à mon sens, par les personnages. Le documentaire La Casa de Papel : Le Phénomène souligne que la série est devenue plus qu’un divertissement, car les gens ont tissé avec elle un « lien philosophique ». Ils ont appris à connaître les personnages, à s’identifier à l’un ou à l’autre et, par dessus-tout, à les aimer.

C’est pourquoi la structure de mon analyse se fera sous le prisme des personnages. Je parlerai, dans un premier temps, du masque de Dali, de Tokyo et Rio, afin de m’attarder sur l’ADN de la série, qu’il s’agisse de l’iconographie, de sa narration ou des ingrédients les plus essentiels. Nous rendrons ensuite visite au Professeur et à Marseille, mais aussi à Lisbonne et à cette chère Alicia Sierra, pour évoquer le jeu du chat et de la souris. Notre prochaine destination sera Berlin, puis Palerme, sans oublier Helsinki et Oslo, afin de décrypter l’ambiguïté des caractères et relations de ces personnages. Nous irons ensuite saluer Manille, Nairobi et Bogota, pour effleurer la question de la représentation d’une minorité ou du féminisme, dans la série. La dernière étape du voyage se situera à Moscou, Denver puis Stockholm. Malgré les apparences, La Casa de Papel est avant tout une histoire familiale, et ce même si on se passerait bien d’inviter Arturito au repas de Noël. Je tâcherai, pour conclure, de revenir sur la place de la musique, dans la série, sans oublier d’évoquer les sources qui m’ont aidée à étoffer cette analyse. Vamos !

Introduction

Partie 1

Partie 2

Partie 3

Partie 4

Partie 5

Bilan

15 réflexions au sujet de « Dossier #1 : La Casa de Papel »

  1. Ton article m’en aura beaucoup appris sur la série, que ce soit le nom prévu de base, le fait que tous les personnages auraient dû être mourants (une excellente idée, soulignée par le générique qui prend tout son sens !) ou encore des détails comme les noms de planètes. C’est fascinant de voir les idées de départ avec ce que la série est devenue. Certes, c’est une série qui accumule incohérences ou choses trop grosses pour être crédibles, mais ça fait aussi partie de son charme, de son excentricité. Autant que son coeur, qui correspond aux personnages. On s’attache à eux bien plus que dans d’autres séries, et tu as bien raison de faire ton hors-série (nom bien trouvé pour ce nouveau format !) en passant par leur regard.

    Tu analyses finement les utilités du masque de Dali, des couleurs et de l’hymen de la série. Ils font bien partie de son identité propre tout en s’étant ensuite fait approprier par les fans ou par des mouvements populaires, comme avec le masque de V pour Vendetta avant lui. C’est une façon de montrer à quel point la fiction peut être particulièrement puissante jusqu’à inspirer la réalité. Les passages de Josepha Rouxel y apportent un éclairage supplémentaire riche sur le choix de Dali, merci !

    Tu m’apprends aussi beaucoup de choses sur les personnages, notamment Tokyo avec l’inspiration de Mathilda Lando, ou argument supplémentaire avec son caractère très fort, à ce qu’elle soit la narratrice. Il est vrai qu’elle a beaucoup de coeur qui contribue à équilibrer la série. J’aime beaucoup la comparaison du professeur avec Don Quichotte et son acolyte Sancho/Marseille, que je n’avais pas vraiment remarquée. Mais c’est vrai que le prof a le don de se retrouver dans les pires situations absurdes, pour un personnage extrêmement réservé. C’est d’ailleurs un plaisir (comme pour Berlin ou Palerme) de voir ce type de protagoniste avec une place aussi importante dans une série. Ça permet à bien des gens discrets de s’identifier à lui et ça change. Et le clin d’oeil avec les lunettes, pour Superman… Je ne suis pas spécialement fan de Rachel, mais elle est aussi un beau portrait de personnage complexe, qui évolue avec justesse. Quant à Alicia, elle a beau se rattraper un peu vers la fin, je la trouve toujours aussi détestable, haha. Même si elle a subi des choses difficiles, je la trouve terriblement insensible, égocentrique et vulgaire, ce qui n’aide pas à l’apprécier. J’ignorais totalement que c’était elle qui interprétait le générique de la dernière partie, cela a un côté très glaçant et désabusé, de mauvais augure pour la suite.

    Tu abordes bien les personnages controversés. Je suis toujours étonnée de cet aspect chaman qui fait partie du personnage, même si cela explique plusieurs de ses comportements. On peut aussi supposer qu’il a espéré que ce genre de connexion mystique l’aide à comprendre les autres… Il est en tout cas l’un des personnages les plus ambigus de toute la série. Et sa rédemption conclut l’arc du personnage en beauté, même si on le redécouvre ensuite avec plaisir dans les flash-back, toujours aussi ambigu, un peu plus humain, moins sinistre en un sens… et qui fend un peu le coeur avec sa dernière scène, avec Palerme, qui est aussi magnifique que triste. La similarité de ce dernier avec le Gouverneur est frappante, d’ailleurs. Deux hommes qui sont assez détruits intérieurement et prêts à tout pour que ça aille dans leur sens, quitte à semer le chaos et la mort. Heureusement que le retournement qu’il subit avec Nairobi commence à le rendre sympathique, et plus humain, là aussi. La série a l’art de retourner les personnages pour mieux les faire découvrir.

    La présence de Manille est brève, mais bien exploitée, même si elle ne fait pas énormément avancer l’intrigue. Les créateurs ont réussi à faire passer bien des messages par les femmes, féministes ou LGBT, et c’est vraiment plaisant, d’autant que l’Espagne est effectivement en avance sur ces points sociétaux, notamment par rapport à la France. Je ne me rappelais pas que la scène des regards entre Nairobi, Moscou, Berlin et Oslo avait déjà été utilisée auparavant, mais elle est déchirante. Bogota sera peut-être encore plus développé par la suite, comme Marseille a commencé à l’être, mais je n’ai pas beaucoup d’affection pour lui. Sa relation avec Nairobi était en effet un peu artificielle, mais tu décris très bien son évolution.

    C’est au moment du Bella Ciao de Moscou que j’ai vraiment commencé à apprécier la série. Comme tu le dis bien, c’est là qu’on sent l’unité de la bande, qu’on sent leur coeur et leur complicité. Le début d’une famille qui perdure. Moscou manque, décidément. Un Davos dans l’âme ! Stockholm est aussi un des personnages qui a l’une des plus belles évolutions et qui grandit le plus, acquérant maturité et assurance. Elle apporte âme et coeur à l’équipe également. Et je partage entièrement ta vision d’Arturito en miroir de la mesquinerie de chacun. On ne déteste pas les personnages sans raison. Et tu as décrit avec richesse chacun des protagonistes de la série, qu’on les aime ou qu’on les déteste, mais ils sont surtout très humains.

    Je ne peux que te féliciter encore pour ce superbe article, riche et passionnant à tous égards. J’en ai appris pas mal, et je suis toujours contente de lire d’aussi intelligentes analystes des personnages, de ce qu’ils représentent ou des enjeux qu’ils portent avec eux. Aucun doute sur ton amour de la série !

    Et un bravo à Mystic Falco pour ces superbes miniatures qui accompagnent le texte ! C’est très bien trouvé, et beau simplement.

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    1. Je suis contente que le dossier soit effectivement instructif. Je tenais à rappeler que le but premier de la série n’est pas la vraisemblance, même s’il y a quand même certains efforts de faits. Le problème est que la surenchère rend ces incohérences de plus en plus visibles, et que ça déchaîne de plus en plus les passions. Enfin, plus une série avance et est populaire, plus ça devient facile de taper dessus. Oui, la série est forte car elle s’inspire d’un mouvement, avant d’en créer un elle-même, même s’il est plus pop culturel qu’autre chose. Quant aux personnages, on les aime ou non, mais je tenais à souligner qu’ils ont tous une fonction bien précise. J’ai aussi entendu dire que l’Argentine avait la réputation d’être sexiste, ce qui expliquerait le comportement de Palerme. Il est peut-être plus utile de montrer des hommes sexistes remis à leur place, plutôt que de faire comme s’ils n’existaient pas. En tout cas, merci pour ton retour !

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  2. Super article, c’est complet! Voila un article qui en vaut 5/6 en quantité et qualité!
    La mallette de Marcellus Wallace aha? J’avoue que le nom des villes est plus intéressant que celui des planètes, rien que pour le surnom Stockholm!

    1) Je te rejoins pour Tokyo, ses folies m’exaspèrent mais sans ce personnage explosif, il manquerait clairement un truc! Est-ce que Rio et elle se remettront ensemble? Un vrai mystère!

    2) Bien vu pour Don Quichotte et le Professeur! Marseille est un sacré écuyer! Le plan des moulins, je l’avais pas vu! Tu penses que Bogota l’a tué? Je pense qu’il est prisonnier (mais s’est mangé une bonne raclée, non?)
    Après je ne vois pas d’interet à le garder en effet!
    Belle évolution de Lisbonne, surtout le doute, c’est pas simple de faire face à ses anciens collègues!

    3) Palerme imite Berlin comme un romantique transi! Je ne sais pas si tu connais le jeu Baten Kaitos mais l’Empereur Geldoblame devient la pale imitation d’un homme qu’il aimait dans Baten Kaitos Origin! Y’a vraiment un excellent parallèle vidéoludique!
    Penses-tu que Berlin aurait pu être différent s’il n’était pas « au bord de la mort »?

    4) Bogota est vraiment une bonne découverte pour moi! Je me demande comment il va faire le deuil et comment il va évoluer!

    5) Arturito montre aussi que les otages ne sont pas forcément innocents (ou que les violeurs ne viennent pas forcément des menaces que l’on pense)! Après côté acteur, tu devrais voir celui qui jouait Joffrey dans Game of Thrones, il a subi de très nombreuses menaces! Alors que l’on devrait remercier ces acteurs qui créent tant d’émotions!

    Beau boulot encore une fois!

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    1. Tout d’abord, merci d’avoir pris le temps de lire et de commenter un article aussi long. Je suis assez d’accord avec toi, les noms de villes sont plus aguicheurs. Et je t’avoue que je ne m’intéresse pas trop au couple Tokyo/Rio, ahah. J’aurais l’impression que Rio régresse s’il se remet avec elle. Toutefois, on peut espérer que Tokyo gagne en maturité et qu’ils trouvent un équilibre. Je me suis permis d’éditer la phrase de mon dossier qui parle du sort de Gandia. C’est vrai que c’est assez incertain. Je pensais qu’il était mort car plusieurs personnes ont parlé de l’éliminer, comme le Prof et Bogota. Mais c’est vrai que ce n’est pas « montré ». Je suis heureuse de rencontrer quelqu’un qui comprend à ce point Palerme, et d’ailleurs, merci pour la comparaison. Je pense que Berlin a toujours eu ce caractère qui le mène vers les extrémités de mal ou de bien. Toutefois, être mourant rend ces extrémités encore plus énormes. Serait-il aussi impitoyable sans cela ? Ce serait-il sacrifié s’il était en bonne santé ? C’est difficile à dire. Peut-être ne peut-il pas envisager de rester avec Palerme parce qu’il sait qu’il n’y a aucun avenir, d’ailleurs. Oui, c’est vrai que certains acteurs de GOT ont également été harcelés… Encore merci !!!

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  3. Eh bien eh bien… Si nous ne sommes pas là sur un article aussi grandiose, qu’il est complet, je ne sais pas ce que l’on a !
    Tu as su, avec brio, analyser tous ces personnages, tout en incluant tes avis personnels au sujet de ces personnages. Rajoute à ça, que tu nous apprend des tas de choses sur la série… Jamais on ne pourra faire un article aussi complet que le tiens, ça c’est clair.

    Il est très rare que j’ai envie de me refaire une série, rien qu’en lisant un article sur celle-ci, mais là, je dois l’avouer, tu fais fort. Toutes tes analyses sont écrit avec une justesse assez dingue, sans oublier le cheminement logique que tu as donné à la construction de cette article.

    En deux mots ;
    ¡ Felicidades Hermana !

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  4. Ça c’est du travail de titan ! Ne me dit pas que tu l’as abattu en seulement une semaine quand même ? Ce serait inhumain !

    Forcément, il y aurait beaucoup de choses sur lesquelles rebondir (preuve aussi que tu as bien fait ton job !) mais je note particulièrement ta comparaison à Don Quichotte. J’avais noté la référence, mais sans chercher à l’analyser, et j’avoue que j’aime beaucoup ce que tu en déduis. Pour être honnête, la croisade révolutionnaire du Professeur et du reste de l’équipe me semble être problématique. On en parle depuis la première saison, mais sans jamais vraiment développer contre et pour quoi ils se battent vraiment. J’ai vraiment le sentiment que c’est utilisé comme un prétexte, autant pour les personnages que pour les spectateurs, histoire de les dépeindre comme des bons gars. Forcément, je ne m’attends pas à ce qu’une telle série soit politique, mais quand on entame un discours, c’est toujours dommage de voir que ça ne va pas plus loin que la surface. Du coup je suis content de voir que les auteurs eux-mêmes aient l’air conscient de cet état de fait, même s’ils ne le disent qu’implicitement !

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    1. Et si, je l’ai abattu en très peu de temps ! (Plus si je compte le rewatch de la série, avec prises de notes comprises). Mais c’est vrai que ce furent quelques jours intensifs en terme de planification et de rédaction, ahah. Après, mon analyse de la référence à Don Quichotte reste une interprétation dont on est partisan ou non ! J’ai beau adorer la série, je suis pleinement consciente de ses défauts et l’aspect politique en fait partie. La partie 4 en particulier, veut aborder de nombreuses luttes à la fois, au risque de seulement les effleurer. Il est vrai qu’il est rassurant que les auteurs aient conscience du caractère idéaliste et peu fiable du Professeur, mais l’admettre, sans chercher à rectifier ne serait-ce qu’un peu le problème, peut aussi être problématique ahah. Mais bon, même si je suis la première à dire que LCDP a beaucoup plus de profondeurs qu’on veut l’admettre (comme en témoigne ce dossier), la série reste plus là pour nous divertir que pour être crédible ou politique.

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