A Plague Tale : Innocence | Un conte allégorique

Nous sommes nombreux à être tombés sous le charme des aventures d’Amicia et Hugo, dans A Plague Tale : Innocence, titre sorti en 2019. Si le nom lui-même est antithétique (un conte de peste et d’innocence), le contexte et l’histoire du jeu sont tout aussi contrastés. Même si ce récit d’orphelins peut-être apparenté à un conte, le jeu narre un récit aux thématiques très matures et influencées par l’Histoire du XIVème siècle.

Un conte peu innocent

Qu’est-ce qu’un conte ? C’est un genre narratif plutôt bref, qui obéit à une structure définie. La situation initiale permet de découvrir l’univers et de faire connaissance avec les personnages. Dans le prologue du jeu, Amicia s’aventure dans la forêt avec son père et son chien, Lion, sans la moindre idée de ce qui va lui arriver. Très tôt, la jeune fille comprend qu’une menace étrange mais dévastatrice opère dans les bois, avant d’aller alerter la maisonnée. Malheureusement, le domaine de la famille De Rune est attaqué par les forces de l’Inquisition. Amicia doit alors veiller sur son frère cadet, Hugo, qui semble porteur d’une étrange maladie. C’est ainsi que commence le récit de deux orphelins. Et je n’en dirai pas plus, afin d’éviter tout spoiler. Il n’est pas rare que les héros du conte soient des enfants livrés à eux-mêmes. D’ailleurs, Amicia et Hugo seront rejoints, au cours de leur périple, par plusieurs compagnons tout aussi juvéniles, et orphelins. Ce sont aussi et surtout des héros atypiques. Hugo est un garçon victime d’un mal inconnu et Amicia est une jeune femme prête à tout pour le protéger. Hélas, il n’est guère utile de rappeler quelle est la place de la femme, au Moyen-Âge. Les deux enfants vont devenir les cibles de prédilection d’une chasse aux sorcières. A cette époque, il n’est pas rare de se méfier des femmes, (surtout lorsqu’elles sont capables de fabriquer quelques décoctions), ou des garçons jugés différents. Les bûchers des précédentes victimes sont encore fumants lorsque les habitants d’un village pestiféré se mettent à pourchasser les enfants. Pourquoi ? Parce que. Parce qu’il faut des boucs émissaires, dans cette région aveuglée par l’obscurantisme.

Le symbolisme des rats

Les villageois ont peur. Pour cause, la plupart d’entre eux sont tombés malades et ont été décimés par un mal dévastateur. Il n’est pas rare de tomber sur des portes barricadées sur lesquelles on a peint quelque croix blanche. Il ne faut pas approcher les malades, sous peine d’être contaminés. Hélas, la Peste Noire est une sinistre réalité. Elle se serait répandue en Europe, après qu’un voilier ait transporté une cargaison de rats porteurs de la peste bubonique. A partir de 1347, (soit peu de temps avant le début de l’histoire du jeu), et pendant au moins 4 ans, la Peste Noire devient meurtrière, au point de causer la mort d’un tiers de la population européenne. De nombreux chapitres de A Plague Tale sont représentatifs de l’insalubrité de cette époque. Les villages sont en partie déserts. Il n’est pas rare de croiser un villageois malade ou moribond. Amicia et Hugo découvrent de véritables charniers, et pas seulement dans les cimetières surchargés. La Peste Noire, disais-je, est une sinistre réalité. Cela ne l’empêche pas d’être représentée de façon fantasmée. Les amas – que dis-je ? – les tempêtes de rats ne sont que la personnification de la Peste Noire. Dès qu’il fait noir, et dès qu’une victime se trouve à leur merci, elle n’a plus aucune chance de s’en sortir. Les rats incarnent aussi l’élément perturbateur du récit. C’est eux qui menacent Amicia, dès le prologue. C’est eux qui sont liés à l’étrange mal d’Hugo. Ils sont un obstacle concret, au niveau du gameplay. Nombre de chapitres invitent le joueur à trouver une solution pour se débarrasser des rats, afin de passer, sans être dévoré dans d’atroces souffrances. Les rats sont nos ennemis et une source d’inquiétude constante. Pourtant, au fur et à mesure que l’histoire progresse, nos deux héros trouvent des méthodes de plus en plus efficaces pour les distraire, les utiliser contre l’ennemi, voire en faire des alliés protecteurs. Les rats ne représentent pas seulement la Peste Noire, mais aussi les peurs primaires que tous les enfants, ou devrais-je dire les héros, doivent surmonter, pour grandir.

La menace de l’Inquisition

Hélas ! Les rats ne sont pas la seule source d’inquiétude d’Amicia et Hugo. Ce serait sous-estimer la dangerosité du XIVème siècle. Un mal tout aussi grand sévit en Europe : l’Inquisition. Il s’agit d’une institution médiévale au cœur d’une légende tout aussi noire que la Peste. Entre le mythe et la réalité, il est difficile de démêler le vrai du faux, mais il est certain que l’Inquisition a compté, dans ses rangs, des membres particulièrement zélés, qui faisaient preuve d’une imagination débordante lorsqu’il était question (sans mauvais jeu de mots), de torturer leurs victimes. Amicia et Hugo sont poursuivis par les membres intransigeants et cruels de l’Inquisition. Ils n’hésitent pas à tuer les enfants, s’ils ont le malheur de se faire repérer. Prétendant défendre ses croyances contre les hérétiques, l’Inquisition se révèle très hypocrite. En effet, le Grand Inquisiteur, Vitalis Bénévent, se sert de son bras-droit, le Seigneur Nicholas, et de l’ensemble de ses troupes, pour emprisonner Hugo. Peu préoccupé par le sort du peuple, le Grand Inquisiteur est littéralement prêt à tout pour asseoir son pouvoir. Les deux antagonistes principaux du jeu incarnent le mal, à l’état brut. Le Seigneur Nicholas ne montre jamais son visage, se contentant d’obéir docilement aux ordres, tandis que Vitalis est l’archétype même du manipulateur prêt à tout pour parvenir à ses fins. Il n’est pas rare de voir de tels duos sévir dans les contes, y compris quand ils se déroulent dans une galaxie lointaine, très lointaine…

Entre violence et renaissance

Si tu n’es pas encore certain(e) que l’an de grâce 1348 est moisi, sache qu’il s’agit aussi des débuts de la Guerre de 100 ans. C’est pourquoi Amicia et Hugo croisent, dès le début de leur périple, une plaine constellée de soldats morts. Ce conflit très célèbre a opposé les rois français aux monarques anglais pendant plus d’un siècle. C’est une période de violence extrême, à laquelle Amicia elle-même n’échappera pas. Pour protéger Hugo, il lui faudra aller toujours plus loin, qu’il s’agisse de sacrifier un animal, ou de tuer un humain. Pour protéger Hugo, Amicia est obligée de perdre son innocence.

La guerre, la menace de l’Inquisition, et sans doute d’autres facteurs ne font que renforcer l’obscurantisme de cette période. Le XIVème siècle n’est guère propice à la diffusion du savoir et de la culture. L’un des chapitres du jeu est très évocateur puisque nous voyons littéralement une université, pleine de livres, brûler. Il n’est pas anodin qu’Amicia et Rodric aient le temps d’en secourir un ouvrage. Si Nicholas et Vitalis représentent l’obscurantisme, Amicia, Hugo et leurs amis sont censés incarner l’espoir d’une renaissance. Un mot à double tranchant. Le propre même du conte est de voir un héros surmonter ses peurs, et grandir pour devenir une meilleure version de lui-même. Ainsi, le récit enseigne quelque chose aux enfants. Après moult péripéties et traumatismes, Amicia et Hugo acquièrent de l’expérience et gagnent en maturité. J’ai déjà mentionné la violence à laquelle Amicia est poussée, mais ce n’est pas celle-ci qui la sauvera le plus. Ce sont la ruse et le savoir alchimique qui sortiront la jeune fille des pires situations. En plus d’évoluer, et de répondre (bien souvent) à la violence par la ruse, nos deux héros pourraient symboliser, au contraire des Inquisiteurs, la Renaissance avec un grand -R. Il s’agit d’une période historique survenant au XIVème siècle, durant laquelle grandit un intérêt nouveau pour la science, la philosophie ou l’art en général. C’est après un périple bien mouvementé qu’Amicia et Hugo peuvent espérer un dénouement heureux et, surtout, profiter de liens fraternels fraîchement noués.

L’ombre et la lumière sont très symboliques dans le jeu.

Épilogue

A Plague Tale : Innocence est un jeu intéressant, car il maintient une tension constante entre de cruelles réalités historiques et une part plus fantasmée propre au conte. Amicia passe du statut d’orpheline innocente à celui de femme mature et protectrice. Cette évolution a pour écho une évolution historique. La plupart des adversaires et obstacles du jeu ne sont après tout que les symboles d’une période obscurantiste, à laquelle ne mettra fin que la Renaissance, tant adulée par les philosophes des Lumières. Ça tombe bien, puisque seule la lumière est en mesure d’arrêter les rats.

Je ne suis pas historienne, loin de là, mais j’espère que cette réflexion sans prétention t’aura plu. Si tu recherches de la lecture, je t’invite à découvrir le site podculture.fr, où je deviens rédactrice.

Sources

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/04/rapide-et-fatale-comment-la-peste-noire-devaste-leurope-au-14e-siecle

https://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/4262-linquisition-medievale-une-legende-noire-.html

http://www.histoire-france.net/moyen/guerre-cent-ans

https://hauntya.wordpress.com/2019/05/23/a-plague-tale-innocence-aventure-sombre-et-puissante/

14 réflexions au sujet de « A Plague Tale : Innocence | Un conte allégorique »

  1. J’aime beaucoup ton analyse (en plus tu parles de conte, un genre que j’affectionne particulièrement) Je n’avais pas vu le jeu sous la lecture de l’évolution historique, mais ça fait clairement sens ! Ton article m’a évoqué de nombreux souvenirs sur ce jeu. Merci pour cet article !

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  2. A nouveau, superbe image pour illustrer l’article !
    Et c’est une belle analyse que tu nous offres de A plague tale en passant par tous ses aspects. Toi aussi le côté star warsien de certaines ennemis ne t’a pas échappé ! Et tu as finement évoqué tout ce qui relevait du conte dans le jeu avec ses codes, tout en parlant aussi bien de l’aspect historique qui est vraiment passionnant au travers du jeu. Sans compter l’évolution des enfants tout du long… on s’attache tellement à eux, cette bande de gamins perdus qui survivent seuls. Je n’avais pas du tout pensé au côté Renaissance, mais il est très bien trouvé. Nos héros font clairement plus preuve de lumière et d’intelligence que leurs ennemis. Comme d’ordinaire, ton article est passionnant à lire et redonne à penser au jeu sous d’autres éclairages, y compris allégoriques. Et toujours avec la même affection pour ce jeu qui est quasi un coup de coeur. Je suis ravie qu’il t’ait autant plu, même si ce n’était pas gagné de base à cause du gameplay. C’était une aventure tellement immersive et intense, avec un Moyen-Age dont l’ambiance faisait penser à Notre-Dame. J’espère qu’il y aura une suite ! Et les captures d’écran sont superbes au passage. (merci pour la mention <3)

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  3. Il me semble que c’est le premier article que je peux lire de toi, sur un jeu où nous avons passé tous les deux quelques heures dessus. Je pense que je commence à comprendre ce que disait Clément quand il a commenté un de mes articles en me parlant « d’analytics » c’est exactement là définition même de ton article. Tes mots qui dansent ensemble dans cette article m’ont fait oublier ce qui m’entourait et j’ai même eu, la musique du jeu dans la tête, sans l’avoir dans les oreilles, juste en me remémorant des scènes dont tu parles dans ton récit. ç’en est presque poétique je trouve. Les scènes de l’herbier de Hugo, la fin tragique de l’enfant (pour ne pas spoil tes commentateurs) au niveau de la grille, le cache-cache dans les vignes. Ce jeu est d’une beauté rare, je suis heureux de voir qu’il t’a plu. J’attends de voir le tweet avec l’obtention du Platine 😉
    Tu sais ce que je pense de ton travail, et une fois encore cette semaine, la règle restera la même, un travail remarquable, une analyse qui fait énormément réfléchir, qui m’a fait réfléchir pour le coup, tu m’as fait voir le jeu d’un œil différent et c’est en parti pour ça que j’aime te lire. Bon, on se dit à dans deux semaines, ou a tout vite, on doit parler de certaines choses ! Prends soin de toi Flo’,
    Ju’

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    1. Ah, une fois encore, merci pour ton avis ! Très heureuse que ma petite analyse t’ait inspiré et parlé. Malheureusement, j’ai fait une grosse erreur et je devrai me passer du platine (à part si je tente un 3e run un jour). Je pensais qu’il fallait améliorer absolument tous les équipements et compétences, ce qui fait que j’ai un peu manqué de ressources. Bref^^ » Et à ta disposition !

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  4. Plot twist, Amicia est l’Europe! C’est à travers ces épreuves qu’elle a su « renaître » TUN DUN DUN!

    Je rigole mais cela serait une bonne théorie! En vrai, à l’époque, cela devait être vraiment la catastrophe! J’ai même entendu dire que la Guerre de 100 ans s’est calmée pendant un moment à cause des nombreux morts de la Peste noire!

    Pressé de voir Vitalis dire « Je suis ton père » aha!

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  5. Tu m’as donné encore plus envie d’y jouer. J’ai découvert ce jeu par hasard, sur mon fil d’actu de ma ps4 il y a deux ans je crois. Manque plus qu’à l’acheter du coup =).
    Encore une fois un article de qualité ! Tu as dit que tu n’est pas historienne, mais franchement, si on en sait un peu ou qu’on en est passionné, on peut en faire des belles réflexions 😉

    Aimé par 1 personne

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