L’héritage de The Outer Worlds

Si tu en avais l’opportunité, serais-tu prêt(e) à te faire cryogéniser afin d’entreprendre un long voyage spatial, qui te permettrait de faire partie de la première colonie extra-terrestre ? C’est le scénario proposé par The Outer Worlds, un Action-RPG paru en octobre 2019. A défaut de te proposer un véritable voyage dans l’espace, j’aimerais t’embarquer dans une analyse de ce jeu développé par Obsidian Entertainment. Je vais tâcher d’éviter tout spoiler majeur de l’intrigue. The Outer Worlds est très intéressant, tant grâce à son genre narratif, propice à de nombreuses références, qu’à son genre vidéoludique. (Tu ignores ce qu’est une uchronie ou un jeu rétrofuturiste ? Ce n’est pas grave ! Installe-toi. On va en parler.) Ne nous leurrons pas, le jeu d’Obsidian n’est pas exempt de limites techniques, ce qui ne l’empêche pas de tirer son épingle du jeu grâce à son écriture raffinée.

« Y’a d’la joie, partout, y’a d’la joie ! »

Qu’est-ce que l’uchronie ?

L’intrigue de The Outer Worlds se déroule au XXIVe siècle. Il s’agit d’un futur alternatif dont le point de divergence est l’année 1901. Le Président des États-Unis William McKinley n’est pas assassiné par Leon Czolgosz et Theodore Roosevelt ne lui succède jamais. Les megacorporations prennent suffisamment d’ampleur pour développer des technologies révolutionnaires et envisager de coloniser l’espace. En ce sens, The Outer Worlds est une uchronie. Un événement historique diverge est devient le point de départ d’un récit fictif. On imagine ce qu’il adviendrait si les choses s’étaient déroulées différemment. C’est un ressort régulièrement utilisé dans le domaine du jeu vidéo. Il est impossible de ne pas citer Civilization, dont le but même est de simuler des situations uchroniques. Je n’aurais jamais cru utiliser cet exemple un jour, mais l’on peut aussi mentionner Call of Duty : World at War ou Black Ops. Un mode de jeu suggère d’éliminer des zombies, en supposant qu’ils ont été inventés par un groupe scientifique lié aux nazis, en 1945. La réflexion peut même être poussée plus loin. On peut partir du postulat que l’uchronie concerne non pas une date historique, mais un événement inhérent à l’histoire même du jeu. En ce cas, Life is Strange est uchronique, puisque Max est capable de revenir dans le passé afin de créer des réalités alternatives.

Et le rétrofuturisme ?

Outre son caractère uchronique, The Outer Worlds peut être assimilé au rétrofuturisme. Les œuvres rétrofuturistes se distinguent par une imagerie rétro, s’inspirant grandement des représentations de l’avenir, telles qu’on les imaginait jusqu’aux années 70 voire 80. Cela est combiné à la présence de technologies très futuristes, de manière à maintenir une tension constante entre le passé et le futur. Cet effet de contraste est omniprésent dans The Outer Worlds. Les (nombreux) écrans de chargement sont très révélateurs, dans la mesure où ils dévoilent des affiches de publicité très vintages. Bioshock est aussi une œuvre rétrofuturiste, puisque la ville de Rapture est peuplée d’inventions et de technologies qui n’existaient pas encore dans les années 50. Notons que le rétrofuturisme est souvent utilisé pour dénoncer l’aspect aliénant des nouvelles technologies, et The Outer Worlds ne fait pas exception à la règle !

L’uchronie et le rétrofuturisme sont deux genres qui s’épousent à merveille. Ils ont un impact tant sur l’intrigue, que sur l’atmosphère et l’imagerie du jeu. Cela donne une personnalité unique à l’univers. Au reste, dans The Outer Worlds, ces éléments n’ont rien de hasardeux. Ils dénotent simplement de la volonté de présenter un hommage non dissimulé à la saga Fallout.

De Fallout à Star Wars : KOTOR

Fallout est un exemple populaire d’uchronie et de rétrofuturisme. L’un des points de divergence les plus importants y est le prolongement de la Guerre Froide. Les États-Unis et l’URSS consacrent toute leur énergie et l’ensemble de leurs recherches au conflit. C’est pourquoi l’humanité reste figée dans un cadre culturel propre aux années 50. Ce n’est que dans la deuxième partie du XXIe siècle que l’entreprise Vault Tec voit le jour et invente des abris anti nucléaires, avant que le monde soit en partie dévasté par des bombardements. Même si tu n’as jamais joué à Fallout, tu as probablement déjà aperçu les environnements post-apocalyptiques du jeu, lesquels contrastent avec une imagerie inspirée des années 50. Vault Boy en est un parfait exemple, c’est sans doute pourquoi il est devenu si iconique. Dans The Outer Worlds, la mascotte de l’entreprise Spacer’s Choice n’est pas sans rappeler Vault Boy. Moon Man ne lui ressemble pas physiquement mais il a la même fonction. Il donne une identité propre à une entreprise fictive, afin de rendre l’univers à la fois plus crédible et immersif. Inspiré de l’imagerie des années 50 ou 60, il a pour vocation de marquer les esprits. Les allusions à Fallout ne s’arrêtent pas là. Le gameplay est très similaire. Cela n’est pas si étonnant dans la mesure où Obsidian Entertainment avait travaillé sur Fallout : New Vegas, en 2010. Ainsi, The Outer Worlds dispose d’un écran de personnalisation du personnage, de nombreux PNJs et d’une exploration très libre afin de mener à bien les multiples quêtes annexes. Par dessus-tout, le jeu est un FPS, où il est possible de ralentir le temps, afin de viser les cibles de manière critique. Ce système de combat m’a énormément rappelé Fallout 4.

Enfin, The Outer Worlds permet de se rapprocher des six membres de son équipage, grâce à différentes options de dialogue et à des quêtes personnalisées. Cela rappelle encore Fallout, certes, mais aussi et surtout Star Wars : Knights of the Old Republic. Si tu explores ton vaisseau spatial, l’Imposteur, tu t’apercevras qu’une des cabines abrite un robot hors d’usage. Il faudra remplir certains objectifs avant que Sam ne devienne un membre de l’équipage à part entière. Cette quête m’a énormément fait penser à celle permettant de débloquer HK-47, dans KOTOR. Sans surprise, j’ai découvert qu’Obsidian Entertainement avait travaillé sur Star Wars KOTOR 2. Il est inutile de préciser que cela a été un immense plaisir de retrouver des échantillons de cette saga qui me manque terriblement, dans The Outer Worlds. (Notons que le jeu est souvent comparé à Mass Effect, mais je connais trop peu la saga pour en parler).

Hélas, toutes les planètes ne sont pas accessibles dans le jeu.

Atouts et limites techniques

Bien que The Outer Worlds ne permette pas d’incarner un Jedi, cédant au côté lumineux ou obscur de la force ; les choix ne sont pas sans conséquence. Le jeu dispose d’un système de réputation vis-à-vis des différentes factions de l’univers. Si avoir une réputation positive permet notamment de faire baisser les prix des commerces, une réputation trop négative peut rendre certaines villes hostiles et impossibles à explorer. Tu dois donc faire très attention aux conséquences de tes actes. Par ailleurs, les compétences liées aux dialogues sont aussi importantes, si ce n’est plus, que celles liées au combat. Si tu deviens un fin orateur, ou manipulateur, tu peux tout à fait terminer le jeu sans avoir à affronter les adversaires les plus coriaces.

Au reste, il serait malhonnête de nier les défauts, ou plutôt devrais-je dire les limites techniques du jeu. Bien que la direction artistique soit intéressante, The Outer Worlds n’est pas particulièrement joli. Je n’ai pas l’habitude d’accorder trop d’importance au réalisme ou à la propreté des graphismes, mais la mise en scène elle-même n’a rien de mémorable. J’ai été chagrinée de constater que l’univers dispose d’un bestiaire aussi restreint. Il n’est pas rare de trouver les mêmes créatures, sur des planètes différentes. Mais c’est sa durée de vie qui peut le plus diviser. The Outer Worlds est loin d’être une aventure aussi étendue que Fallout 4, pour ne citer que lui. On fait assez rapidement le tour des différentes planètes, (d’autant que certaines ne sont visitables qu’en acquérant des DLCs). Le jeu est d’autant plus court si on se concentre sur la quête principale. (Ce qui, cela va sans dire, serait une grossière erreur). J’ai malgré tout pris beaucoup de plaisir au cours de ce périple.

L’équipage au grand complet.

La plume est plus forte que le fusil blaster

C’est par son écriture travaillée que The Outer Worlds tire son épingle du jeu. Il n’est pas rare que la richesse des dialogues rende un PNJ plus mémorable qu’il ne devrait l’être. Le jeu dispose d’une ironie et d’un humour noir assez développés. Par dessus-tout, les membres de l’équipage sont relativement attachants. Tu auras la possibilité de recruter Parvati, Max, Félix, Ellie, Sam et Nyoka, au cours de ton aventure. Se rapprocher de Parvati permet de débloquer une quête au bout de laquelle elle peut séduire Junlei, une ingénieure vivant sur le Transporteur. Les dialogues évoquent l’homosexualité et même l’asexualité avec justesse. Dans un tout autre registre, Max est un vicaire peu orthodoxe qui semble tout droit sorti de romans gothiques. On est ici plus dans l’interprétation que dans l’analyse, mais pour demeurer dans les références littéraires, l’analogie faite entre les porcs et les dirigeants de la colonie n’est pas sans rappeler La ferme des animaux, de George Orwell. La question de la lutte des classes est abordée tant par l’histoire de The Outer Worlds, que par la manière dont sont construites les régions et les villes.

« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres. »

Tu l’auras compris, il y a énormément à dire sur The Outer Worlds, mais il serait difficile de rentrer dans les détails, sans spoiler. Je ne peux donc que t’inviter à prendre un aller direct pour l’Imposteur, afin de participer à une belle aventure.

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27uchronies_dans_les_jeux_vid%C3%A9o

https://www.jeuxvideo.com/news/659902/l-uchronie-dans-les-jeux-video-et-si-l-histoire-s-etait-deroulee-autrement.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9trofuturisme#%C5%92uvres_de_fiction

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fallout

13 réflexions au sujet de « L’héritage de The Outer Worlds »

  1. Oh dommage que ça soit un FPS, j’ai vraiment du mal avec les jeux à la première personne :(. En regardant les images, c’est vrai que c’est pas très jojo au niveau des graphismes (et pourtant, je m’en fous également de leur qualité)
    Encore une fois un article de qualité !

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    1. Salut, et merci pour ton commentaire. Une fois encore, nos goûts se rejoignent car le style FPS et les graphismes ne m’ont pas vraiment séduite. La richesse et l’écriture de l’univers compensent largement, sans compter que le jeu fait énormément penser à Skyrim ou Fallout. Ceci étant dit, on pouvait choisir la vue dans ces derniers, et je ne me privais pas d’afficher mon personnage.

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  2. Un bien bel article qui ne peut que m’intéresser ayant passé d’innombrables heures sur cette merveille de licence qu’est Fallout. Pour être honnête avec toi, avant de lire ces lignes, j’ai regardé toutes les photos de de ton article, et j’étais persuadé que la première image et celle de « moonman » appartenaient à Fallout ahahah c’est dire si les similitudes sont criantes ! Ce qui me chagrine un peu c’est que une fois de plus tu vas me donner envie d’acheter un jeu que je devrais rajouter à ma liste, que dis-je, à ma nappe de table de « jeux à faire » ahaha. Une nouvelle fois j’ai l’impression de me répéter assez souvent, mais merci pour ton travail. C’est mon petit moment bonheur bi-hebdomadaire (ça se dit ? J’ai un doute en vrai ahah) et c’est tellement varié que tu ne peux pas t’attendre (hormis quand tu teases ! ) à l’article qui nous tombera sur le coin du nez. Encore du joli travail Flo’, au plaisir de te lire une nouvelle fois !
    Ju’

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    1. Hola, et merci pour ton commentaire. Comme je te l’ai déjà dit, c’est un réel bonheur (et soutien) d’avoir tes réactions Si tu adores Fallout, tu risque d’être déçu par la « petitesse » de l’univers de The Outer Worlds, mais aussi et surtout largement séduit par la familiarité du gameplay ou de la richesse des personnages et dialogues. Au plaisir de te relire.

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  3. Super article !
    Je te rejoins sur tout ce que tu dis, notamment l’imagerie rétrofuturiste qui est utilisée à bon escient par le jeu. Malgré sa technique un peu cassée et peu flatteuse, il installe un vrai univers avec des idées plutôt originales. A cela on ajoute l’écriture qui offre de très belles choses, à commencer par la personnalité et l’histoire de Parvati. Je regrette quand même que la question de la lutte des classes (notamment dans la première ville avec la quête autour du maire) reste traitée de manière superficielle, mais c’est quand même bien exécuté avec un cynisme bien senti. Surtout, c’est un de ces rares jeux où le choix lié à cette quête, ses implications et ses conséquences, m’a mis dans le mal.

    Bravo pour cet article encore une fois !

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    1. Je rejoints entièrement ton avis. La question de la lutte des classes devient vraiment fouillée quand on découvre la ville des « riches », à Byzance. Il y a une quête secondaire assez flippante où on découvre quel sort ils réservent aux personnes plus modestes qu’ils sont censés accueillir dans la ville. D’ailleurs, quand j’ai trop fouiné, ma réputation a tellement baissé qu’on tirait à vue, quand on me voyait arriver à Byzance. J’ai dû être plus prudente lors de mon deuxième run. En tout cas, merci énormément pour ton commentaire.

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  4. Encore une fois, la banniere fait par Benji est top ! Une de mes favorites.

    Je pense que même The Council peut être considéré comme uchronique, avec en plus une histoire secrète parallèle à celle historique (avec tous les ressorts ésotériques) Ça me fait plaisir de voir que ce genre est aussi représenté dans le jeu vidéo, en gardant ses thématiques propres ! J’adore en tout cas franchement le côté rétro des images que tu as choisies, je trouvais ça d’un charme terrible dans Bioshock, c’est le cas là aussi.
    Malgré les limites techniques, et graphiques, le jeu a quand même l’air très intéressant et dépaysant. Surtout au niveau de ses personnages. Il ne faut pas s’attendre à un Fallout ou un autre plus grand RPG cependant, au risque d’être déçu. Et les quelques extraits de dialogues témoignent bien de la finesse de l’écriture du jeu ou de la force des dialogues, dont j’avais beaucoup entendu parler. Bref, encore une fois un bel article pour nous faire découvrir un jeu intriguant.

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