Dossier #3 : Little Nightmares | L’analyse d’une saga cryptique

Je suis entrée pour la première fois dans l’Antre, en juin 2019. Depuis, Little Nightmares est l’un de mes jeux vidéo favoris. Les plus observateurs d’entre vous auront compris que le nom et le logo du blog (créé par Mystic Falco) y font référence. Little Nightmares est un jeu de plates-formes et de réflexion développé par Tarsier Studios et distribué par Bandai Namco. Le premier épisode est sorti en 2017. Réputé pour ses personnages taciturnes et horrifiques, le jeu fait avant tout sensation pour son lore aussi fascinant que cryptique. Nombreux sont les joueurs à être sortis de l’Antre, avec plus de questions que de réponses. C’est pourquoi j’ai envie de proposer un récapitulatif et une analyse de l’univers de Little Nightmares. Il est entendu qu’il s’agit de mon interprétation personnelle, (enrichie par des informations glanées sur divers blogs, sites et vidéos, dont vous trouverez les références ci-dessous). Je n’ai ni la prétention, ni même l’ambition de proposer des réponses définitives aux interrogations posées par le lore du jeu. Il n’y a aucun intérêt à rendre cet univers moins cryptique ou à vous priver de vos propres interprétations. Cela va sans dire, il est chaudement recommandé d’avoir terminé Little Nightmares et ses extensions, ainsi que Little Nightmares II, avant de lire cet article. Il y a aussi des spoilers sur le jeu mobile Very Little Nightmares, et les comics. Nous allons justement faire le point sur l’univers cross-media de la saga, en tâchant de dégager la chronologie des événements de ce conte horrifique. Nous aborderons les lieux les plus importants avant d’aborder les différentes références identifiables dans les jeux. Pour finir, nous dresserons le portrait des personnages. Or, la nuance est parfois fragile entre protagonistes et antagonistes.

Soyez les bienvenus dans l’Antre.

I. Un conte horrifique

La saga Little Nightmares peut être considérée comme un conte, ce qui a un impact tant sur la narration, le gameplay, que sur la direction artistique du jeu. Le conte est par définition un récit bref, faisant intervenir des éléments fantastiques. Le protagoniste, souvent jeune, est soumis à une série d’épreuves dans des lieux imaginaires. Les autres personnages, nombreux, sont réduits à leur fonction. Les contes sont supposés instruire une morale aux enfants. Il y a toutefois deux points où Little Nightmares s’écarte drastiquement du genre dont il s’inspire. D’une part, le dénouement n’est pas forcément heureux. De l’autre, l’histoire n’est pas aussi manichéenne qu’on ne pourrait le penser.

Concernant le gameplay, le joueur est tout d’abord plongé dans la peau de Six, une fillette de 9 ans portant un ciré jaune et ne semblant mesurer que quelques centimètres. L’enfant perdue ne va pas directement affronter les ogres et autres titans ayant trouvé refuge dans l’Antre ; le gameplay pourrait être comparé à une partie de cache-cache. La direction artistique, quant à elle, insuffle l’impression de jouer dans une maison de poupées, comme cela est mentionné dans le site officiel du jeu. Les paysages sont en 2.5D et démesurément grands, par rapport à Six. Une maison de poupées est l’endroit adapté pour recenser l’ensemble des nos pires craintes d’enfance.

II. La chronologie de la saga

Sans surprise, il n’est pas évident de dresser la chronologie de Little Nightmares. Je pourrais positionner, en première place, le jeu mobile Very Little Nightmares (2019). Il permet d’incarner une fillette portant un ciré jaune, qui essaie de s’évader d’un manoir, appelé La Tanière. Ce n’est qu’à la fin du jeu que le joueur réalise qu’il n’incarnait pas Six. En effet, la fillette tombe d’une falaise et meurt, tandis que le ciré jaune échoue dans l’eau. Une seconde fillette, croisée à plusieurs reprises durant le jeu, descend de la falaise. On peut supposer qu’elle récupère le ciré jaune et qu’il s’agit d’une forme d’origin story de Six.

Malheureusement, Little Nightmares II (2021) met à mal cette théorie. Après le chapitre 2, Mono trouve un ciré jaune dans une décharge. Il le remet à l’enfant qu’il a sauvé au début du jeu et nous nous rendons compte qu’il s’agissait de Six. A priori, Very Little Nightmares et Little Nightmares II se contredisent. Doit-on le reprocher à un univers cross-media mal maîtrisé ou la chronologie est-elle simplement plus compliquée qu’on ne le croit ? Après tout, Little Nightmares II a démontré que la temporalité a une valeur très particulière dans cet univers. On peut aussi imaginer que, à la fin de Very Little Nightmares, Six ne ramasse pas véritablement le ciré jaune, qui est emporté par l’eau et finit par échouer à Pale City ; tandis que la fillette sera plus tard capturée par le Chasseur. Notons qu’il existe un comics numérique (et gratuit) narrant quelques aventures survenant avant l’histoire de Little Nightmares II.

Au cas où l’on douterait encore que Little Nightmares II est un préquel, la fin secrète du jeu laisse entrevoir une affiche de l’Antre. On peut imaginer qu’il s’agit de la destination suivante de Six, qui se fait capturer par le Passeur, l’un des personnages présentés dans le comics officiel, paru en 2017 (et disponible en français). C’est par la suite que surviennent les événements relatés dans Little Nightmares (2017). Les trois extensions, mettant en scène le personnage du Fugueur, se situent, quant à elle, à peu près en même temps que l’histoire narrée par le premier jeu.

Notons qu’une théorie de SuperHorrorBro confirme la chronologie que je viens de dresser. Il faut attentivement observer les dessins sur les murs de la cellule de Six, au début de Little Nightmares II, de droite à gauche. Ils pourraient retracer la chronologie de la saga, laissant un vide à l’endroit où se situe l’aventure de Mono. Un vide où l’on peut justement placer le petit garçon. Cette frise nous incite à nous demander à quel point Six a conscience de ce qu’il va se passer.

Capture de la vidéo de SuperHorrorBro.
Introduction, genre et chronologieLieux, iconographie et référencesGalerie des ennemisProtagonistes, bilan et sources

24 réflexions au sujet de « Dossier #3 : Little Nightmares | L’analyse d’une saga cryptique »

  1. J’avais hâte de dévorer cet article, et sans surprise c’était tout simplement passionnant. On en parlait sur mon blog il y a quelques jours mais l’univers de Little Nightmares est tellement cryptique qu’on peut s’amuser à le décrypter de nombreuses manières différentes, et c’est quelque chose que je trouve fascinant à faire. J’ai beaucoup aimé ton approche des personnages, des lieux et des événements.

    Toutefois, j’aurais une autre théorie concernant la fin de Little Nightmares II. Tout comme toi, j’ai d’abord pensé que Six était finalement une antagoniste en raison de la trahison qu’elle commet à l’encontre de Mono. Que ce soit par pure méchanceté ou par vengeance pour ce qu’il vient de faire, quand on connaît les événements du premier opus, c’est le constat qui s’impose. Pourtant, en voyant la fin bonus, une autre idée m’est venue et pour le coup, ça change totalement ma vision du personnage. Et si, finalement, ce qu’on prend comme un acte méchant de la part de Six était en réalité un sacrifice positif ?
    Ces deux termes semblent contradictoires, je sais, mais je t’explique. Dans la fin bonus, on entend le ventre de Six gargouiller, ce qui signifie qu’elle commence déjà à mourir de faim. Du coup, est-ce qu’elle n’aurait pas lâché la main de Mono pour le protéger d’elle-même, de peur de finir par se jeter sur lui ensuite ? Auquel cas, peut-être se serait-elle rendue à l’Antre dans l’espoir de trouver de la nourriture, avant finalement de tomber dans un autre cauchemar l’ayant confrontée à ses pires instincts.
    Ceci dit, cela soulève des questions supplémentaires sur le rôle de Mono, que l’on découvre être l’Homme filiforme. Tout comme toi, j’ai immédiatement pensé qu’il s’agissait d’une boucle temporelle. Cependant, je n’ai pas envisagé le fait qu’il n’y avait qu’un seul Homme filiforme, qui serait Mono. À mes yeux, il pourrait éventuellement s’agir d’une lignée qui se perpétue de victime en victime, avec l’un des enfants prenant à chaque fois la place de l’ancien Homme filiforme qui, on l’imagine, est peut-être amené à mourir ou à disparaître naturellement à un moment donné. Dans ce cas-là, Mono serait lui-même devenu comme son bourreau à partir du moment où il a eu le courage et la force de lutter contre lui. Ceci dit, j’aime également beaucoup ta théorie selon laquelle il s’agirait de lui-même tentant de se protéger de Six.

    Bref, il y a énormément de possibilités et de théories qui peuvent s’entremêler et toutes peuvent fonctionner selon la façon dont on se positionne. Tout comme toi, un peu à l’image de ce que j’ai fait avec The Last of Us, j’aimerais beaucoup faire une analyse complète de l’univers du jeu pour essayer d’en dresser une théorie. Mais je préfère me laisser du temps, je ferai probablement ça d’ici quelques mois, le temps de bien m’imprégner des œuvres et de les redécouvrir à tête reposée.

    Encore bravo pour cet énième article passionnant à découvrir. C’est toujours un réel plaisir de te lire.

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    1. Merci pour ton commentaire et le compliment ! Je t’avoue que je n’aurais jamais pensé à cette théorie sur Six. Mais cela démontre bien que tu as raison, l’univers est aussi cryptique que fascinant et j’espère qu’il le restera, afin que chaque joueur se l’approprie à sa manière ! Ce qui m’a fait penser à une boucle temporelle, pour l’Homme Filiforme et Mono, c’est tout simplement la façon dont on progresse dans les couloirs infinis du dernier chapitre. Ceci étant dit, ta théorie est intéressante car, après tout, on imagine bien que Six aurait pu devenir la nouvelle Dame. D’une certaine façon, elle réussit là où Mono a échoué, malgré lui. Encore que, cela dépend de ce que réserverait une « vraie » suite à Little Nightmares I ! Bon courage si tu te lances dans une telle entreprise, et à bientôt 🙂

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  2. Que c’était passionnant à lire du début à la fin comme dossier! Chapeau pour toutes les analyses, décortications du moindre détail ou des références, il fallait le faire ! C’est fou comme le jeu plonge encore plus ses racines et détails dans des références faisant elles aussi la part belle à l’horreur ou aux réécriture du monde enfantin. Tout cela est finement analysé, ça a dû te faire un sacré boulot, mais passionnant ! Je ne connais pas du tout le jeu Very little nightmares, je crois même que j’ignorais son existence. Mais ils ont essayé plein de médias différents pour un enrichissement certain. Je pense te suivre sans aucun doute sur la chronologie des événements, aussi nébuleuse et sujette à interprétations qu’elle soit. Il est clair que le plus fascinant est la symbolique des personnages, ou ce que cela nous évoque. C’est vrai que Little Nightmares 2 a un côté très déshumanisant après l’aspect conte horrifique, il m’a fait penser à 1984 avec les télés, l’oeil, la surveillance constante, les esprits manipulés… c’est vraiment du formatage. Et j’aime énormément cette peur de devenir adulte que tu évoques, cette peur du temps qui passe qui est propre à chaque personnage, antagoniste ou non. Là aussi c’est matière à réfléchir, car nos petits antihéros risquent toujours de devenir ce qu’ils redoutent, ou des ennemis comme les Nomes. Encore un jeu de miroirs, et il y en des glaces dans la licence ! En ce sens, je te rejoins bien, il n’y a pas de morale évidente dans la licence, juste de la survie, de la peur, et beaucoup de nos craintes, de nos phobies, d’enfant ou d’adulte, poussées à l’extrême ou de manière si obscure que cela en devient dérangeant. (Les chaussures m’ont aussi beaucoup fait penser aux camps de déportation). Je suis encore fascinée par la fin du 2 et tout ce que cela implique. Par rapport à la prescience de Six sur les événements de la licence, ça voudrait vraiment dire que ce n’était pas la première fois qu’elle rencontrait Mono. Ou est-ce encore un parallèle avec ces cauchemars qu’on refait en boucle ? Ça m’a toujours intriguée que dans le 1, quand Six revient après une mort, on dirait qu’elle se réveille d’un sombre rêve.

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    1. Merci pour le compliment ! A vrai dire, dès le premier Little Nightmares, j’avais un peu pensé à 1984, à cause de l’œil et la surveillance omniprésents ! Ah oui, c’est vrai que tes arguments font penser à une métaphore des cauchemars voire des paralysies du sommeil, quand on revoit les mêmes choses en boucle. Encore une théorie intéressante !

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  3. Je n’ai pas encore fait les jeux de la licence Little Nightmare, c’est pourquoi je n’ai pour le moment pu lire que l’introduction, mais quelle superbe introduction à ce monde d’horreurs ! Je pense savoir quel sera le prochain de mes jeux à faire juste pour pouvoir dévorer entièrement ce dossier sans avoir peur du spoil, je reviens très vite !

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  4. Roooh j’avais l’intention de lire l’article mais c’est full spoil 😦 ! Bon J’ai quand même (presque tout) lu la chronologie de cette saga. J’ignorais qu’il y avait un comic d’ailleurs. J’ai l’intention d’y jouer justement surtout depuis que j’ai vu une streameuse y jouer

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  5. Eh coucou ! Ça faisait longtemps ! J’ai un retard de malade mental et je te promets de me rattraper aussi vite que je le peux. Tout comme sur Podculture d’ailleurs, je dois avoir l’équivalent de 7 ans de lecture à rattraper, quelle honte ! Ça a pris du temps mais je suis venu à bout de ton dossier et je suis surpris de me rendre compte que je suis passé à côté de tant de choses ! N’ayant jamais joué à Very Little Nightmares ces informations que tu as donné me donnent paradoxalement, encore plus envie d’y jouer, même si je sais désormais plus ou moins à quoi m’attendre, je suis heureux d’avoir pu avoir toutes ces informations avec toi. Je suis surpris qu’il y ait cette incohérence entre Little Nightmare II et VLN après ça contribue au mystère du jeu je suppose. Chaque joueur doit se faire sa propre opinion. Dossier giga complet sur lequel on sent que tu as pris plaisir à bosser. Ça fait trop plaisir de te relire ! J’enchaîne à toute !
    Ju’.

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  6. J’ai enfin pris le temps de lire ce foisonnant dossier (et je suis pratiquement à jour sur le blog. Je me lirais le dernier article quand j’aurais fait It Take Two. Je veux me préserver de tout spoil pour le découvrir à fond 😊) ça se sent que tu adores la licence et que tu l’as décortiqué dans tous les sens. C’est riche d’informations et de pistes de réflexions sans devenir indigeste, bien au contraire. Je me souviens que, dans un autre échange de commentaires, tu avais dit que tu avais pratiquement l’équivalent d’un livre de théories et réflexions sur la licence. Je me demande si tu ne devrais pas essayer de concrétiser tout ce travail via Third Edition qui propose de tels types d’ouvrages. Sait-on jamais !

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    1. Oh, ce serait bien qu’on débloque des trophées quand on se met à jour sur les blogs, ahah En tout cas, une fois encore, merci énormément ! Je me suis effectivement beaucoup amusé à faire ce dossier, et je suis ravie qu’il t’ait plu. J’adore les bouquins de Third Edition, mais tu crois vraiment que quelqu’un comme moi, et avec ce type d’article, peut les aborder ? Je ne sais même pas comment. Et puis, admettons que, par miracle, quelque chose se concrétise avec eux, ce serait un rêve assez dingue, et en même temps je ne te raconte pas la pression, ahah. En tout cas, je prends la suggestion comme un compliment. Merci !

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  7. Excellent article, je l’ai lu d’un coup.

    J’ai adoré la vision suivante : « Six et Mono deviennent ce qu’ils cherchent par dessus tout à fuir »

    Sinon j’aimerai ajouter une autre théorie concernant la dame et Six

    Ayant joué récemment à VLN, je suis quasi sûr que la dame a bel et bien une fille et que celle-ci n’est autre que la petite fille au ciré jaune de VLN.

    Tout d’abord dans LN (et les DLC), on voit plusieurs portraits de la dame et d’une petite fille ressemblant à Six dans ses appartements. Sur ces portraits, on constate que la petite fille (un portrait où elle porte un ciré jaune et l’autre où elle se tient à côté de la dame) a des cheveux longs.
    Hors dans VLN et dans LNII, Six a des cheveux plutôt courts.
    De plus, la petite fille au ciré jaune a quant à elle des cheveux longs, comme on le voit à la fin de VLN lorsqu’elle chute avec la prétendante (elle a une tresse).

    Dans LN1 et DLC, on dirait que la dame éprouve une profonde rancune, rongée par du regret ou de la tristesse. Peut être d’ailleurs qu’elle se voit comme tel dans le miroir (DLC) car elle ne se pardonne pas d’avoir perdu sa fille.

    Ça ajouterait encore + d’ambiguïté au personnage de Six qui se montrerait encore plus cruelle et sans pitié envers un personnage, bien qu’ayant du sang sur les mains, totalement ravagé et en deuil.

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    1. Merci pour ta visite et pour ce superbe compliment. C’est vrai que certains tableaux sur VLN sont aussi très troublants ou renvoient à des scènes d’autres jeux (comme les pieds de l’homme pendu je crois ?) Je sais qu’il y a beaucoup de théories, renforcées par le fait que Six trouve son ciré jaune de manière différente selon les jeux. La tienne est très intéressante et montre qu’on n’a pas fini de réfléchir ni de parler au sujet de ces merveilleux jeux ♥

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