J’ai joué à plusieurs jeux indépendants dernièrement et certains d’entre eux m’ont sortie de ma zone de confort. Lorsque j’aborde un jeu vidéo, j’attache une importance particulière à la narration et aux personnages. Je suis nettement moins douée en ce qui concerne les énigmes et autres casse-têtes. C’est pourquoi je ne me tourne pas naturellement vers les puzzle games ou les point & click traditionnels. J’ai pourtant pris un malin plaisir à terminer The Pedestrian et surtout My Brother Rabbit.
Des mécaniques de gameplay bien rodées
The Pedestrian est un puzzle game et platformer développé par Skookum Arts en 2020. Il nous glisse dans la peau de la silhouette que l’on retrouve sur les panneaux de toilettes ou de signalisation. Le jeu va donc nous faire voyager de panneau en panneau, de façon latérale, afin de traverser la ville. Si le cheminement peut sembler évident pendant une certaine partie du jeu, surtout au début ; ce ne sera pas toujours le cas. Certains panneaux nécessitent de résoudre un ou plusieurs casse-têtes afin de déverrouiller la sortie. Le tout est agrémenté d’une direction artistique aussi simple qu’efficace et d’une bande originale de fond franchement plaisante. My Brother Rabbit, développé par Artifex Mundi en 2018, est un point & click des plus traditionnels. Vous ne contrôlez aucun personnage mais pouvez simplement faire défiler plusieurs environnements. Il vous faudra cliquer sur des objets à collecter, dissimulés dans le décor ; ou encore résoudre des énigmes et mini-jeux, afin de bâtir des engins et de poursuivre votre route. Les panoramas fourmillent de détails tout en restant très lisibles. Je ne suis pas du tout coutumière de ce style de gameplay. J’ai néanmoins trouvé le jeu extrêmement intuitif.
Des jeux métaphoriques
The Pedestrian et My Brother Rabbit sont évidemment des jeux qui se concentrent sur leurs mécaniques de gameplay. Cela ne signifie pas qu’ils sont totalement dénués de narration. J’aurais pu croire que c’était le cas pour The Pedestrian. Pourtant, on sent que la silhouette éprouve le besoin impérieux de traverser la ville. Lorsqu’elle arrive à destination, l’on se rend compte que cela n’était peut-être que la métaphore d’un nouveau départ, dans la vie. Quant à My Brother Rabbit, l’histoire, bien qu’elle soit métaphorique, est nettement plus explicite. En effet, les cinématiques apparaissant entre chaque chapitre laissent comprendre que la benjamine d’une famille est tombée malade. Son grand frère, aussi jeune soit-il, va tout faire pour la soutenir et pour chercher une solution. Comme le titre l’indique, il sera d’ailleurs symbolisé par le protagoniste du jeu : un lapin. Les mondes colorés que nous traversons semblent en effet provenir de l’imaginaire d’un enfant. C’est sa façon d’appréhender la maladie et cela est particulièrement touchant. Peut-être vais-je trop loin, mais j’y ai entrevu une allusion à Alice au Pays des Merveilles. Plutôt que d’entrer dans le terrier du lapin, au début de l’histoire, pour fuir la réalité ; il s’agit du cheminement inverse. Le lapin en question doit fuir son terrier, au début du jeu, puis traverser plusieurs mondes, afin de sauver son amie, ou devrais-je dire sa petite sœur. Il n’y a qu’ainsi qu’elle aura une chance de se rétablir et de retrouver la vraie vie.
Conclusion
Le moins que l’on puisse dire, c’est que The Pedestrian et My Brother Rabbit m’ont réconciliée avec les puzzle games et les point & click. Je ne suis toujours pas particulièrement adroite ; car certains passages de The Pedestrian m’ont donné du fil à retordre ; mais c’était néanmoins à ma portée. Quant à My Brother Rabbit, je l’ai trouvé extrêmement intuitif et fluide. En dehors de cela, bien que leurs mécaniques de gameplay ne paient pas de mine ; ces deux jeux sont bien rodés et ont quelque chose à raconter. Il ne s’agit parfois que de notre interprétation, bien sûr, mais j’ai trouvé My Brother Rabbit particulièrement touchant. Voici donc deux jeux indépendants que je conseillerais sans sourciller.
Deux épisodes, c’est tout ce qu’il restait à The Last of Us pour clôturer l’adaptation du célèbre jeu vidéo. J’ai pu analyser l’ensemble des épisodes, sur ce blog, Vous pouvez d’ailleurs retrouver les articles en question sur la page suivante. Il est maintenant temps de s’atteler à l’étude de l’arc final, à travers les épisodes 8 et 9. Attention aux spoilers !
Une adaptation fidèle au défaut surprenant
Dans le jeu vidéo, une fois Joël blessé, Ellie se retrouve livrée à elle-même dans la station enneigée au bord du lac. C’est là qu’elle fait la rencontre d’un certain David. La jeune fille se méfie tout d’abord de lui. Néanmoins, lorsqu’il l’aide à repousser une foule d’infectés, elle lui accorde le bénéfice du doute. Nous-mêmes, joueurs et joueuses, imaginons qu’il peut être un allié passager, de la même façon que Tess ou Henry et Sam. Comme nous nous trompons… David se révèle être un ennemi redoutable, et plus monstrueux que n’importe quel infecté. Ce chapitre comporte des phases d’infiltration pleines de tension car Ellie, désarmée, est très vulnérable face aux sbires de David. En parallèle, Joël se réveille et part à la poursuite de l’adolescente, en éliminant les hommes de David, à tour de bras. Ellie ne doit toutefois compter que sur elle-même pour venir à bout du cannibale. Le combat est d’autant plus mémorable qu’il s’agit du seul véritable affrontement contre un boss, dans le jeu vidéo. Ellie doit se faufiler entre les tables du restaurant ; David étant alerté par le moindre bruit et se précipitant sur elle pour la tuer. C’est un passage traumatisant, tant pour les joueurs que pour Ellie.
Et puis le printemps vient. Joël, très attaché à Ellie, peine à lui rendre le sourire. C’est finalement la découverte des girafes qui y parviendra. Le duo n’est toutefois pas au bout de ses peines. Ils traversent un tunnel infesté d’infectés et même de colosses. Hélas, l’extrémité du tunnel est inondée et Ellie manque de se noyer. C’est à ce moment qu’un groupe de Lucioles les embarque à l’hôpital, sans ménagement. Là-bas, Joël apprend qu’ils doivent opérer Ellie au cerveau, s’ils espèrent concevoir un remède. Entre le salut de l’humanité et la survie d’Ellie, Joël fait rapidement son choix. Nous sommes alors les acteurs et actrices d’une fusillade dans l’hôpital. Après avoir tué Marlene, Joël ramène Ellie à Jackson, où il lui ment effrontément. Le jeu s’arrête assez brutalement, sur le visage à moitié convaincu de la jeune fille.
On peut aisément constater que l’histoire de la série est extrêmement fidèle à celle du jeu vidéo. L’adaptation d’HBO n’est toutefois pas exempte de défauts. Le découpage des épisodes pose des interrogations. Pourquoi l’épisode final est-il le plus bref de la série ? Une série n’est-elle pas supposée monter en crescendo ? Je gage que même les néophytes ont pu trouver la fin quelque peu rushée. Mais le défaut le plus surprenant de la série réside dans l’absence flagrante des infectés. J’étais la première à défendre la diminution de la violence ou l’économie de la présence des infectés. Si les raisons sont peut-être budgétaires, il faut avouer que cela peut faire monter la tension et les rendre plus terrifiants. Hélas, en dehors de deux malheureux infectés dans les flash-backs, Ellie et Joël n’en ont croisé aucun depuis l’épisode 5, avec Henry et Sam. Cela donne l’impression que le pays est traversé par très peu d’infectés. On en oublie l’un des composants de l’histoire et, ce qui me chagrine le plus, c’est que cela a un impact sur la narration. David ne gagne point la confiance d’Ellie en affrontant des infectés à ses côtés. Tout juste se contente-t-il de la baratiner, quelques minutes. De fait, la trahison semble moins terrible. Il est plus délicat d’en vouloir à Joël d’avoir détruit tout espoir de trouver un remède, dans la mesure où le monde ne semble pas tant en proie aux infectés que cela. Passons.
Épisode 8 : « When we are in need »
L’épisode 8 met en vedette David, brillamment interprété par Scott Shepherd. Il en épouse d’ailleurs un peu le point de vue, dans la mesure où l’épisode commence dans le groupe dont David est le pasteur et le guide. Bien que je regrette l’absence d’infectés, il faut reconnaître que le personnage de David est suffisamment développé et subtile pour rendre l’intrigue crédible. Ses apparentes foi et gentillesse ne sont que des ruses pour inciter ses « ouailles » à le suivre. Malgré sa prudence, Ellie se laisse elle-même baratiner par David, qui finit par lui révéler que Joël a tué l’un de ses hommes. Il va alors souffler le chaud et le froid avec l’adolescente, afin de la manipuler. Bien qu’il s’évertue à la garder en vie et à tenter de la charmer, le malaise est palpable. Certes, il y a un parallèle évident avec Joël, dont David est l’alter-ego. David veut servir de père de substitution à Ellie et il la porte, dans ses bras, de la même manière que Joël porterait Sarah ou Ellie elle-même. En outre, quand Ellie reproche ses actes à David, il lui demande si son « ami » n’aurait pas fait la même chose pour elle. Ce genre de parallélisme est toujours fascinant. Joël et David sont les deux faces d’une même pièce, ce qui implique, en dehors de leurs similitudes, des contradictions encore plus probantes. Ainsi, les intentions de David sont loin d’être innocentes. Il ne se contente pas de tuer des hommes, mais il nourrit son peuple avec leur chair. Comme si le cannibalisme ne suffisait pas, David ne se conduit clairement pas comme un père avec Ellie, à qui il fait des avances. Bien que le duel dans le restaurant incendié soit moins violent que dans le jeu vidéo, David y paraît encore plus monstrueux, dans la mesure où il essaie de violer l’adolescente. On comprend sans peine que, après avoir tué David, Ellie s’acharne sur son cadavre.
Sans surprise, Bella Ramsay est de plus en plus convaincante dans le rôle d’Ellie, au fil des épisodes. Lorsque Joël est blessé, c’est elle qui prend les choses en mains. Elle fait preuve d’une férocité surprenante mais nécessaire, pour survivre face aux sbires de David. En dépit de cela, on sent combien cet événement l’a bouleversée et traumatisée. Quant à Joël, il est plus effacé encore dans l’épisode que dans le jeu. Certes, il interroge les hommes de David et en tue quelques uns. Par ailleurs, il réconforte Ellie lorsqu’il la retrouve. Mais le duo part finalement assez facilement de la station, comme si le fait d’en avoir éliminé le leader était sans conséquence. Cela peut, certes, s’expliquer par le fait que les autres ouailles de David soient essentiellement des familles affamées. Enfin, il est impossible de clôturer cet avis sans parler de la présence de Troy Baker, qui incarne James, le bras droit de David. Troy Baker est ni plus ni moins l’interprète originel de Joël, dans le jeu vidéo. Et cerise sur le gâteau, on retrouve – en VF – le comédien de doublage français de Joël, dans le jeu, également : Cyrille Monge.
Épisode final : « Look for the Light »
L’épisode 9 débute par un flash-back inédit, qui se concentre sur la mère d’Ellie : Anna. Il est judicieux qu’elle soit incarnée par l’actrice d’Ellie, dans le jeu vidéo : Ashley Johnson. Il y a aussi un hommage à la comédienne de doublage française d’Ellie, dans le jeu, puisque la VF est assurée par Adeline Chetail. L’idée de faire apparaître Anna ne surgit pas de nulle part dans la mesure où il avait été envisagé de produire un DLC voir un spin-off sur la mère d’Ellie, dans les jeux vidéo. Cela ne s’est jamais concrétisé, du moins jusqu’à l’arrivée de ce flash-back, dans l’épisode 9. On apprend ainsi qu’Anna était sur le point d’accoucher avant d’être mordue par un infecté. Le bébé aurait donc été contaminé par l’intermédiaire du cordon ombilical. J’ignore si cela est vraisemblable, mais, de toute façon, je considère qu’il n’était pas nécessaire d’expliquer pourquoi Ellie était immunisée. Au reste, il demeure satisfaisant de faire la rencontre de sa mère, de comprendre sa relation avec Marlene, qui l’a achevée avant de recueillir Ellie ; et surtout d’assister à une scène assez émouvante. Notons qu’il ne s’agit pas du seul clin d’œil de l’épisode. En effet, l’une des infirmières qui s’apprête à opérer Ellie, chez les Lucioles, est incarnée par Laura Bailey. Il s’agit de l’actrice prêtant sa voix à Abby, dans The Last of Us Part II.Les connaisseurs et connaisseuses de l’histoire sauront qu’il s’agit d’une référence très subtile et fort bien placée.
Si l’épisode 8 se concentrait sur Ellie, l’épisode 9 suit davantage le point de vue de Joël.Force est de constater que, en dépit de passages survolés, la qualité de l’écriture et celle du jeu de Pedro Pascal rendent Joël merveilleusement ambivalent. Ainsi, il est extrêmement touchant dans la première partie de l’épisode. Il se conduit comme un père avec Ellie, à qui il tente de rendre le sourire. Après le passage des girafes, il est perceptible qu’il redoute de l’amener à l’hôpital, car il craint de la perdre. Contrairement au jeu vidéo, Joël a une petite cicatrice sur le visage dont il révèle enfin l’origine à Ellie. Il admet avoir tenté de mettre fin à ses jours, juste après la mort de sa fille. Ellie lui répond alors que le temps guérit toutes les blessures, mais Joël n’est pas de cet avis. Il sous-entend clairement que c’est la jeune fille qui lui a permis de guérir. L’amour qu’il porte à Ellie n’est pas totalement désintéressé car elle lui permet de finir son deuil, mais il n’en est pas moins puissant. Joël semble bien vulnérable et en proie à des sentiments très forts pour elle. On en éprouve une empathie d’autant plus affirmée pour lui. Et pourtant, la deuxième partie de l’épisode parvient à le montrer sous un tout autre jour. Lorsqu’il décide de porter secours à Ellie, Joël s’empare d’une arme et tue les Lucioles dans l’hôpital, à tour de bras. La scène est brève mais la mise en scène extrêmement percutante. Joël tue ses ennemis de façon impitoyable, même lorsqu’il sont désarmés ou tentent de se rendre. Les gros plans sur les Lucioles sans vie les désignent comme les victimes de l’histoire. La réorchestration sourde du thème musical rend la tuerie encore plus mélancolique. Joël a l’air d’un tueur de masse impitoyable, et non plus du protagoniste de l’histoire. Il n’a pas plus de pitié face au chirurgien, qu’il tue d’une balle dans la tête ; ni face à Marlene, qu’il achève afin qu’elle ne pourchasse pas Ellie. Enfin, lorsqu’ils se dirigent vers Jackson, Joël parle avec enthousiasme de Sarah, signe qu’il a enfin terminé son deuil, mais aussi qu’Ellie ne sert peut-être qu’à combler un vide. Pire que tout, il persiste à lui mentir, même quand elle lui demande de jurer de dire la vérité.
En dépit de l’absence handicapante des infectés, la série a capturé l’essence du jeu vidéo en explorant toutes ses thématiques. The Last of Us est une histoire d’amour entre une fille qui se construit et un homme esseulé qui, après avoir perdu son enfant, tente de faire son deuil, en veillant sur une adolescente. Comme le jeu, la série explore ce qu’il y a de plus monstrueux dans l’humanité, y compris lorsqu’il est question des héros.Et surtout, elle confronte les téléspectateurs et téléspectatrices à un dilemme. Qu’aurions-nous fait à la place de Joël ? Serions-nous prêt(e)s à renoncer à la personne que nous aimons le plus et à revivre un traumatisme dans l’espoir de sauver l’humanité ? D’ailleurs, le remède était-il vraiment viable ? Ou au contraire, aurions-nous choisi d’être justes envers et contre tout ? Aurions-nous été capables de tuer pour notre enfant ? Serions-nous prêt(e)s à mentir ? C’est sur ces interrogations que la série – comme le jeu – s’arrête brutalement. Joël a pris des décisions terribles et Ellie doit les subir, en dépit de son syndrome de la survivante et de ses propres convictions. C’est pourquoi l’histoire s’arrête de façon brutale, sur les notes de The Path. The Last of Us n’a jamais prétendu fournir des réponses, mais simplement nous confronter aux travers de l’humanité, repoussée dans ses pires retranchements.
Épilogue
L’histoire n’est de toute façon pas finie, puisque la saison 2 a déjà été confirmée. Les créateurs de la série ont assuré qu’il faudra plus d’une saison pour adapter The Last of Us Part II.Il semblerait aussi qu’ils envisagent de montrer plus d’infectés, à l’écran. En ce qui me concerne, je suis très impatiente de découvrir la suite de cette adaptation. En débit du manque de surprises, et surtout d’infectés, j’ai passé un excellent moment devant chaque épisode de la saison 1. La mise en scène, la qualité d’écriture et le jeu subtile des comédiens et comédiennes ont rendu l’histoire aussi prenante et bouleversante qu’on pouvait l’espérer. Les décors, les maquillages et la bande originale sont loin d’être en reste. Il s’agit donc presque d’un sans-faute pour cette adaptation d’HBO. Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie vers les analyses des jeux The Last of Us Part I et II.
Toutes les deux semaines, nous nous retrouvons pour l’analyse des nouveaux épisodes de The Last of Us, série produite par HBO. Vous pouvez d’ailleurs (re)découvrir les articles sur les épisodes 1, 2 et 3, 4 et 5, sur le blog. Aujourd’hui, penchons-nous sur les épisodes 6 et 7, non sans spoilers.
Épisode 6 : « Kin »
Cheminement dans le jeu
Le sixième épisode de The Last of Us débute par un flash-back, remontrant la fin de l’épisode précédent. Toutefois, le montage est différent et bien plus fidèle au jeu original. Après la mort d’Henry, l’écran devient brutalement noir. Cela amène une ellipse temporelle, car Joël et Ellie vont faire un bout de route avant d’arriver à leur prochaine destination. On constate que l’hiver a débuté. L’épisode 6 est une adaptation des chapitres 7 et 8 du jeu vidéo. Dans celui-ci, Joël conduit Ellie au barrage hydroélectrique, avant de découvrir que son petit frère Tommy y a élu domicile. Joël aide le groupe à défendre le barrage face à une horde d’humains armés jusqu’aux dents. Après quoi, Ellie apprend que Joël souhaite la confier à Tommy. La jeune fille décide ni plus ni moins de fuguer. Joël et Tommy enfourchent chacun un cheval afin de partir à la recherche d’Ellie, qu’ils retrouvent dans un ranch. C’est là qu’Ellie confie à Joël qu’elle a peur d’être abandonnée et qu’il rétorque qu’elle n’est pas sa fille. S’ensuit une nouvelle séquence de gunfights, car dans The Last of Us, on n’est jamais tranquilles. Joël change finalement d’avis et conduit lui-même Ellie à la faculté, dans une séquence plus longue que dans la série. L’exploration de l’université est relativement dense, car certains bâtiments abritent des infectés et mêmes des colosses. Le duo finit par comprendre que les Lucioles ont déserté les lieux. Malheureusement, une armée d’hommes les attaquent et suite à une mauvaise chute, Joël a la hanche empalée. C’est donc à Ellie de l’extraire de cette épineuse situation. Maintenant que nous avons fait un rappel du cheminement dans le jeu, une évidence apparaît. De nombreux passages ont été coupés, et il ne s’agit quasiment que de scènes d’action.
Une absence de violence ?
Le manque d’action et de violence est une critique qui devient redondante, notamment sur les réseaux sociaux. Il est vrai que les séquences de combats sont toutes, ou presque, passées sous silence. Lorsqu’il y en a, les ennemis sont nettement moins nombreux que dans le jeu vidéo. Certains regrettent l’apparition d’ennemis ou d’infectés, car on ne se rend pas compte à quel point le monde est devenu dangereux et mortel. Selon eux, le périple de Joël et Ellie paraît trop facile ou ennuyeux, et cela a un impact sur l’émotion de certaines scènes. Je dois admettre qu’il est humain de regretter de ne pas voir telle ou telle scène transposée à l’écran. Bien que je ne sois pas férue d’action, j’admets moi-même que la violence est encore moins présente que je ne l’imaginais. Il était même un peu frustrant de voir Joël se faire neutraliser par aussi peu d’hommes, à l’université. D’ailleurs, cette diminution de la violence se confirme dans l’épisode suivant, où Riley et Ellie ne sont attaquées que par un seul infecté. C’est carrément minimaliste. Mais en y réfléchissant… On reproche depuis des années au cinéma et aux séries de mettre l’accent sur des scènes d’action épileptiques, qui ne laissent aucune place à la psychologie des personnages ni l’émotion. Le meilleur parallèle à faire et probablement avec les nombreuses adaptations de Resident Evil, qui furent toutes des échecs. Pour The Last of Us, je préfère de loin être légèrement frustrée par un manque de violence, que déçue par une éventuelle abondance. Et puis, rappelons que le jeu lui-même raconte avant tout une histoire d’amour entre une fille et son père de substitution. Il est bien naturel que la série se focalise sur les liens entre les personnages. Pour finir, bien qu’ils soient peu présents et nombreux, les adversaires humains et infectés sont – à chaque fois – dévastateurs. Ils sont synonymes de blessures, de morsures voire de mort pour les personnages principaux. De fait, ils sont d’autant plus menaçants et on imagine sans mal que, face à une horde d’ennemis, Joël et Ellie n’auraient aucune chance. La série est nettement plus réaliste que le jeu et son intention est tout simplement de se concentrer sur la nostalgie, l’amertume et les amours brisés au sein d’un monde post-apocalyptique. C’est une vision artistique que je soutiens amplement et puis, qui sait ? Les deux derniers épisodes de la série pourraient nous surprendre.
Une adaptation fidèle et émouvante
Mais concentrons-nous sur l’épisode 6. Le fil rouge de l’histoire demeure sensiblement le même. Ellie et Joël parviennent au barrage hydroélectrique, et nous assistons aux retrouvailles avec Tommy. Celui-ci ne donnait plus de signe de vie à son frère car il a refait sa vie, au sein d’un nouveau groupe, où il s’est marié avec Maria. D’ailleurs, celle-ci apprend par mégarde à Ellie que Joël avait une fille. Ellie réalise ensuite que Joël veut la confier à Tommy. L’adolescente ne fugue pas mais confronte Joël, de la même manière que dans le jeu vidéo. Ils partent ensemble à l’université, où ils trouvent plus de singes que de Lucioles. L’épisode s’arrête sur la blessure de Joël. Les points forts de « Kin » sont les mêmes que ceux des épisodes précédents. La série se concentre sur la relation entre Joël et Ellie. Cela est extrêmement bien joué, parfois drôle, et surtout émouvant. L’adaptation met peut-être plus l’accent sur leur espoir de trouver un vaccin, pour changer le monde. Je me dois aussi de saluer la reprise des morceaux instrumentaux de Gustavo Santaolalla. C’était un plaisir d’entendre la réorchestration de The Path, d’autant plus que cela accompagnait des plans magnifiques sur les paysages enneigés.
Le développement de Joël
Au cours des premiers épisodes, j’avais sans doute plus de sympathie pour Ellie que pour Joël. J’admets que la balance commence à pencher. Je sais qu’Ellie est en pleine crise d’adolescence, mais elle est parfois gratuitement vulgaire et insolente, au point de sembler caricaturale. Au contraire, Joël commence à révéler son vrai visage. Je regrettais son absence d’émotion. Il est vrai que le fer a mis du temps à plier, mais c’était pour mieux se briser. Tout au long de l’épisode, Joël est victime de malaises qui pourraient s’apparenter à des crises d’angoisse. On sent qu’il est lourdement éprouvé et surtout traumatisé par tout ce qu’il traverse depuis vingt ans. Par-dessus tout, il commence à se faire un sang d’encre pour Ellie. Non seulement il est très attaché à elle, mais il ne supporterait sans doute pas de voir l’histoire se répéter. La mort d’Ellie lui rappellerait trop celle de Sarah, dont il n’a clairement toujours pas fait le deuil. On sent que le fantôme de sa fille hante ses pensées. A Jackson, il aperçoit une jeune femme qui a la même coiffure que Sarah et il se projette. A quoi aurait ressemblé sa fille si elle était devenue adulte ? Serait-il grand-père ? Cela est d’autant plus douloureux qu’il apprend que Tommy aura lui-même un enfant. Il s’agit d’ailleurs d’un petit rajout inédit, par rapport au jeu vidéo, sans doute pour appuyer sur la corde sensible. Il en va de même pour le film projeté aux enfants de Jackson. Il s’agit d’un long-métrage avec Richard Dreyfuss, appelé « The Goodbye Girl ». Un titre évocateur. Joël finit par se confier à Tommy, face auquel il paraît particulièrement vulnérable. La prestation de Pedro Pascal est incroyable et très émouvante. Il semble encore plus attaché à Ellie que dans le jeu, dans le sens où il insiste sur le fait qu’il veut la quitter car il ne se sent plus physiquement capable d’assurer sa sécurité. Naturellement, il va changer d’avis, car Ellie est elle aussi très attachée à lui. L’alchimie entre les deux personnages fonctionne et le développement psychologique de Joël est juste parfait.
Tampons et coupe menstruelle
Autre détail inédit, et je n’aurais jamais cru m’appesantir dessus : Maria donne une coupe menstruelle à Ellie. C’est très anodin, et pourtant on peut se demander pourquoi la série s’arrête sur les tampons, puis là-dessus. C’est probablement parce qu’elle a été produite après le COVID, où l’on s’est rendus compte que, en cas de crise sanitaire, certaines choses anodines pouvaient se révéler bien plus problématiques qu’on ne l’imaginait. De plus, il est finalement rare qu’une jeune fille soit le personnage principal d’une série d’action post-apocalyptique, et que, surtout, on parle ouvertement de sa puberté comme de celle des garçons. Le film d’animation Pixar Alerte Rouge a beaucoup fait parler de lui car il était l’un des premiers à aborder ouvertement la question des règles chez les jeunes filles. Et il est sorti en… 2022. Il y a donc encore une longue route à faire pour briser un tabou qui n’a pas lieu d’être, puisqu’il concerne… la moitié de l’humanité. Enfin, on aurait pu craindre un anachronisme. En Europe, on voit apparaître la coupe menstruelle dans les années 2000, et en ligne. C’est donc après la date de l’apocalypse de The Last of Us. Il faut même attendre 2016 pour que des coupes menstruelles fassent leur apparition dans les grandes surfaces françaises. Et pourtant, non seulement la coupe existe sous différentes formes depuis les années 30, mais elle est utilisée aux États-Unis depuis la fin des années 80. Il est incroyable de constater combien on peut mettre de temps pour importer des alternatives aux serviettes ou aux tampons hygiéniques. Une fois encore, c’est dire combien on apporte d’importance à la modeste moitié de l’humanité. Passons.
Des références à The Last of Us Part II
Pour finir, l’épisode 6 de The Last of Us fourmille de références envers The Last of Us Part II. On sent clairement le terrain se préparer pour la deuxième saison de la série, et c’est plutôt appréciable. Pour commencer, on voit comment fonctionne Jackson, la ville près du barrage hydroélectrique. Tommy annonce à Joël et Ellie qu’ils y seront toujours les bienvenus. Lorsque Joël et Ellie mangent, ils sont épiés par une adolescente cachée derrière un pilier, ce que Ellie prend très mal. Pour beaucoup, il s’agit certainement de l’apparition fugace de Dina, qui deviendra la petite amie d’Ellie, dans The Last of Us Part II. Notre héroïne fait d’ailleurs la rencontre d’un certain cheval appelé Paillette. Lorsque Joël se projette dans l’avenir, il imagine élever des moutons. Il s’agit d’un running gag car Ellie va beaucoup se moquer de lui. Et pourtant, la ferme avec des moutons est aussi un lieu clé de la Part II. Enfin, Maria met clairement Ellie en garde contre les personnes à qui elle donne sa confiance. Car il n’y a qu’elles qui pourront la trahir. L’avertissement n’est pas à prendre à la légère, mais je n’en dirai pas davantage, évidemment.
Épisode 7 : « Left Behind »
Comme son nom l’indique, l’épisode 7 est inspiré du DLC de The Last of Us. Il s’agissait d’une aventure brève qui mettait en parallèle le moment où Ellie prenait soin de Joël, et celui où, dans le passé, elle explorait une galerie avec Riley. Le lien était tissé par le fait qu’Ellie cherchait une trousse de secours dans un centre commercial, où elle avait dissimulé Joël. Ce n’est pas le cas dans la série, où le flash-back paraît donc plus déconnecté. Il relate tout de même très fidèlement le passé d’Ellie.
Une adaptation du DLC Left Behind
En effet, on apprend qu’Ellie a grandi dans une école militaire où elle était amie avec Riley, incarnée par Storm Reid. Or, sa meilleure amie a disparu depuis quelques semaines. Et pour cause, elle a rejoint le mouvement des Lucioles. Riley décide de rendre visite à Ellie une nuit, et après quelques sauts sur les toits, elles se retrouvent dans la galerie d’un centre commercial, où elles vont profiter des vestiges du passé. De nombreuses scènes évoquent l’extension du jeu vidéo, qu’il s’agisse du carrousel, du photomaton ou de la salle d’arcade. Détail inédit, Ellie et Riley y jouent désormais à Mortal Kombat. On retrouve le livre de blagues, la boutique de déguisement… Les deux jeunes filles s’amusent comme des enfants, se découvrent comme des adolescentes, et ont aussi des discussions plus matures et plus graves, comme lorsque Riley annonce son départ, provoquant une dispute. Ellie finit tout de même par se réconcilier avec elle et même par l’embrasser. L’alchimie entre les deux jeunes actrices fonctionne très bien, et comme toujours, la relation montrée à l’écran est émouvante ; d’autant plus que les adolescentes sont rapidement agressées par un infecté. Toutes deux mordues, elles s’abandonnent à leur triste sort. Riley se sait condamnée. Ellie ignore encore qu’elle est immunisée. C’est alors que l’épisode bascule dans le présent, où la jeune fille se décide à recoudre la blessure de Joël. L’intrigue peut reprendre son cours. Left Behind est une parenthèse, tant au niveau temporel que spatial. L’épisode semble à part, car il se déroule dans un bunker. L’ambiance est inhabituelle et colorée, grâce aux néons du magasin. Bien sûr, cela n’empêche pas l’épisode de transpirer la nostalgie et la mélancolie.
De nombreuses références
J’ai, pour ma part, été particulièrement réceptive à la bande originale. On commence par une reprise emplie d’amertume de The Path, au début, lorsqu’on voit Joël blessé. Peu après, Ellie s’amuse sur l’escalator au rythme de Take on Me, du groupe A-ha, dont elle possède d’ailleurs une cassette dans sa chambre.Take on Me est une chanson reprise par Ellie, dans The Last of Us Part II. Enfin, l’épisode se termine avec le thème du DLCLeft Behind, qui est assez sensationnel. Comme toujours, de multiples références sont cachées, ici et là. Dès le début de l’épisode, le porte-clé sur le bureau contient le logo de Naughty Dog, studio de développement à l’origine des jeux The Last of Us. La galerie du centre commercial affiche de nombreuses publicités, à commencer par l’affiche du film fictionnel Dawn of the Wolf, dont on retrouvait déjà les posters dans le jeu vidéo initial. Les dernières références sont presque toutes dans la chambre d’Ellie. On apprend que l’adolescente est amatrice de dinosaures et de voyages spatiaux, en hommage à deux séquences de The Last of Us Part II. On y trouve aussi le comics dont elle est fan ou le livre de blagues. Bref, cet épisode permet d’appendre à mieux connaître Ellie.
Le développement d’Ellie
Bien que j’aime autant le personnage d’Ellie que la performance de Bella Ramsey, je dois admettre que certaines facettes de son comportement me laissaient perplexe. Pourquoi toute cette colère et cette vulgarité ? Pourquoi cette fascination pour la mort ou pour les armes à feux ? Heureusement, Left Behind explore toutes les facettes du caractère d’Ellie et permet enfin de les relier. Dans ce monde post-apocalyptique, Ellie – à l’instar de Riley – est une enfant soldat. Elles ont côtoyé la mort très tôt et sont passées à côté de leur enfance. On les a incitées à s’entraîner, soit pour devenir leader, soit pour obtenir un poste peu reluisant. D’ailleurs, c’est ce qui pousse Riley vers les Lucioles. (Fait inédit, elle est en poste dans le centre commercial, où elle surveille l’artillerie). Et précisément parce qu’on les a privées de leur enfance, Ellie et Riley vont s’amuser et s’émerveiller de tout, au sein de la galerie. Elles vont aussi découvrir les premiers émois amoureux, car elles deviennent des femmes. Lorsqu’Ellie contemple la vitrine de la lingerie, on sent déjà qu’elle ressent quelque chose pour Riley mais aussi qu’elle s’interroge sur son propre corps. De toute évidence, tout cela fait beaucoup à encaisser pour une si jeune fille, qui se laisse parfois aveugler par la colère. Enfin, Ellie joue les dures à cuir pour cacher sa vulnérabilité. Tandis que Joël a été traumatisé par la mort de sa fille, Ellie l’a été par celle de Riley. La peur de l’abandon de chacun d’entre eux rendra le duo d’autant plus indestructible.
Finalement, les épisodes 6 et 7 se complètent. Le premier développe la psychologie de Joël, tandis que le second permet de mieux cerner Ellie. On ne doute plus de leur duo indéfectible. On a parfois souri. On a surtout été émus. Comme depuis le début de cette série, il me tarde de découvrir la suite. Il ne reste plus que deux épisodes, qui devraient se focaliser sur les trois derniers chapitres du jeu, ainsi que l’épilogue. On se retrouve donc dans deux semaines pour parler des épisodes 8 et 9 de The Last of Us.
J’ai eu l’occasion d’essayer plusieurs jeux indépendants dernièrement. Sans surprise, j’ai envie de vous en parler et de créer quelques parallélismes, qu’ils soient fondés sur des similitudes ou – au contraire – des différences. On peut clairement dire que Last Day of June et Suicide Guy présentent un fort contraste. Le premier jeu a été développé par Ovosonico en 2017, tandis que le deuxième est sorti en 2018, grâce aux soins de Chubby Pixel. A vrai dire, Last Day of June et Suicide Guy ont un thème commun : la mort. Mais ils l’abordent de manière radicalement opposée, qu’il soit question du registre ou de l’intention.
Déni et Acceptation
Last Day of June nous projette dans la peau de Carl, qui vit dans un fauteuil roulant depuis un accident de voiture. Malheureusement, la femme qu’il aime, June, n’a pas eu la chance de s’en sortir. Une nuit, Carl va oser retourner dans l’atelier de peinture de June, pour découvrir – avec stupéfaction – qu’il peut voyager dans ses propres souvenirs, grâce aux tableaux. Carl va s’acharner à comprendre quel élément décisif a provoqué l’accident, avant d’essayer de changer le passé.Le protagoniste de Last Day of June est incapable d’accepter la mort de sa femme et va tout faire pour la sauver. Ce n’est pas franchement le cas du personnage jouable de Suicide Guy. Il s’agit d’un bonhomme bien en chair qui aime regarder la télé en sirotant une bière et en mangeant quelques donuts. Une parodie de l’Américain moyen. Après s’être endormi, il va tenter de se réveiller en se suicidant de toutes les façons possibles et imaginables. Le protagoniste de Suicide Guy court donc après la mort, sans pour autant y parvenir. En ce sens, les deux jeux s’opposent drastiquement.
Drame et comédie
L’autre différence cruciale concerne le registre ou la tonalité. Les deux jeux ont beau être silencieux, ils dégagent des ambiances opposées. Last Day of June veut émouvoir quand Suicide Guy veut faire rire. Cela se traduit par des directions artistiques et des recherches de vraisemblance en décalage total. Last Day of June se passe dans un lotissement, où les décors comme les personnages imitent un style aquarelle. Bien que la direction artistique paraisse parfois brouillonne ou trop saturée, elle est séduisante et mélancolique. Au contraire, Suicide Guy utilise un style plus cartoonesque qui m’a un peu rappelé Octodad. Last Day of June possède clairement une part de surnaturel puisqu’il est question de retours dans le temps. Cela ne l’empêche pas de vouloir se montrer vraisemblable et logique. Les joueurs et joueuses doivent comprendre quel détail précis du quotidien a provoqué indirectement l’accident, et doit donc être modifié. L’enfant a fait tomber son ballon sur la route ? Qu’à cela ne tienne. Il faut trouver un moyen de l’inciter à jouer avec son cerf-volant. Malheureusement, l’utilisation du cerf-volant va provoquer une autre situation en chaîne mais il ne tient qu’à nous de tenter des scénarios alternatifs avec d’autres personnages. Au contraire,Suicide Guy est complètement déjanté et décomplexé. Comme dans tout cartoon – et cela est justifié par l’aspect onirique ou humoristique – le but est d’atteindre l’extravagance et l’exagération. Le bonhomme veut se suicider en étant dévoré par un dragon ? Pas de problème. Il suffit de trouver suffisamment d’objets bruyants pour réveiller le gros lézard. C’est bel et bien la direction artistique et la façon dont on aborde l’histoire qui rendent l’approche de la mort dramatique ou, au contraire, étrangement ludique.
Idées mal exécutées
Ces deux jeux indépendants atteignent leur objectif. Last Day of June a réussi à m’attendrir, notamment grâce au retournement de situation surgissant avant l’épilogue. Suicide Guy s’est avéré extrêmement inventif et est parvenu à m’amuser avec un sujet pourtant funeste. Malgré tout, je n’aurais pas forcément tendance à conseiller ces jeux. Last Day of June n’est ni le plus beau, ni le plus touchant jeu indépendant qu’il m’ait été donné de faire. Certes, je ne suis pas fan de boucles temporelles mais, en dépit de la brièveté du titre, j’ai trouvé le gameplay très répétitif. Il faut souvent accomplir les mêmes actions et répéter les journées des mêmes personnages afin de trouver ce qu’il faut changer. Ce n’est pas tout puisqu’il faut de toute façon revenir plus tard pour ajuster un détail, avant de trouver le cheminement parfait. Quant à Suicide Guy, je n’ai pas souri autant que je l’aurais voulu, à cause du manque de maniabilité du titre, et même de quelques bugs. Les situations provoquant le suicide sont extrêmement burlesques, originales et déjantées. Elles permettent même de rendre hommage à divers genres cinématographiques ou vidéoludiques. Malheureusement, j’ai trouvé les niveaux peu intuitifs. On peine parfois à comprendre ce qu’il faut faire, pour déclencher le suicide. Somme toute, il s’agit de riches idées, mais pas toujours très bien exécutées.
Comme vous le savez, je suis une très grande fan des jeux The Last of Us, dont vous pouvez retrouver une analyse de chaque opus (Part I et II), sur le blog. Il va de soi que j’attendais l’adaptation HBO au tournant. Après une entrée en matière sur des chapeaux de roues, avec un pilote particulièrement fidèle, puis des épisodes 2 et surtout 3 qui osent l’originalité ; The Last of Us revient avec les épisodes 4 et 5, dont nous allons débuter l’analyse tout de suite. Attention aux spoilers !
Rappel du cheminement du jeu
Les épisodes 4 et 5 de la série vont de pair car ils racontent le même arc narratif. Il s’agit de l’équivalent, dans le jeu, des chapitres 5 et 6, intitulés « Pittsburgh » et « La Banlieue ». Il s’agissait de passages très longs, en raison d’un nombre considérable d’adversaires, qu’ils soient humains ou infectés. Joël éliminait des ennemis à tour de bras avant de devoir explorer un hôtel avec Ellie. L’hôtel en question était un endroit crucial, car Ellie montrait à Joël qu’elle était capable de tuer pour lui, et surtout, le protagoniste se retrouvait piégé dans les sous-sols inondés de l’immeuble, où il lui fallait rallumer un générateur pour s’évader. Ce niveau en huis clos est probablement la source du traumatisme de nombreux joueurs et joueuses car infectés et Colosses se ruaient alors sur Joël. Le duo dézinguera pas mal d’autres types dans le Quartier des affaires avant de faire la rencontre d’Henry et Sam, avec qui ils quitteront enfin la ville. Ce n’était pas de tout repos non plus puisque la fuite dans les égouts était au moins aussi oppressante que celle de l’hôtel. Les quatre héros se retrouvaient très vite piégés par une horde d’infectés, au sein d’un nouveau huis clos. Le lotissement suivant aurait ressemblé à une promenade de santé si le quatuor n’avait pas été attaqué par une troupe de soldats, possédant un sniper puis un tank. La plupart de ces scènes d’action ont été coupées ou raccourcies. Au reste, le résultat est le même pour nos protagonistes. Maintenant que nous avons rappelé l’essentiel, nous allons pouvoir entrer dans le vif du sujet.
Épisode 4 : « S’il te plaît, tiens ma main »
L’épisode 4 de la série est véritablement une transition qui, à défaut de faire avancer l’histoire, prépare le terrain pour la suite et, par-dessus tout, renforce l’alchimie entre Ellie (Bella Ramsey) et Joël (Pedro Pascal). C’était évidemment nécessaire et crucial, puisque leur relation est au cœur de l’intrigue. Au cas où ce ne serait pas encore le cas, cet épisode renforce l’empathie que l’on peut ressentir pour Ellie. En dépit de sa fascination morbide (ou simplement immature) pour les armes à feux, Ellie est une adolescente intrépide, malicieuse et optimiste. Elle parvient à dérider Joël avec son fameux livre de blagues et cela n’est pas un mince exploit. Pour celles et ceux qui l’ignoreraient, les blagues pourries d’Ellie font partie des nombreux « objets » à collectionner dans le jeu vidéo. Et les références ne s’arrêtent pas là. Alors qu’ils roulent dans la voiture de Bill, Joël et Ellie écoutent la même chanson que dans le jeu, laquelle on avait d’ailleurs entendue dans le premier teaser de la série : « Alone and Forsaken » de Hank Williams. Ellie trouve par la même occasion un magasine porno gay avec lequel elle s’empresse de taquiner Joël. Cette scène est, elle aussi, très similaire à celle du jeu.
Le duo fait ensuite face à une embuscade qui met fin à leur petit road trip. Sans surprise, les ennemis sont moins nombreux que dans le jeu vidéo. Ils sont toutefois très réactifs. Un peu trop diraient certains, comme lorsque l’homme à terre supplie Joël de l’épargner, non sans pleurs et excès. Ces réactions très humaines des ennemis abattus évoquent celles des PNJs de The Last of Us Part II. Le but est de rappeler que les vies d’êtres humains sont en jeu, et que nos protagonistes – à commencer par Joël – ne sont pas des enfants de chœur. D’autres passages évoquent le cheminement du jeu, comme lorsque les deux anti-héros sont contraints de pousser et tirer des meubles, afin de se frayer un chemin à travers des pièces en ruine. Une fois n’est pas coutume, je ne peux que souligner la beauté des décors intérieurs comme extérieurs, d’autant plus qu’ils sont bercés par la bande originale impeccable de Gustavo Santaolalla. Quant à Joël, je commence – lui aussi – à le trouver attachant. Non seulement la série le présente comme un anti-héros, mais aussi comme un homme faillible, ne serait-ce que parce qu’il a plus de 50 ans. Cela fait un bien fou de croiser un protagoniste qui a ses propres limites, et qui n’enchaîne pas les scènes d’action sans présenter le moindre signe de fatigue. Par-dessus tout, Joël parvient enfin à se dérider et à s’attacher à Ellie, même s’il prétend encore que ce n’est qu’une « livraison ». Les deux personnages sont étoffés et j’apprécie la nouvelle alchimie régnant entre eux.
Même si l’épisode se veut plus léger, car Joël et Ellie plaisantent ensemble ; il prépare aussi le terrain pour la suite. Il introduit deux personnages inédits : Kathleen, la cheffe des rebelles incarnée par Melanie Lynskey et Perry, son lieutenant joué par Jeffrey Pierce. Pour l’anecdote, sachez que ce dernier prêtait sa voix à Tommy, le frère de Joël, dans le jeu vidéo. Le personnage de Kathleen me semble très caricatural. Il s’agit d’une cheffe rebelle qui se conduit de façon aussi terrible (voire pire) que l’armée contre laquelle elle lutte : la FEDRA. Elle a au moins l’utilité d’étoffer l’histoire d’Henry, en expliquant pourquoi le jeune homme est à ce point traqué. Il serait en effet impliqué dans la mort du frère de Kathleen. Cela permet d’explorer les thématiques de la fraternité et de la vengeance avant l’heure, mais pas avec la plus grande des subtilités, il est vrai. L’autre nouveauté – et mystère – de l’épisode concerne les tremblements de terre qui semblent surgir à Kansas City (car oui, l’histoire ne se passe plus à Pittsburgh). Ces rares nouveautés sont, comme je l’ai déjà dit, pas toujours très subtiles, mais elles sont du moins utiles, tant pour développer le lore du jeu que pour préparer le terrain de l’épisode 5.
Épisode 5 : « Endure and Survive »
Sans surprise, cet épisode met l’accent sur les deux frères : Henry (Lamar Johnson) et Sam (Kevonn Woodard). On en apprend plus sur l’histoire de ces deux nouveaux personnages. L’aîné est traqué par la cheffe des rebelles de Kansas City car il les a trahis et a provoqué la mort du frère de Kathleen. Si Henry a agi ainsi, c’est pour porter secours à Sam, atteint de leucémie. En plus de souffrir de leucémie, Sam est sourd et muet. Il ne souffrait ni de cette maladie, ni de ces handicaps, dans le jeu vidéo. Je n’ai pas envie d’accuser la série de chercher à remplir des quotas ou de vouloir faire facilement pleurer dans les chaumières. Mais je peux éventuellement reprocher des facilités scénaristiques. Henry avait besoin d’une raison pour trahir les siens et fuir. Il fallait rendre Sam plus vulnérable et attachant. Une fois encore, l’adaptation peut légèrement manquer de subtilité. Ceci étant dit, la surdité de Sam apporte une ambiance et quelques scènes magnifiques, et c’était bien l’effet recherché. Pour commencer, l’épisode est plus silencieux et permet de savourer les compositions de Gustavo Santaolalla. Ensuite, on angoisse pour Sam, qui n’entend rien dans un monde où le moindre bruit peut alerter un Claqueur. (Malheureusement, ce contraste n’est guère exploité). Mais le plus intéressant demeure l’ardoise magique dont se sert Sam pour s’exprimer. Cela entraîne quelques échanges remarquables, et une scène finale iconique. Sourd ou non, Sam est de toute façon adorable, non seulement grâce à son interprète mais aussi grâce à l’iconographie des super-héros qui l’enveloppe, tout au long de l’épisode. Le petit garçon est féru de justiciers, c’est pourquoi il en dessine partout. Pour l’encourager, Henry utilise du maquillage rouge pour peindre un masque sur le haut de son visage. La mise en scène fait encore preuve d’astuce car le même masque rouge se reflète sur le regard d’Henry, lorsque celui-ci surveille ce qu’il se passe dehors, avant de sortir de leur cachette. La thématique des super-héros ne s’arrête pas là, puisqu’un nouveau collectible du jeu fait son apparition. Il s’agit du comic book « Savage Starlight ». Ellie et Sam en sont fans, ce qui renforce leur amitié. Qui plus est, la citation de la bande-dessinée « Endure and Survive » donne son titre à l’épisode. Cette iconographie du super-héros n’est pas seulement présente pour sublimer Sam ou pour illustrer son amitié avec Ellie. Elle en dit long sur Ellie elle-même. Contrairement au jeu vidéo, Ellie révèle à Sam qu’elle est immunisée lorsqu’elle apprend qu’il a été mordu. Elle essaie de le sauver en appliquant sur sa morsure, son propre sang. Bien que cette tentative de sauvetage se solde par un échec, cela montre qu’Ellie a l’âme d’une sauveuse. C’est non seulement malin mais aussi très utile pour la suite des épisodes.
Cet épisode met aussi l’accent sur Henry, l’aîné. Son profil est davantage mis en parallèle avec celui de Joël. Tous deux veillent sur un enfant bien qu’ils ne soient pas leur père respectif. Ils sont prêts à tout pour défendre l’enfant en question, même si cela n’a aucun sens, comme se plaît à le souligner Kathleen. Comme vous le savez, je ne porte pas la cheffe des rebelles dans mon cœur. En pleine scène d’action, celle-ci entre dans un monologue de méchant, où elle explique ce parallèle sans subtilité, au cas où cela n’était pas suffisamment explicite. Heureusement, elle se fait vite dévorer par une petite infectée affamée. Je ne semble guère tendre face aux manques de subtilité mais je maintiens que The Last of Us est – jusqu’à présent – une adaptation très intelligente et solide. D’ailleurs, cet épisode 5 est excellent en tout point. Non seulement il parvient à rendre attachants des personnages inédits en à peine une heure, mais il sublime certains passages du jeu vidéo. Les scènes d’action et d’effroi sont plus rares, mais diablement plus marquantes ! Comme dans le jeu, Joël, Henry, Ellie et Sam décident de fuir la ville en passant par les tunnels. Bien que les décors soient très fidèles à ceux du jeu, ils n’y rencontrent aucun infecté. En revanche, la scène d’action de la banlieue est non seulement respectée, mais carrément intensifiée.
Le quatuor est pris pour cible par un sniper, que Joël s’empresse de neutraliser. Nos héros sont ensuite attaqués par les rebelles qui ne sortent pas de nulle part, puisqu’ils ont été introduits, dès l’épisode précédent. Alors que tout semble perdu pour eux, le tremblement de terre se fait de nouveau sentir et… un raz-de-marée d’infectés se jette sur les humains. Cette scène est très impressionnante visuellement, et emplie de tension. Non seulement les maquillages de Barrie Gower (Game of Thrones) sont très crédibles, mais la mise en scène apporte une plus-value, comme lorsqu’Ellie se retrouve prisonnière d’une voiture avec la petite infectée. Cela soit dit en passant, cet épisode permet d’avoir un aperçu des différents stades de l’infection. Un humain qui vient d’être contaminé devient un Coureur. Lorsque le champignon mûrit sur son visage, il devient un Rôdeur. Il peut alors se montrer plus sournois et agile. Le stade 3 de l’infection est le Claqueur, aveugle mais mortel. Et enfin vient le Colosse, qui semble protégé par une armure. Comme dans le jeu vidéo, il ne fait qu’une bouchée de ceux qui ont le malheur de se trouver sur son chemin. Au revoir Perry. On a trop peu vu le Colosse à mon goût, mais il n’en a pas moins marqué les esprits. En dépit de l’urgence de la scène, ni Joël ni la narration ne perdent le nord. Joël, armé de son sniper, n’a qu’une obsession : celle de protéger Ellie. C’est pourquoi cette scène d’action était non seulement haletante mais aussi virtuose.
Une fois n’est pas coutume, la fin de l’épisode est crève-cœur. Sam et Ellie ont une ultime discussion, où elle lui apprend qu’elle est terrorisée par l’idée de se retrouver seule, ou abandonnée. Sam ayant été mordu, il se transforme, dès le lendemain matin. Voyant qu’il s’en prend à Ellie, Henry lui tire dessus et le neutralise. Incapable d’accepter son geste, il se suicide en se tirant une balle dans la tête. Alors que la scène du jeu vidéo s’arrêtait brutalement, la série choisit de montrer la réaction d’Ellie, ainsi que l’enterrement des deux frères. Cela est moins percutant, mais probablement plus touchant. Ellie utilise l’ardoise magique de Sam pour décorer sa tombe et présenter ses excuses. Non seulement cela fait référence à la tombe d’un enfant que Joël et Ellie croisent, peu avant le barrage de Tommy, dans le jeu vidéo ; mais cela démontre aussi qu’Ellie considère qu’elle a échoué dans sa mission de super-héroïne. Elle risque aussi fort de souffrir du syndrome de la survivante. Il y a une fois encore beaucoup à dire sur cette adaptation, certes non exempte de défauts, mais tout de même extrêmement solide et bouleversante.
A suivre…
Bien que je me plaise à souligner quelques défauts et que la série amène trop peu d’effets de surprise à mon goût, je passe un excellent moment devant chaque épisode. Cela faisait longtemps que je n’attendais pas la suite d’une série, avec autant d’impatience. Et puis, objectivement, il ne faut pas douter qu’il s’agit de l’adaptation d’un jeu vidéo la plus respectueuse que nous ayons eue, jusqu’à présent. On se retrouve donc dans deux semaines pour parler des épisodes 6 et 7de The Last of Us. Alors qu’il reste la moitié du jeu à adapter (6 chapitres de durée très variable, ainsi que le DLC « Left Behind ») ; la série ne compte plus que 4 épisodes devant elle. Au vu des titres ayant été annoncés, je ne doute pas qu’elle parviendra à finir de raconter l’histoire du premier jeu, et qu’elle le fera très bien.
Bien qu’il s’agisse de l’une des licences les plus lucratives au monde, on ne peut pas dire que les jeux vidéo Pokémon brillent de tout leur éclat, ces dernières années. Game Freak et par extension Nintendo ne s’avouent pas vaincus, puisqu’ils continuent à sortir des opus, et ce plusieurs fois par an. Pourquoi s’en garderaient-ils ? Les joueuses et joueurs ont beau crier au scandale à chaque nouvelle parution, les titres continuent à se vendre comme des petits pains. Et je ne leur jette pas la pierre, puisque je me suis moi-même fait attraper par les mailles d’un filet que même le moins subtile des Magicarpe aurait su éviter. Qu’on le veuille ou non, la neuvième génération de monstres de poche est là. Ils évoluent dans une région inédite, Paldea, où l’aventure se veut à la fois plus libre et plus narrative que jamais. En dépit de son ambition, Pokémon Écarlate (ou Violet) souffre de défauts techniques et graphiques prévisibles, si bien que l’on peine à croire que le jeu date de 2022.
Classicisme et contre-courant
Comme dans tout jeu Pokémon, vous êtes amené(e)s à incarner un jeune dresseur ou une jeune dresseuse, qui rejoint l’Académie Orange (pour la version Écarlate). Le prologue est on ne peut plus classique, si bien qu’il rappelle les toutes premières générations de Pokémon. Sitôt votre mère vous a-t-elle prodigué ses derniers conseils que vous choisissez votre premier compagnon de route, parmi trois starters (Poussacha, Chochodile et Coiffeton) avant de partir à l’aventure. Une chose est certaine, vous n’irez pas beaucoup en cours, car vous aurez tout un monde à explorer. Votre objectif ? Trouver votre trésor.
Mais alors que le début semble classique, plusieurs mécaniques sont utilisées à contre-courant. L’exemple le plus adéquat est l’apparition précoce du Pokémon légendaire du jeu : Koraidon. Celui-ci intervient dès le début de l’aventure, puisqu’il fait office de Pokémonture, afin d’évoluer dans le vaste open-world. De la sorte, un lien se crée avec le Pokémon légendaire, plus encore qu’avec votre starter. Certaines missions lui font gagner des compétences, débloquant de nouvelles zones de la map. C’est plutôt bien pensé d’autant que Koraidon ne fait pas tout à fait partie de votre équipe, préservant ainsi l’aura inaccessible qui sied à tout légendaire digne de ce nom.
Vos objectifs sont les mêmes que d’habitude, à savoir compléter votre Pokédex, devenir Maître et mettre fin à la menace d’une certaine Team. Mais une fois encore, on se laisse surprendre par quelque originalité, tant au niveau du fond que de la forme. En fait, le jeu entier ne possède que trois quêtes principales, disponibles en simultané. Vous êtes lâché(e)s dans le vaste monde, où vous pourrez affronter les Arènes dans l’ordre que vous désirerez. En parallèle, il vous faudra dissoudre les quartiers généraux de la Team Star, afin de débloquer de nouvelles zones, et enfin affronter des Pokémon gigantesques dans le but de trouver des épices miraculeuses, pour l’un de vos amis, Pepper. Ainsi, vous êtes totalement libres d’explorer la région à votre guise. Au début, il n’est pas toujours évident de trouver votre chemin, mais le niveau des Pokémon sauvages devrait vite vous guider.
Une narration inspirée
Les quêtes sont très peu nombreuses, mais efficaces. C’est la première fois que je me laisse à ce point entraîner par l’intrigue d’un jeu Pokémon, ou que je trouve les personnages secondaires aussi caractérisés. Certains mini-jeux précédant les Arènes sont peu inspirés, et le titre a du mal à faire intervenir de vrais rivaux ou méchants (au point de risquer la dissonance ludo-narrative puisqu’il faut bien des duels) ; mais dans l’ensemble, la narration est efficace. La Team Star a un véritable passif et est représentée de façon moins manichéenne que d’habitude. La mission nécessitant d’aller chercher des épices est finalement, elle aussi, bien loin de la simple quête fedex de RPG. Il est nécessaire de finir ces trois quêtes pour accéder à la fin du jeu qui réserve, elle aussi, son lot de surprises. Bref, bien que la narration n’ait rien de révolutionnaire ni de particulièrement profond ; c’est un vrai bond ou du moins une bouffée d’air frais venant de la licence Pokémon.
J’ai beaucoup mentionné l’open-world sans préciser que la région Paldea s’inspire de la Péninsule ibérique, comprenant l’Espagne, le Portugal et les îles environnantes. On reconnaît ainsi la faune, la flore et l’architecture hispaniques. Pour ne citer que cela, le bâtiment de l’Académie Orange ressemble énormément à la Sagrada Familia, de Barcelone.
Les nouveaux Pokémon de la neuvième génération ont été imaginés en fonction de cet environnement. On peut mentionner Compagnol, un assemblage de petits rongeurs, Pâtachiot, le chien brioche, Olivini, que l’on retrouve dans les vignes, Terracool, le cousin de Tentacool, ou encore Courrousinge, une nouvelle évolution plutôt charismatique de Colossinge. Le taureau étant l’emblème de l’Espagne, il existe trois nouveaux skins pour Tauros. Celui que vous croiserez dans la plupart des plaines est d’un noir de jais. Selon que vous jouiez à la version Écarlate ou Violet, vous trouverez – plus rarement – un Tauros de type feu ou eau. Ces nouveaux Pokémon sont plutôt mignons et sympathiques, mais pas toujours inspirés. L’un d’eux est tout de même un dauphin qui s’appelle littéralement Dofin. Et tenez-vous bien, il évolue en Superdofin ! Cela ne m’a certes pas empêchée de prendre beaucoup de plaisir à explorer la région de Paldea, riche en environnements variés, afin de débusquer le plus de Pokémon possibles. Chaque espèce se déplace à sa façon et à ses réactions propres sur la map. Un jeu Pokémon ainsi fait était clairement un rêve de gosse.
Archaïsme technique
En parlant d’enfance, j’ai eu l’impression de retourner au début des années 2000, et il ne s’agit pas d’un compliment. On peut dire, sans trop exagérer, que Pokémon Écarlate aurait pu sortir sur PlayStation 2. Les graphismes sont archaïques et ce n’est rien comparé aux défauts techniques du jeu. Les éléments de la carte et les Pokémon sont affichés au dernier moment, les ralentissements sont très réguliers, et ne parlons pas de la caméra complètement folle, surtout pendant les combats. Certes, les graphismes ne font pas tout et les problèmes techniques n’empêchent pas de jouer, mais un tel rendu est ni plus ni moins scandaleux, en 2022.
L’open-world s’inspire clairement de celui de Breath of the Wild mais ne lui arrive, évidemment, pas à la cheville. Comme si l’inspiration n’était pas assez évidente, on retrouve d’ailleurs des coffres rouges, cachés ici et là. Ils sont en fait piégés puisqu’il s’agit d’un Pokémon nommé Mordudor. Bref, le monde ouvert de Pokémon Ecarlate a beau grouiller de Pokémon, et s’avérer assez chill ; il est désespérément vide. Je ne suis pas fan des collectibles ou des quêtes annexes futiles, mais de là à n’en mettre quasiment aucun ! Il est frustrant de n’avoir presque aucun mystère à découvrir dans cette grande map, (du moins avant le post-game, que je n’ai pas fait). Les villes elles-mêmes sont inintéressantes au possible, comparées aux premiers jeux Pokémon. La plupart du temps, il n’est même plus possible de rentrer à l’intérieur des bâtiments, qui ne sont que des façades vides. Les magasins et restaurants se contentent d’afficher des pages d’inventaires et de menus, on ne peut plus répétitifs.
Conclusion
Cette nouvelle génération de Pokémon se distingue par son aptitude à rendre hommage aux premières générations, tout en apportant son lot de nouveautés. Le Pokémon légendaire est une monture permettant d’explorer un monde ouvert intégral. Les trois quêtes principales s’effectuent dans l’ordre désiré. J’ai presque oublié de mentionner l’apparition d’une nouvelle forme de Pokémon, due au Téracristal. Le dernier Pokémon possède des qualités narratives que l’on attendait plus. L’évolution de l’intrigue et la sensation de liberté sont toutefois gâchées par la vacuité de la map, mais aussi le retard scandaleux des graphismes et de l’aspect technique. Une part de moi a été agréablement surprise et s’est bien amusée, avec ce nouveau Pokémon ; l’autre est une fois de plus excédée que Game Freak et Nintendo se moquent à ce point du monde. Ils continuent à vendre, plusieurs fois par an, des jeux bâclés et inachevés. C’est le jeu Pokémon dont j’aurais rêvé quand j’avais dix ans. Alors, peut-être que quand j’en aurai 50, un Pokémon digne de ce nom sortira. Mais ma patience, pourtant plus légendaire que Koraidon, aura certainement atteint ses limites, d’ici là.
Il y a deux semaines, je vous avais partagé mon avis et mon analyse concernant le premier épisode de The Last of Us, adapté par HBO. Deux épisodes sont sortis depuis. Le deuxième s’intitule « Infecté » et le troisième « Long long time. » Or, la série prend une direction très différente de ce qu’on pouvait imaginer. Gare aux spoilers !
Épisode 2 « Infecté » : Un conte macabre
Le deuxième épisode de la série reprend le fil rouge du troisième chapitre du jeu, intitulé « Périphérie ». Après avoir quitté la zone de quarantaine, Tess, Joël et Ellie se retrouvent en plein cœur de la ville. Ils devront traverser le musée abandonné afin de rejoindre le Capitole, où un groupe de Lucioles est supposé attendre l’adolescente. La série fait l’impasse sur de nombreuses phases de gunfights, à commencer par celles contre les êtres humains ; et c’est bien naturel. Je n’ai certainement pas envie de voir une adaptation qui enchaîne les scènes d’action, et il est plus intéressant de prendre le temps d’introduire les infectés, comme premiers adversaires à abattre. Non seulement cela permet d’installer une ambiance, mais les amateurs du genre post-apocalyptique savent pertinemment que les humains sont finalement les ennemis les plus dangereux. Il ne sert à rien de les faire intervenir trop vite. Comme le dit l’adage, rien ne sert de courir ; il faut partir à point. En dehors de ce changement dû au médium, le fil rouge de l’histoire est scrupuleusement respecté. Le pilote laissait déjà supposer que la série serait extrêmement fidèle. Cela se vérifie par la bande originale et certains plans, mimant ceux du jeu. Ce respect s’exprime aussi à travers certaines lignes de dialogue, comme lorsqu’Ellie demande à Tess et Joël si certains infectés lancent des projectiles acides ou ressemblent à des chauve-souris. Il s’agit de références évidentes à divers ennemis des jeux. A ce rythme, il devient plus que probable que chaque épisode corresponde plus ou moins à un chapitre du jeu. Cela n’a rien de surprenant dans la mesure où la saison est supposée adapter l’ensemble du premier titre. En revanche, bien qu’une saison 2 soit effectivement en préparation, elle ne devrait pas englober l’ensemble des événements de The Last of Us Part II, dont l’histoire est nettement plus longue.
Non seulement The Last of Us est une série fidèle, mais c’est aussi une production de qualité. Le travail effectué sur la mise en scène se traduit par des plans magnifiques, comme celui où Ellie se repose dans les décombres, baignée de lumière. Les décors, tout en étant réalistes, retranscrivent à merveille l’ambiance du jeu. Et il en va de même pour les maquillages et effets spéciaux, clairement bluffants. L’autre grand atout de l’adaptation réside dans le développement des personnages et la façon dont ils sont interprétés par les comédiens et comédiennes. Anna Torv donne vie à une Tess aussi ferme et aguerrie qu’on pouvait l’imaginer. Le sacrifice de Tess a une importance capitale dans la mesure où sa dernière volonté est de demander à Joël de conduire Ellie en sécurité. Bella Ramsey est – malheureusement – décriée sur les réseaux sociaux pour son apparence physique. C’est plus écœurant que surprenant, mais cela ne retire rien à son jeu d’actrice. Elle incarne une Ellie plus vraie que nature, et ce avec beaucoup de subtilité. Elle parvient à la rendre rebelle et taquine, sans devenir irritante. Ellie déborde d’enthousiasme car elle découvre littéralement le monde. Certains échanges sont d’ailleurs très drôles, à commencer par le running gag sur les sandwichs. Mais cela ne l’empêche de dévoiler, très subtilement, des blessures secrètes. A vrai dire, bien que j’aime beaucoup Pedro Pascal, je trouve Joël nettement moins nuancé pour le moment. Il ne fait aucun effort avec Ellie, ce qui est normal, mais peut-être est-il parfois trop puéril, lorsqu’il la remballe comme s’il était lui-même un adolescent. Il ne manifeste pas non plus de grands témoignages d’émotion ni de tristesse ; mais il est possible que Pedro Pascal nous réserve son grand jeu pour les derniers épisodes. En tout cas, il est vrai que la froideur de Joël et la fidélité extrême du scénario font que – jusqu’à cet épisode 2 – j’éprouve un certain détachement vis-à-vis de la série.
L’épisode 2 demeure tout de même d’excellente facture. Il est très enrichissant de voir le lore du jeu se développer, aussi sûrement que les vrilles d’un champignon sur la steppe. Car oui, les infectés sont connectés, ce qui expliquerait que plusieurs d’entre eux se ruent sur une cible, dès qu’elle est repérée ou qu’elle a le malheur de produire des pulsations, au mauvais endroit. Le principal approfondissement réside dans le flash-black présent au début de l’épisode. On y rencontre une scientifique, catégorique sur le fait que la mutation du Cordyceps ne connaît aucun remède, et signe irrémédiablement la fin de l’humanité. Plus surprenant encore, l’épisode 2 impose son propre registre et sa propre tonalité, comme si – en dépit du fil rouge –, chaque épisode allait avoir sa personnalité. La grande vedette d’ « Infecté » est évidemment le Claqueur, que l’on voit pour la première fois. La scène du musée, par sa tension et ses jeux d’ombre, est brillamment mise en scène. Non seulement le maquillage du Claqueur est très convaincant, mais tout dans les bruitages ou les mouvements saccadés de l’interprète, éveille le malaise et l’angoisse. Ce deuxième épisode s’intègre dans le genre horrifique, tout en possédant sa part de poésie. Le gros plan sur la marre, qui regorge de canards et où une grenouille bondit sur les touches d’un piano, est probablement une piste de lecture. La mort de Tess ne se déroule pas exactement comme dans le jeu vidéo. Après avoir été mordue, celle-ci se sacrifie. Or, elle ne lutte pas contre des hommes ; elle fait face à une horde d’infectés. L’un d’entre eux s’approche d’elle avant d’essayer de la contaminer, en lui donnant un baiser mortel. Cette scène m’a pris au dépourvu et m’a laissé perplexe, mais en revisionnant l’épisode, l’intention paraît plus logique. « Infecté » a tout du conte de fées macabre.
Épisode 3 « Long long time » : Les contemplations
C’est – à mon sens – avec l’épisode 3 que The Last of Us prend une nouvelle direction et commence à montrer ce qu’elle a vraiment dans le ventre. « Long long time » correspond au chapitre 4 du jeu « La ville de Bill ». Joël et Ellie sont supposés retrouver Bill qui les aide normalement à traverser le cimetière puis le lycée, dans le but de trouver un véhicule en état de marche. Dès le chapitre 4, les joueurs et joueuses découvraient une nouvelle forme d’infecté. Le Bill du jeu est un survivaliste, qui n’apprécie guère Joël, et encore moins Ellie. Celle-ci découvre son homosexualité mais le sujet est seulement effleuré. En effet, on s’aperçoit que le partenaire de Bill, Frank, vient de le quitter. On retrouve d’ailleurs la dépouille de Frank, pendu, à la fin du chapitre. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la série n’emprunte pas du tout ce cheminement. Certes, Ellie et Joël arrivent dans la ville de Bill. D’ailleurs, l’adolescente s’enthousiasme, comme dans le jeu, pour une borne d’arcade. Mais la fidélité du scénario s’arrête là. L’épisode préfère retourner en 2003, pour suivre le déroulement de l’épidémie puis de la vie post-apocalyptique, depuis le point de vue de Bill. Il s’agit d’un véritable récit enchâssé, s’étendant sur plusieurs années. On apprend que Bill était un loup solitaire avant de faire la rencontre de Frank. Les deux hommes tombèrent aussitôt amoureux et décidèrent de faire leur vie ensemble. Las de l’isolement, Frank fit la rencontre de Tess, à travers un signal radio. C’est ainsi que Joël devint – bon gré mal gré – « l’ami » de Bill. La ville de Bill ressemble à un vase clos, bien qu’elle soit parfois prise d’assaut par des infectés ou des pilleurs. Les deux hommes vieillissent ensemble, mais la santé de Frank finit par décliner ; si bien qu’il demande à Bill un suicide assisté. Fou de chagrin, Bill décide de partir avec lui. Lorsque Joël et Ellie arrivent, les deux hommes sont déjà morts. C’est un changement radical avec l’histoire du jeu bien que, au final, le résultat soit le même. Joël a récupéré des armes et un véhicule, pour escorter Ellie.
On est en droit de se demander pourquoi la série a pris le temps d’intégrer aussi longuement Bill et Frank, dans la mesure où ils ne rencontrent pas directement les protagonistes. Leur arc ressemble à un court-métrage indépendant de l’intrigue principale. Il contraste avec le reste de la série par son aspect contemplatif et son émotion. Car oui, l’épisode est extrêmement triste et émouvant, à la limite du pathos. Et c’est là que Neil Druckmann et Craig Mazin dévoilent ce que doit être une véritable adaptation. La question n’est pas de suivre au pied de la lettre une série d’événements. L’essentiel est de capturer l’essence des personnages et de l’histoire, afin de la diffuser dans un autre flacon. A ce titre, l’épisode 3 de The Last of Us relève du génie. Bien que Joël et Ellie commencent à avoir une meilleure alchimie, ils ne sont pas encore proches. Joël essaie de renseigner Ellie sur l’origine de la pandémie, ce qui renforce leur lien et développe le lore, mais ça s’arrête là. Cela soit dit en passant, il est palpable que la série puise son inspiration dans la crise sanitaire du COVID-19. Malgré toute sa souffrance, Joël a par ailleurs beaucoup de mal à démontrer ses sentiments. L’histoire de Bill et Frank, loin d’être un arc isolé, permet de comprendre les enjeux autour de la relation entre Joël et Ellie, mais aussi d’expliciter la psychologie de Joël, à travers son alter-ego Bill. Je ne me serais jamais attendue à ce que Bill et Frank aient un tel impact sur la série, avec finalement peu de présence à l’écran. (Bien qu’ils occupent la majeure partie de l’épisode 3, il est peu probable que nous les revoyions.) On doit cette force à une écriture exemplaire mais aussi aux performances incroyables de Nick Offerman et Murray Bartlett.
L’épisode 3 prend l’histoire du jeu à contre-pied, ce qui – pour être honnête – me rassure. Je suis heureuse de constater que la série apporte une véritable plus-value au jeu, plutôt que de simplement le singer. Pour la première fois, j’ai été surprise et ai ressenti de véritables émotions ; l’épisode étant incommensurablement triste. Enfin, mon détachement vis-à-vis de la série est rompu et ma curiosité n’en est que redoublée. Qui plus est, environ dix ans après la sortie du jeu, on assiste à une représentation plus approfondie et sincère de l’homosexualité. Bill n’est pas seulement un vieux grincheux qui lit des magasines cochons et qui a poussé son « partenaire » à fuir. Il a eu une relation longue et sincère avec Frank, qui n’a pas voulu s’en aller, mais plutôt mourir auprès de lui. L’autre contre-pied consiste à ne pas montrer une énième mort qui se fait dans l’urgence ou la violence extrême. La fin du monde peut aussi se montrer désespérément longue et pleine de solitude. Frank n’est pas vaincu par un infecté ni par un pilleur comme Bill le craignait, mais bel et bien par une maladie, qui n’aurait même pas pu être soignée dans une société civilisée. Prisonnier de son propre corps, il a tout de même la liberté de choisir la date et la méthode de sa mort. Aussi décide-t-il de s’endormir dans les bras de celui qu’il aime. L’épisode est une ode aux relations humaines mais aussi à l’art. Et c’est là qu’il capture l’essence même du jeu, qui ne raconte pas une simple histoire d’infectés, mais celle d’un père et d’une fille. Dans les jeux, comme dans l’épisode 3, l’art a une place prépondérante dans ce monde dévasté. Bill et Frank se retrouvent à travers la musique, comme c’est le cas d’Ellie, Joël et Dina. Frank se révèle par ailleurs être un brillant peintre. On retrouve d’autres symboles propres au jeu. Ce n’est pas Frank qui laisse une lettre pour Bill mais Bill lui-même qui adresse un courrier à Joël, où il lui rappelle l’importance de veiller sur quelqu’un qui mérite de l’être. Le plan final de l’épisode s’arrête sur une fenêtre. Une douce brise de vent s’en échappe, berçant les rideaux. C’est une référence aux menus iconiques des jeux, qui représentent l’once d’espoir et de lumière, persistant à travers les ténèbres. En rentrant dans une voiture pour la première fois, Ellie compare cela à un vaisseau spatial, ce qui est une allusion évidente à une scène de The Last of Us Part II.L’histoire de Bill et Frank n’est pas magnifique simplement parce qu’elle est contemplative et émouvante, mais aussi et surtout parce qu’elle développe, sans en avoir l’air, la relation et la psychologie de Joël et Ellie. En ce sens, « Long long time » est une leçon d’écriture et surtout d’adaptation.
La tournure prise par la série de HBO me surprend et me séduit terriblement. Si ce n’est déjà fait, je vous invite à découvrir mon analyse de l’épisode 1. Et on se retrouve, sans faute, dans deux semaines, pour parler des épisodes 4 et 5 de The Last of Us.
Horizon Forbidden West, suite de Zero Dawn, est un action-RPG, sorti au début de l’année 2022. Plongés dans la peau d’Aloy, les joueurs et joueuses explorent unopen-world post-apocalyptique. La nature a repris ses droits en Amérique Occidentale, mais pas que. La Californie est effectivement sous l’emprise des machines. Bien que je ne sois pas fan de robots géants, Horizon possède un univers contrasté que j’aime bien. Cet univers, bien sûr, n’a pas le même effet de surprise que dans le premier volet. Forbidden West tire son épingle du jeu en s’affirmant comme l’un des titres les plus représentatifs de la next-gen. Cela ne m’empêche pas de regretter une absence de prise de risques ou de sincère originalité.
Un monde de contrastes
Ce n’est un secret pour personne, nous sommes amené(e)s à incarner Aloy, une jeune chasseuse de machines qui n’a plus à faire ses preuves, depuis les événements survenus dans le premier opus. Aloy veut littéralement dire « élue ». Bien que le caractère de l’héroïne se soit affirmé, je regrette qu’elle soit aussi rigide et ne se préoccupe finalement que d’accomplir son devoir, quoi qu’il en coûte. L’écriture d’Horizon ne brille pas par ses personnages mais par l’installation d’un univers atypique et contrasté.
Il est grisant d’explorer un monde à la fois futuriste et primitif. Privés de toute forme de technologie avancée, les différents peuples portent des tenus traditionnelles et vivent en harmonie avec la nature. Ils n’ont pourtant pas à affronter des prédateurs comme les autres. Alors que les animaux se font rares, la terre est foulée par des machines, inspirées de créatures herbivores, carnivores voire de… dinosaures. Certaines machines sont non seulement impressionnantes, mais aussi très menaçantes. La faune et la flore d’Horizon Forbidden West proposent un contraste saisissant, et d’autant plus beau que les graphismes sont magnifiques. Alors que les plaines sont colorées de fleurs multicolores, les machines mécaniques continuent leurs rondes. Lorsqu’Aloy s’aventure dans des ruines appartenant à un autre âge, elle ne tombe pas sur des décombres datant de l’Antiquité Romaine ou de la Préhistoire, mais sur des immeubles plus sophistiqués que les nôtres. Il est incroyable de tomber sur les ruines de Las Vegas, ou encore sur une statue dite antique, représentant un homme habillé de façon presque contemporaine.
Comme si ce contraste ne suffisait pas, le jeu utilise une onomastique assez maligne. Ainsi, les machines et autres intelligences artificielles possèdent des noms faisant référence à la mythologie grecque. On ne présente plus Gaïa, qui, dès l’antiquité, est la déesse de la Terre. Des missions du jeu nécessitent de retrouver Éther, représentant le ciel, Déméter, l’agriculture et Poséidon, dont le nom provient du dieu des océans. Bien naturellement, cette mission se déroule en grande partie dans des décombres inondés. On rencontre aussi les noms d’Héphaïstos et Némésis, qui étaient respectivement les divinités de la forge et de la vengeance. En s’inspirant de peuples primitifs, de mythologie ainsi que de science-fiction, Horizon Forbidden West propose un univers qui sort du lot, et qui remet en question nos perspectives vis-à-vis de l’Histoire ou de l’avenir.
Une impression de déjà-vu
Malheureusement, le système de jeu et les mécaniques de gameplay du titre sont loin d’être aussi imaginatifs. Il s’agit d’un open-world des plus classiques qui, outre la quête principale, propose une flopée de quêtes annexes. Si certaines sont scénarisées, on retrouve d’autres types de contenus, comme les zones de chasse, les camps ennemis, les courses, les creusets et ruines ou encore les sacro-saints collectibles. Bien que l’histoire se situe en Californie, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
La carte du monde est inondée de symboles et nous avons toujours une activité annexe à accomplir. Les activités en question inspirent un sentiment de déjà-vu, ou peuvent se révéler rébarbatives. Je pense particulièrement aux fosses de combat, qui obligent à utiliser des combos impossibles à reproduire par la suite, tant la série de touches est interminable ou capricieuse. Comme tout RPG digne de ce nom, Horizon Forbidden West a malheureusement jugé utile d’intégrer un mini-jeu, nommé Attakth, qui fait penser aux Échecs, avec des pièces et des règles plus personnalisées. En de très rares occasions, l’aventure permet de faire des choix, qui n’ont de toute manière pas de grandes conséquences. Cette notion de choix est tellement rare que c’est à se demander pourquoi elle a été introduite. Pour finir, il me faut souligner la difficulté du jeu, où, même en mode normal, les ennemis sont capables de vous tuer d’un seul coup.
Il est évident que j’ai abordé Horizon Forbidden West avec un peu de lassitude. Cela est certainement dû au fait que j’ai terminé beaucoup de RPG et open-worlds. Qui plus est, j’avais fini Death Stranding, quelques mois plus tôt. On apprécie le jeu de Kojima ou non, mais on ne peut lui retirer le fait qu’il sorte des sentiers battus par l’industrie du jeu vidéo, depuis des années. Aussi ne puis-je m’empêcher de penser que Horizon saura ravir des joueurs moins coutumiers des open-worlds, ou qui seront tout simplement plus galvanisés par l’intrigue que je ne l’ai été. Notons que, même si Horizon Forbidden West n’invente rien, il est indéniable qu’il excelle dans tout ce qu’il emprunte à ses prédécesseurs.
Un jeu à sensations
C’est bien simple, Horizon Forbidden West est l’un des rares jeux qui m’a véritablement donné la sensation d’être sur next-gen, depuis que je possède une PlayStation 5. J’ai déjà évoqué la beauté des graphismes ou de la direction artistique. Bien que le jeu m’ait donné l’impression d’enfoncer des portes déjà ouvertes, force est de constater qu’il le fait très bien. On retrouve ainsi tous les ingrédients majeurs d’un RPG, exécutés à leur paroxysme.
J’ai particulièrement apprécié l’exploration du monde qui se fait toujours de manière progressive, grâce à la possibilité de pirater les grands-cous, qui éclaircissent la carte. Horizon Forbidden West propose une verticalité beaucoup plus aboutie que dans le premier épisode. Venir à bout d’un grand-cou donne véritablement la sensation de gravir des sommets et d’accomplir des prouesses. Les épisodes de plate-forme sont rondement bien menés. Qui plus est, Aloy n’est pas obligée de se déplacer à pieds. Elle peut pirater différentes montures, (dont une ressemblant à un fucking vélociraptor), mais aussi emprunter la voie des airs, ce qui est particulièrement grisant.
Lorsqu’Aloy pirate quelque chose, la gâchette de la manette PlayStation 5 est plus dure et les vibrations sont différentes. Et ce n’est pas la seule fois où le jeu exploite les facultés de la manette Dualsense ! Enfin, Horizon Forbidden West est un jeu malin, ayant bien compris la lassitude de certains joueurs fassent aux open-worlds démesurés. Ainsi, certaines activités et surtout la plupart des collectibles sont loin d’être obligatoires, pour conquérir le trophée Platine. J’ai beau regretter l’absence de personnalité d’Horizon Forbidden West, je ne peux nier à quel point le jeu s’avère généreux et abouti.
Conclusion
Horizon Forbidden West propose un univers contrasté, dans lequel des peuples primitifs affrontent des machines futuristes. Explorer les ruines de Las Vegas offre des sensations inégalables. Ce qui est amusant, c’est que le jeu est un contraste lui-même. Bien qu’il s’agisse d’un titre on ne peut plus représentatif de la next-gen, il demeure l’héritier de tout ce qui s’est fait d’honorable, ou de moins inspiré, dans l’histoire du RPG. Horizon Forbidden West n’invente rien, et pourtant, en parallèle, il conduit les mécaniques de jeu à leur aboutissement le plus complet. Ce titre clôture à merveille l’époque de la PlayStation 4, tout en servant de vitrine à la PlayStation 5, grâce à ses graphismes magnifiques ainsi qu’à une manette Dualsense efficacement exploitée. Mais Horizon Forbidden West manque d’inventivité, à une époque où les joueurs se lassent des open-worlds et souhaitent sortir de leur zone de confort. Même si je n’y ai pas joué, la popularité d’Elden Ring en est la démonstration indiscutable. Somme toute, bien qu’il ne m’ait ni surprise, ni particulièrement faite vibrer, Horizon Forbidden West demeure un jeu irréprochable sur le plan technique. Si le cœur vous en dit, n’hésitez donc pas à découvrir les dernières aventures d’Aloy.
J’ai récemment joué àDonut County (2018), un jeu de réflexion imaginé par Ben Esposito. L’un des protagonistes est un raton laveur fan de jeux vidéo et assez irresponsable. Par sa faute, la ville est progressivement engloutie par un trou – que nous contrôlons – et qui grandit, au fur et à mesure qu’il avale des objets. Ce jeu indépendant, sans être inoubliable, m’a incité à me demander d’où pouvaient surgir de telles idées de concepts.Donut County serait a priori né suite à une compétition de création de jeux vidéo, dont les scénarios étaient issus d’un compte tweeter parodiant Peter Molyneux (Fable). Je me suis également demandé quel était l’intérêt de faire d’un animal le protagoniste d’un jeu, et en quoi cela pouvait impacter la narration ou le gameplay. En l’occurrence, nous ne contrôlons pas directement le raton laveur, dans Donut County, et celui-ci est par ailleurs personnifié. Autrement dit, il se comporte et s’exprime comme un être humain. Mais ce n’est pas le cas des deux jeux dont je m’apprête à parler : je pense à un requin-bouledogue et à un chat tigré.
Comme requins et chats
Maneater est un jeu développé par Tripwire Interactive et sorti en mai 2020. Les joueurs sont invités à suivre une télé-réalité commentant les mésaventures d’un chasseur de requin. Nous sommes amenés à contrôler un requin-bouledogue, dont la mère a été tuée par le pécheur en question. Il s’agit donc d’une histoire de vengeance.Stray a, pour sa part, été développé par BlueTwelve Studio, avant de sortir en juillet 2022. Les joueurs contrôlent cette fois-ci un chat errant, vagabondant dans une ville cyperbunk, peuplée de robots.
A-RPG et Science-fiction revisités
Le premier jeu est un action-RPG, se déroulant dans un monde ouvert. Le requin fait des trucs de requin, mais dans un gameplay si détonnant avec sa condition de squale que cela en devient aussi astucieux que déconcertant. Le requin, d’abord bébé, a besoin de tuer d’autres animaux marins avant de grandir et de se développer. C’est ainsi qu’il gagne des points d’expérience. Il peut également débloquer de nouvelles évolutions à cause de la radioactivité des lieux, au point de devenir un mégalodon moderne et de venir à bout des supers prédateurs – ou des humains – sans difficulté. En dehors de ces compétences invraisemblables, le requin est très ordinaire, dans la mesure où il n’est aucunement personnifié. Tripwire Interactive a d’ailleurs basé le jeu sur le concept de télé-réalité pour palier à l’impossibilité du squale de s’exprimer. Ainsi, Maneater est tout de même ponctué de commentaires ironiques et irrévérencieux.
Le chat, dans Stray, fait aussi des trucs de chat. Certains trophées du jeu nécessitent de miauler cent fois ou de dormir au moins une heure, sans toucher la manette ! Le félin n’est ni doté du don de la parole, ni de compétences sortant de l’ordinaire. Le bavardage sera confié à son fidèle compagnon : un robot nommé B-12. La seule particularité de ce chat réside finalement dans le fait d’arpenter un univers cyberpunk, déserté par les hommes. Les joueurs seront amenés à passer des obstacles ou à faire preuve de réflexion afin de progresser dans le monde. Quand le paradoxe installé dans Maneater (un requin devient le héros d’un action-RPG) est aussi absurde que burlesque, le parti pris de Stray rend l’aventure terriblement poétique et envoûtante. En contrôlant un simple chat, perdu dans un monde post-apocalyptique, les joueurs sont plongés dans l’immensité et la contemplation.
Références et critiques
Qualifier Maneater de burlesque ou absurde n’est en rien une critique, puisqu’il s’agissait de l’ambition du titre. Les créateurs souhaitaient proposer un jeu « complètement nouveau et unique » tout en contournant « la limite entre plausible et ridicule ». Le moins que l’on puisse dire est qu’ils y sont parvenus. Maneater est un action-RPG et un open-world modeste, certes, mais réussi. On sent que le studio s’est inspiré de mastodontes tels Far Cry ou Breath of the Wild. C’est précisément ce soin apporté au gameplay qui contraste avec la nature du protagoniste et crée la tonalité burlesque. Selon toute vraisemblance, Maneater est inspiré d’un jeu méconnu nommé Jaws Unleashed (2006), dans lequel on pouvait incarner un squale. Les sauts prodigieux de notre requin hors de l’eau ne sont pas non plus sans rappeler les affiches de Sharknado, la célèbre saga nanardesque du cinéma. En dépit de cet humour absurde, Maneater n’est toutefois pas dénué de fond, puisqu’il est question de dénoncer la pollution des océans ; ou encore de mettre en scène la revanche de la nature contre l’humanité. Peut-être s’agit-il même de la revanche des animaux du jeu vidéo en général, puisqu’ils font souvent office de proies à chasser dans bien des titres.
Aussi étonnant que cela puisse sembler, le message sous-jacent n’est pas si éloigné de celui de Stray. Le chat errant explore un monde post-apocalyptique, où l’on devine que l’homme a couru à sa propre perte. Les robots restants n’osent pas quitter les taudis ni le centre-ville où ils vivent car ce monde plongé dans l’obscurité est à la merci des Zurks, des petites créatures dévorant tout sur leur passage. Or, l’esthétique du jeu a été inspirée par la Citadelle de Kowloon, une enclave chinoise qui était située non loin de Honk Kong, jusqu’aux années 90. Il y avait une très forte densité de gens dans cette citadelle privée de lumière, à cause des hauts bâtiments. Les lieux auraient été victimes d’une forte criminalité et de mauvaises conditions sanitaires, avant leur évacuation puis leur destruction. De fait, Stray se veut la dénonciation de l’urbanisation ou de la surexploitation de la technologie.
Conclusion
Maneater et Stray sont des jeux très différents. L’un est un action-RPG se déroulant dans un monde ouvert où le requin, très féroce, s’emploie à dévorer des gens, sous les commentaires sarcastiques d’une équipe de télé-réalité. Le ton est volontairement absurde est burlesque. Stray permet d’incarner un chat astucieux, certes, mais plus inoffensif. Accompagné du robot B-12, le félin arpente un monde post-apocalyptique, à l’esthétique cyperpunk. La tonalité est plus sérieuse et poétique, rendant le sous-texte plus évident.
Et pourtant, les deux jeux ont été crées suite à l’envie de proposer des expériences novatrices et nouvelles. Qui aurait pensé à faire d’un requin le héros d’une quête vengeresse et d’un RPG, si ce n’est Tripwire Interactive ? De la même manière, propulser un chat dans un monde cyberpunk est une idée dont on ne peut nier l’originalité. Bien que les gameplays de Maneater ou Stray n’inventent aucune formule, celles-ci sont revisitées par le fait de devoir incarner des animaux. Nos deux protagonistes possèdent des nageoires, des pattes et des crocs mais ne peuvent manier aucun outil, ni utiliser la parole. Les studios doivent donc se montrer inventifs pour faire progresser la narration. Par ailleurs, l’incarnation d’un animal reflète le désir de renouer avec la nature ainsi que de dénoncer certains travers de la société moderne.
De nombreux jeux, souvent indépendants, proposent des concepts novateurs ou nous plongent dans la peau d’une bête. L’intention première est certainement de créer une expérience originale et ludique, mais cela permet également de réinventer certaines mécaniques de gameplay ou de transmettre des messages.
Nous sommes le 1er juin 2022 lorsque je m’apprête à lancer Death Stranding sur PlayStation 5. Ma vie a basculé depuis un an et demi et aucun jeu ne m’a véritablement fait vibrer depuis Little Nightmares II(février 2021) et The Last of Us Part II (juin 2020). Les aléas de la vie m’ont-ils rendue hermétique à l’immersion proposée par les jeux vidéo ? Dois-je me détourner quelque peu de ma passion à l’aube de mes 30 ans ? Très tôt, l’aventure de Sam Bridges m’intrigue. Je me laisse surprendre par l’histoire, a priori cryptique, puis transporter (sans mauvais jeu de mots) par le gameplay. Pendant très exactement un mois, le jeu occupe à la fois mes pensées et mon temps libre. Il fait écho en moi et m’aide à passer un cap, allant jusqu’à me souhaiter un heureux anniversaire le jour fatidique. A l’heure où j’écris cet article, je n’ai pas touché à Death Stranding depuis presque deux mois. Il continue pourtant à occuper mes pensées, après y avoir laissé une marque aussi indélébile que l’empreinte d’un échoué. Death Stranding est de ces jeux que j’oublierais volontiers simplement pour avoir la satisfaction extatique de le découvrir une nouvelle fois. Par son intrigue, son gameplay, ses personnages et son dénouement, il s’est hissé sans problème auprès de mes œuvres vidéoludiques favorites.
Il y a tant à dire sur cette aventure ineffable, difficile à résumer et encore plus à analyser.Death Stranding est un jeu d’un genre nouveau, qui, tout en abordant des thématiques vieilles comme le monde, le fait avec modernisme et témérité. Ambivalente par définition, la dernière création de Hideo Kojima n’hésite pas à renforcer l’immersion jusqu’à son paroxysme, afin de mieux briser le quatrième mur par la suite. Death Stranding n’est pas seulement une lettre d’amour aux jeux vidéo, mais aussi à l’art et au cinéma. Cet assemblage de cultures et de croyances variées est le terrain de jeu de personnages authentiques, inextricablement liés les uns aux autres. Hideo Kojima le reconnaît lui-même : « Je ne veux pas que mes personnages soient de simples lignes de code. Il faut qu’ils soient comme de vraies personnes, qu’ils soient vivants, organiques. Je veux également retranscrire les difficultés qu’ils traversent. » C’est pourquoi cette analyse se fera à travers le prisme des personnages principaux de Death Stranding. Sans doute est-il inutile de préciser que cet article comporte des spoilers.
A strand game
Bridget Strand, le pont entre les mondes
Étendue dans un lit d’hôpital, Bridget Strand (Lindsay Wagner) sait que ses jours sont comptés. Au-dessus de son lit planent les entremêlements de fils dont sa vie dépend, désormais. Ils évoquent aussi la pluie battante qui s’écrase sur le sol, dehors, privant la terre de toute vie. Bridget Strand est la dernière Présidente des États-Unis. Elle espère que son rêve d’unifier les villes survivantes ne s’éteigne pas avec elle. Bridget Strand est à l’origine de tout. Et son nom l’indique. Les personnages de Kojima, aussi authentiques soient-ils, demeurent à la fois symboliques et fonctionnels. C’est pourquoi l’onomastique est très révélatrice. Bridget est un dérivé de « bridge », le « pont » en anglais. Strand renvoie directement au titre du jeu. Ce mot désigne à la fois les liens et les rivages mais aussi l’échouement des grands animaux marins sur la plage. C’est par le Death Stranding que tout a commencé. La sixième extinction de masse a bouleversé l’ordre naturel des choses. La destruction du monde a réduit à néant la barrière qui séparait les morts des vivants. Les âmes en peine des défunts errent sur la terre, pareilles à des échoués. La pluie battante prive les êtres vivants de leur jeunesse et la moindre mort provoque une néantisation dévastatrice. La planète est devenue un environnement hostile dans lequel il faut lutter chaque jour pour survivre. Pour se préserver de la pluie mortelle et des échoués, les survivants se réfugient dans des bunkers, en ville voire à l’écart de toute civilisation. Les liens humains se sont complètement disloqués. C’est pourquoi Bridget Strand souhaite raviver les anciens États-Unis d’Amérique, en créant les UCA. Les êtres humains doivent apprendre à se reconnecter les uns aux autres, pour survivre.
Comme Hideo Kojima le dit lui-même, Death Stranding est un jeu d’un genre nouveau. Il s’agit d’un strand game, consistant à « créer et renforcer des liens, dans tous les sens du terme. » D’autres jeux ont exploité cette mécanique de gameplay par le passé, mais elle n’était pas forcément au centre de l’intrigue et de toutes les préoccupations. Au contraire des titres dont nous sommes coutumiers, il n’est plus question de manier le bâton ou une arme pour progresser. Tuer est pénalisant. L’intrigue ne se termine pas par un affrontement sempiternel contre le boss final. Bridget Strand, ni morte, ni vivante, se révèle également être Amélie, celle qu’elle présentait comme sa fille : un agent d’extinction. Là aussi, l’identité du personnage était révélé par son prénom. Amélie est composé du mot français « âme » et du mot anglais « lie », signifiant mensonge. En dépit de cette trahison, les joueurs n’ont pas à terminer le jeu ni par la violence ni par le meurtre. Au contraire, il est nécessaire de jeter son arme afin d’étreindre Amélie, dans un ultime geste pacifiste.
Sam Bridges, le bâton et la corde
Tout comme Amélie, certaines personnes possèdent des facultés extraordinaires. Le DOOMS permet de percevoir les échoués ou encore de se téléporter sur la grève, un entre-deux liant la terre à l’au-delà. Certains individus sont même capables de revenir d’entre les morts. Il s’agit des rapatriés. Sam Bridges (Norman Reedus), le protagoniste, est l’un d’entre eux. Sam est coutumier de l’errance dans les montagnes, afin de livrer des colis à autrui, mais aussi et surtout de fuir tout contact humain. Après avoir visité Bridget, sa mère adoptive, sur son lit de mort ; Sam accepte, à contre-cœur, de réaliser sa dernière volonté. Il participera activement à la reconstruction des UCA. Pour ce faire, il sera aidé d’un brise-brouillard, l’aidant à détecter les échoués. On utilise comme diminutif BB. Et pour cause, il s’agit d’un fœtus enfermé dans une capsule transparente et permettant de renforcer le lien entre les vivants et les morts.
Le lien, c’est décidément tout ce qui importe dans Death Stranding. L’idée du jeu est pensée autour d’une nouvelle de Kōbō Abe baptisée Nawa (La corde), comme l’expliquait Kojima en 2016 : « Le bâton est le premier outil crée par l’humanité, pour se protéger. Le second outil est la corde. La corde est un outil utilisé pour mettre en sécurité, pour rapprocher les choses qui vous sont chères. La plupart des jeux utilisent le bâton. On frappe, on tire, on attaque. La communication ne se fait souvent que de cette manière. Je voudrais que les gens communiquent non plus par l’équivalent du bâton, mais par celui de la corde. » La corde représente à la fois l’outil manié par Sam pour franchir les obstacles et livrer les colis, mais aussi les connexions qui existent entre les individus. Le porteur est à la fois le vecteur de ces reconnexions et un fervent critique de celles-ci. De prime abord, Sam ne croit pas en la reconstruction du pays et ne pense pas fondamentalement que le monde puisse ou doive être sauvé.
Outre la corde, la main est un autre symbole redondant dans le jeu. C’est la main qui tient la corde, mais c’est aussi celle dont les échoués laissent l’empreinte lorsqu’ils se déplacent ou touchent Sam. C’est une main qui blesse mais qui recherche le contact. Comme les vivants, les échoués ont peur d’être oubliés. Cette main, on la retrouve jusque dans la forme des cristaux chiraux. Elle est omniprésente. Or, Sam a la phobie du contact physique. Death Stranding est un jeu plus lucide que manichéen, qui est capable de condamner ce qu’il défend. Le jeu se veut une critique acerbe du monde moderne, dans lequel les individus ne se voient plus physiquement, mais à travers des écrans. Ils fuient le contact humain et les relations s’émiettent. Les gens ne se soucient plus que du nombre de likes, qui constituent par ailleurs la source de récompense majeure du jeu.Et pourtant, en dépit de cette omniprésence discutable des réseaux sociaux, ce sont eux qui vont permettre aux humains de renouer et d’oser retourner les uns vers les autres. Sam a la mission de connecter les différentes villes et autres habitations plus isolées, au même réseau, afin de raviver la civilisation. Les survivants correspondront de nouveau entre eux, ne serait-ce que par mails. Sam parviendra même à rassembler physiquement un couple qui s’était perdu de vue. Il sauvera des villes entières, grâce à l’apport de vivres et de matières premières et – plus important – il redonnera le goût de l’échange et de la vie aux habitants les plus désabusés.
Mama, le cordon ombilical
J’ai beaucoup mentionné la corde, mais elle est intimement liée au cordon ombilical. C’est lui qui, même s’il est artificiel, permet de connecter Sam à son BB. C’est aussi lui qui, intangible, retient les échoués sur la terre. Sam est à la fois un père et une mère pour ce BB dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il se remémore d’étranges flash-back, dans lesquels son père lui parle inlassablement. Sam est lui-même un déraciné. Tout juste sait-on qu’il a été adopté par Bridget et qu’il a perdu sa femme et sa fille, des années auparavant. Bien que tous les types de relations aient leur importance dans Death Stranding, la parentalité est une thématique privilégiée. Aussi discret et pudique soit-il, on sait que Hideo Kojima a perdu son père lorsqu’il avait 13 ans, et sa mère en 2017, à peine deux ans avant la sortie initiale de Death Stranding. Il est lui-même le père de deux fils. La relation parentale est au cœur du jeu, que ça soit par le biais de Sam, ou de Mama (Margaret Qualley), pour ne citer qu’elle. La scientifique était enceinte lorsqu’elle fut ensevelie sous les décombres de l’hôpital, suite à son effondrement. Elle perdit son bébé qui devint un échoué et resta malgré tout lié à elle. Son surnom, Mama, prend tout son sens. Notons que Mama avait une sœur siamoise, Lockne, dont elle fut séparée lorsqu’elles étaient bébés. Les sœurs jumelles finiront malgré tout par être rassemblées.
Fondation et chute du 4e mur
Fragile, une immersion solide
Une jeune femme utilise un parapluie ressemblant à s’y méprendre à des éclats de verre pour disparaître et réapparaître à son gré. Elle répond au doux nom de Fragile (Léa Seydoux), et est justement à la tête de la première entreprise de livraison privée du pays. Contrairement à ce que son patronyme indique, elle est loin d’être vulnérable. Fragile est un des nombreux éléments du jeu renforçant l’harmonie ludo-narrative. Le gameplay et l’intrigue ne se contredisent jamais, si bien que l’immersion est toujours à son paroxysme. A vrai dire, tout à une explication. Si Sam a la possibilité d’utiliser le voyage rapide, c’est parce que Fragile l’aide à se téléporter d’une région à une autre, grâce au DOOMS. Dans un souci de vraisemblance, Sam est contraint de laisser tous les objets et outils qu’il possède dans le lieu dont il part. La mort elle-même ne peut pas mettre fin au jeu ni rompre l’illusion que nous sommes immergés dans l’univers. Sam meurt réellement mais, dans la mesure où il est un rapatrié ; son âme est capable de retourner vers son corps afin de regagner la vie.
Enfin, le concept même du titre exploite des poncifs du jeu vidéo avec le plus grand sérieux. Sam a de bonnes raisons d’explorer un monde ouvert puisqu’il doit reconnecter les villes entre elles. Les quêtes fedex, tellement décriées dans les jeux actuels, prennent tout leur sens puisque Sam est littéralement un livreur. C’est son job de livrer des objets d’un point A à un point B, et il n’est pas le dernier à s’en plaindre ! Paradoxalement, quand d’autres open worlds, aux missions plus diversifiées, exaspèrent à cause de la multitude et la répétitivité de leurs quêtes fedex, Death Stranding parvient à nous surprendre et même à nous passionner. Les livraisons ne sont pas là pour rallonger artificiellement la durée de vie du jeu mais sont notre raison d’être. Tout ce qui est livré facilite la vie des différents personnages du jeu, qui s’ouvrent un peu plus à Sam, à chaque fois, au point de créer des liens. On se sent utile vis-à-vis des PNJ mais aussi des autres joueurs à travers le monde, puisqu’il est possible de fabriquer des routes et autres constructions, dont ils peuvent profiter. S’il peut sembler rébarbatif de gérer l’inventaire de Sam, de ne pas dépasser la limite de poids et de traverser de longues distances, parfois à pieds ; Death Stranding se révèle étrangement addictif. Peut-être est-ce parce que Kojima, en fin connaisseur des poncifs du jeu vidéo, s’amuse avec eux tout en les renouvelant. Les joueurs se sentent investis d’une mission, au sein d’un univers à la fois post-apocalyptique et étrangement apaisant, si l’on omet la menace des MULES ou des échoués. L’univers et l’intrigue sont quoiqu’il en soit assez absorbants pour donner l’envie de continuer à progresser, contre vents et marrées.
Easter Higgs ou easter egg
Un homme drapé de noir attaque Sam, à plusieurs reprises. Il porte l’index au niveau de ses lèvres, comme pour intimer au silence. Il est difficile de deviner la véritable identité de Higgs (Troy Baker) dans la mesure où il porte un masque doré. Higgs pourrait être traduit par « boson », le nom d’une particule en mécanique quantique. Il est incarné par Troy Baker, le comédien que l’on retrouve derrière la plupart des doublages de jeux vidéo, depuis une vingtaine d’années : The Last of Us, God of War, Batman (Telltale) ou Uncharted 4 pour ne citer que cela. Il n’est pas étonnant que Higgs soit masqué dans la mesure où Troy Baker joue lui-même à visage couvert, la plupart du temps. Il finit malgré tout par révéler son vrai visage. Baker a arpenté un large panorama du paysage vidéoludique ; il était donc l’interprète idéal pour faire de Higgs le personnage qui a pratiquement conscience d’être dans un jeu vidéo. En dépit de l’harmonie ludo-narrative mentionnée plus tôt, Death Stranding regorge de moments méta, d’hommages variés aux jeux vidéo et même d’une propension à briser le quatrième mur, surtout par l’intermédiaire du personnage de Higgs. Ainsi, le terroriste est le seul à utiliser le vocabulaire technique du jeu vidéo, comme la notion de « game over ». Il devient l’archétype même du boss en finissant par affronter Sam au corps à corps. Alors, l’angle de caméra change, nous ne pouvons plus que nous protéger ou frapper et – surtout – les barres de vie de Sam et Higgs apparaissent sur les deux côtés de l’écran. Death Stranding, qui se veut si révolutionnaire, mime tout à coup le gameplay d’un jeu de combat. Et ce n’est pas la seule fois qu’il a recours à un tel procédé. Les affrontements contre Cliff Unger nous projettent tout à coup dans un TPS. La version Director’s Cut permet de construire un circuit de course, dans lequel Sam devra réaliser les meilleurs temps, afin de remporter un véhicule inédit…
Kojima s’amuse avec différents types de gameplay et multiplie les références envers les jeux vidéo. Les personnages font eux-mêmes allusion à Mario et Peach lorsque Sam et Amélie se retrouvent sur la grève. De nombreux accessoires du jeu rendent hommage à Cyberpunk 2077 et Horizon Zero Dawn. On trouve même une référence à Silent Hills, lors d’une scène secrète, dans la chambre. Sam fait un cauchemar et aperçoit une silhouette saccadée à travers la vitre de la douche. Pour rappel, Hideo Kojima travaillait avec Norman Reedus (et Guillermo Del Toro) sur Silent Hills, avant ses différends avec Konami. Le jeu d’horreur fut annulé, au point que la démo baptisée P.T, pourtant aussi effrayante que légendaire, soit totalement retirée du PS Store. Passons. Certaines références aux jeux vidéo sont plus subtiles que cela. Les MULES sont d’anciens porteurs qui ont perdu la raison et agissent en groupe, afin d’attaquer et voler les biens des passants. Leur nom ne fait pas seulement référence à l’animal, mais aussi à M.U.L.E, le premier jeu coopératif jusqu’à quatre joueurs, sorti en 1983. Enfin, dans Death Stranding, tous les personnages sont interprétés par des comédiens qui leur prêtent leurs traits ; y compris les PNJ. Ainsi, le vétéran, qui habite dans un bunker isolé et dont il est difficile d’améliorer le niveau de connexion, est incarné par Sam Lake. Il s’agit du créateur de jeux vidéo finlandais que l’on retrouve derrière Max Payne ou Alan Wake, pour ne citer que cela.
Un jeu multiculturel
Die-Hardman, la désillusion américaine
Dans ce monde détérioré, Higgs n’est pas le seul homme qui avance masqué. D’une certaine façon, plus personne ne se rencontre réellement. La plupart des survivants discutent par le biais d’hologrammes, tout au plus. Die-Hardman (Tommie Earl Jenkins) est un mystère car personne ne connaît son visage, ni même son passé. Sam en vient à se demander s’il peut se fier à son supérieur hiérarchique. Bien que la mission de Sam consiste à reconstruire les États-Unis, le jeu ne fait pas la glorification aveugle de l’oncle Sam. Le livreur accepte d’abord cette mission, à contre-cœur, sans croire à sa réussite ou même à son bien-fondé. Certains survivants, ayant connu le monde d’avant, conservent un regard critique vis-à-vis des sociétés dites civilisées. D’ailleurs, même si Sam part bel et bien à la conquête de l’ouest, il se tue à la tâche et est très loin de vivre le rêve américain. Ce regard critique et cette absence de manichéisme se concrétisent à travers le personnage trouble de Die-Hardman. Bien qu’il apparaisse stoïque et droit, nous ne savons rien sur son passé, si bien que l’on finit par se méfier de lui et de la hiérarchie toute entière. Et qui sait ? Peut-être à raison.
Deadman, Dia des Los Muertos
Death Stranding est un jeu crée par un japonais et inspiré par une nouvelle japonaise. L’intrigue prend place dans ce qu’il reste des États-Unis. Le jeu est toutefois beaucoup plus multiculturel qu’on ne le pense, et quoi de plus logique, puisqu’il constitue une ode aux connexions et aux liens ? D’une certaine façon, Deadman (Guillermo Del Toro) est lui-même le point de jonction de plusieurs êtres. Et pour cause, il a littéralement été crée à partir d’autres êtres humains. La cicatrice qu’il arbore sur le front est évidemment une référence à la créature de Frankenstein. Un jeu se questionnant sur la vie et la mort ne pouvait pas faire l’impasse sur le mythe du Prométhée moderne. Le réalisateur mexicain à qui l’on doit des bijoux macabres comme L’échine du diable (2001) ou Le labyrinthe de Pan (2006) a certainement beaucoup inspiré l’esthétisme de Death Stranding. C’est pourquoi le jeu est doté d’une ambiance lovecraftienne et aborde des thématiques chères au réalisateur comme le retour des défunts, souvent habités par la culpabilité. Pour autant, Guillermo Del Toro n’est pas le seul réalisateur à avoir une place de choix dans Death Stranding.
Heartman, « Valhalla Rising »
Un homme fait des allers et retour entre le monde des vivants et la grève, afin d’en percer tous les mystères. Son laboratoire surplombe un lac en forme de cœur. Il s’agit de Heartman, incarné par le réalisateur danois Nicolas Winding Refn (Bronson, Drive). Les pays scandinaves ont une grande influence sur l’univers de Death Stranding. Les paysages en sont largement inspirés et la musique elle-même est en partie composée par le groupe américano-islandais Low Roar. Le cinéma de Nicolas Winding Refn a, a priori, beaucoup inspiré les personnages principaux de l’univers de Kojima. Qu’il s’agisse de Venom Snake (Metal Gear Solid V) ou de Sam, tous deux sont des antihéros taciturnes. Nicolas Winding Refn a par ailleurs réalisé la saga Pusher, qui a révélé Mads Mikkelsen, en 1996. Hideo Kojima était un grand fan de l’acteur danois, dont il s’inspira pour imaginer Sam et auquel il confia le rôle de Cliff Unger, voulu comme le reflet du protagoniste. Cette information a son importance dans la mesure où Kojima semble avoir été particulièrement influencé par le film Valhalla Rising(2009) réalisé par Nicolas Winding Refn et avec Mads Mikkelsen, dans le rôle du guerrier silencieux. Le film, cryptique au possible, peut être résumé par des plans contemplatifs dans les paysages scandinaves, interrompus par une violence assez crue. Plus important, il fait référence au Valhalla, le lieu où les guerriers défunts vont se reposer. Or, la mythologie, qu’elle soit nordique ou non, à son importance dans Death Stranding.
Cliff Unger, du bâton à la corde
La tempête perce le ciel et Sam se retrouve dans l’enfer des tranchées. Il ignore pourquoi, mais il est condamné à vivre l’enfer de la première guerre mondiale. Les soldats avec leur faciès de mort sont légion. Ils traînent dans leur sillage un homme couvert de poix. Est-il leur esclave ou bien leur maître ? Le soldat vétéran fume des cigarettes, lorsqu’il ne réclame pas le silence ou ne tire pas à vue. Il demande, inlassablement, son bébé. Clifford Unger (Mads Mikkelsen) est – à n’en pas douter – l’un des ennemis les plus redoutables du jeu. Nous disions que la mythologie était importante dans l’univers de Death Stranding.Le jeu s’inspire effectivement de la croyance égyptienne selon laquelle nous sommes constituée du Ka et du Ha, l’âme et le corps. Cliff est généralement représenté avec l’index porté à sa bouche, pour réclamer le silence. Un geste que reprend également Higgs. Ce n’est pas seulement un signe d’autorité, c’est aussi une référence au dieu égyptien Horus qui, lorsqu’il est enfant, est représenté dans cette position. Contre toute attente, ce geste a donc une connotation joueuse, voire moqueuse.
Les failles spatio-temporelles dans lesquelles nous entraîne Cliff sont une forme de l’enfer ou du Valhalla. Ce n’est pas seulement un terrain de combat éprouvant mais aussi le purgatoire où est retenue prisonnière l’âme de Cliff, qui ne trouvera jamais la liberté, tant qu’il ne fera pas la paix avec son passé. Tant qu’il n’aura pas retrouvé son bébé.
Avec Higgs, Cliff est le seul boss humain qu’il faut neutraliser. Non seulement il est dangereux, mais il nous traque sans répit, au point que sa menace soit de plus en plus oppressante. La réalité est pourtant très différente de ce qu’on imaginait. Le dernier arc du jeu comporte un rebondissement de taille puisque nous apprenons que Cliff n’est pas le père du BB, mais celui de Sam. Sans le savoir, le livreur revivait ses propres souvenirs. Le soldat, quant à lui, n’avait pas réalisé que son fils était devenu adulte. Nous avions pourtant été prévenus de ce retournement de situation. Cliff signifie « falaise » et unger est un dérivé de anger signifiant « colère » certes, mais Cliff Unger évoque surtout le mot « cliffhanger », un ressort dramatique consistant à provoquer une situation de suspense intense.
Cliff est un personnage double car il est l’antagoniste qui nous empêche d’avancer, avant de nous permettre d’atteindre le dénouement. En somme, Cliff représente le bâton dans les roues, avant d’incarner la corde. Ce personnage énigmatique, à la fois cruel et touchant n’est pas sans m’avoir rappelé Abby, dans The Last of Us Part II. La jeune femme est présentée comme l’ennemi à abattre avant d’ensuite révéler une autre partie de sa personnalité, ainsi que ses points communs avec Ellie. C’est probablement pourquoi le personnage de Cliff m’a autant touchée. D’autres indices sont susceptibles de révéler le lien entre Sam et Clifford. Si vous partez à la recherche des cartes mémoires, l’une d’elles fait référence à God of War (2018) dans lequel un père abrupt et son fils traversent les mondes de la mythologie nordique afin de répandre les cendres de leur défunte épouse et mère. On trouve également une référence àBig Fish (2003), un film de Tim Burton dans lequel le protagoniste n’arrive pas à démêler le vrai du faux dans les histoires contées par son père, au point de le considérer comme un étranger.
Le dénouement de Death Stranding est très émouvant. Le jeu nous contraint à mener une ultime livraison. Il faut amener notre BB à l’incinérateur car il est devenu défectueux. Après une centaine d’heures de jeu, nous sommes autant attachés au BB que Sam. L’intrigue nous force à faire nos adieux avec lui et à le mener à la mort, bien contre notre volonté. Sam décide malgré tout de se connecter une dernière fois au BB et de vivre un ultime flash-back. C’est à ce moment-là que Cliff devient la clé, ou devrais-je dire la corde, qui permet de résoudre la situation. Il montre à Sam comment il l’a libéré de sa capsule, lorsqu’il était bébé, même s’il y avait très peu de chance qu’il survive. Le livreur suit son exemple et décide de libérer son propre BB du sarcophage. Maintenant qu’il a fait la paix avec la mémoire de son père, Sam est prêt à endosser le rôle de parent. Contre toute attente, BB survit et devient, de ce fait, la fille de Sam…
Lou.
Au-delà de toutes les thématiques évoquées, Death Stranding est avant tout un jeu sur le deuil. C’est probablement l’une des pires épreuves que nous sommes amenés à vivre et nous y sommes tous confrontés, un jour ou l’autre. Il est difficile de ne pas en traverser les étapes sans flancher, surtout lorsque nous devons nous-même apporter l’être cher à la mort. Pourtant, en dépit de toutes ces souffrances et incertitudes, vient l’heure de l’acceptation… En dépit de toutes ces difficultés vient l’heure de… l’espoir.
Conclusion, « L’été où j’ai grandi »
Death Stranding est un jeu aussi difficile à résumer qu’à analyser, tant il est dense et cryptique. Si j’ai été sensible à son univers, qu’il s’agisse de l’intrigue ou du gameplay ; à son immersion et en même temps sa prédisposition à rendre hommage aux jeux vidéo et au cinéma issu de tous les horizons ; j’ai avant tout été touchée par ses thématiques et ses personnages, terriblement humains. L’histoire de Cliff, intimement liée à celle de Sam et Lou, a résonné en moi et – je ne m’en rends compte que maintenant – m’a certainement aidé à avancer, à mon tour. Death Stranding est un grand jeu, pas simplement parce qu’il maîtrise l’art du suspense et des mécaniques variées de gameplay. C’est un grand jeu parce qu’il nous donne l’impression de vivre aux côtés de ces personnages dont on se méfie ou auxquels on s’attache ; mais qui tous, sans exception, créent des liens et enseignent des leçons de vie. Jamais je n’oublierai la première fois où j’ai joué à Death Stranding. L’été de mes trente ans.
Cette chronique a été écrite suite à la lecture de l’ouvrage d’analyse « Entre les mondes de Death Stranding » écrit par Antony Fournier et édité par Third Edition, ainsi que l’Artbook officiel du jeu. Un grand merci à Mystic Falco qui continue à réaliser les miniatures du blog. Dans celle-ci, comme dans les prochaines, deux secrets sont cachés.
Il n’y a rien de plus relaxant qu’un jeu indépendant bien construit. C’est le cas de Max : The Curse of Brotherhood, initialement sorti en 2013. Si j’ai l’intention de mettre ce jeu de plates-formes et de réflexion à l’honneur, j’ai aussi envie d’observer la manière dont sont utilisées les relations entre frères et sœurs, dans les jeux vidéo. Comme toujours, la liste ne sera pas exhaustive mais du moins permettra-t-elle, je l’espère, d’analyser les mécaniques de gameplay ou les enjeux narratifs qui en découlent. Le fait de rechercher son frère, sa sœur, ou tout autre proche dans un jeu vidéo peut n’être finalement qu’un prétexte pour lancer l’intrigue principale. D’autres jeux se concentrent bien davantage sur ce type de relation, où la tradition exige que l’aîné veille sur le benjamin. Cependant, la relation fraternelle s’implante véritablement au cœur de l’intrigue ou du gameplay de moins de jeux qu’on ne pourrait le croire.
A la recherche du frère perdu : un prétexte narratif ?
Max : The Curse of Brotherhood (2013) est la suite de Max and the Magic Marker, sorti trois ans plus tôt et dont les graphismes étaient drastiquement différents. C’est l’histoire d’un garçon excédé par son petit frère qui vole et détruit ses jouets, au point d’espérer le voir disparaître. Contre toute attente, le souhait de Max se réalise et son frangin est kidnappé par un monstre velu qui l’entraîne dans un autre monde. Max se lance aussitôt à leur poursuite. Au fil des péripéties, il va découvrir de nouveaux environnements mais aussi des pouvoirs inédits. Son marqueur est capable de dessiner des roches, des lianes et bien plus encore. Il en aura fort besoin car, pour sauver son frère, Max devra détruire et neutraliser le terrible Mustacho ! Vous l’avez compris, l’histoire de Max est ni plus ni moins celle d’un conte pour enfants. On peut tout à fait imaginer que l’intrigue sort de l’imagination du petit garçon, qui se sert – dans la réalité – de son marqueur pour dessiner et donner vie à ses histoires. C’est pourquoi le style graphique du jeu, assez similaire à certains films Pixar, se prête très bien aux cinématiques. Les niveaux quant à eux, sont à mi-chemin entre la 2D et la 3D. Sans être extraordinairement inventifs, ils ne se répètent jamais et sont tous plus plaisants les uns que les autres. Si la progression s’effectue plutôt facilement, quelques énigmes demandant plus de réflexion et certains trophées représentent de légers défis, comme le fait de terminer des chapitres sans mourir. Dans The Curse of Brotherhood, le fait de rechercher le petit frère de Max est un prétexte narratif pour lancer l’aventure. Cela a toutefois un impact sur la direction artistique, sortie de l’imaginaire de Max, sur le gameplay de certains niveaux et bien sûr sur l’intrigue qui, comme tout conte, possède une morale. En dépit de leurs disputes et de leurs conflits, Max est prêt à tout pour sauver son petit frère.
Max : The Curse of Brotherhood est très loin d’être le seul jeu débutant par la disparition d’un frère. En y réfléchissant, c’est aussi le cas de Luigi’s Mansion 3(2019), dans lequel la famille de Mario part en vacances dans un hôtel de luxe hanté. Tout le monde disparaît, à commencer par le célèbre plombier à la combinaison rouge. Luigi décide d’affronter ses peurs et de s’armer de son plus bel aspirateur afin de chasser les fantômes et de retrouver ses proches. Luigi’s Mansion 3 est probablement l’un des plus beaux jeux que j’ai pu faire sur Nintendo Switch. La direction artistique est très séduisante car chaque partie de l’immense hôtel a son identité propre, parfois truffée de références. J’ai également le souvenir d’un gameplay peu évident à prendre en mains et d’ennemis assez retors. D’une certaine manière, il est triste que Mario doive disparaître pour que Luigi puisse avoir enfin le beau rôle. Cela lui permet toutefois de sortir de l’ombre de son frère et d’avoir, à son tour, son heure de gloire.
Dans un toute autre registre, parce que j’aime varier les saveurs, je peux évoquer Resident Evil 2 Remake(2019). Suite aux événements déroulés au manoir Spencer et à la disparition de Chris Redfield, sa sœur Claire décide de se rendre à Raccoon City pour tenter de le retrouver. Il s’agit, une fois encore, d’un prétexte pour lancer l’intrigue du jeu. Si Leon est à Raccoon City parce qu’il est policier, Claire, une civile, avait besoin d’une raison pour se trouver là. De plus, du fait de son patronyme, elle n’est pas une parfaite étrangère et attire davantage la sympathie des joueurs. Malheureusement, Claire ne retrouvera pas Chris et sera vite préoccupée par sa propre survie ainsi que par la perspective de fuir la ville. Malgré tout, ce n’est pas parce que cette quête est un prétexte qu’elle est inutile. Cela caractérise le personnage de Claire, qui apparaît comme une sœur loyale et courageuse. Cet enjeu narratif donne envie d’avancer, d’autant que les fans de la saga sont eux-mêmes attachés à Chris. Le tempérament protecteur de Claire se confirme lorsqu’elle décide de prendre sous son aile la petite Sherry Birkin. Certes, la recherche d’un frère ou d’une sœur disparus est souvent un prétexte narratif, mais cela n’est pas forcément péjoratif ou indigne d’intérêt.
Il faut sauver le petit frère ! Une relation verticale ?
Life is Strange 2est un jeu développé par Dontnod dont le premier épisode est sorti en 2018. Le jeu conte les aventures de Sean, 16 ans, et de son frère Daniel, 9 ans. Suite à une tragédie, les deux frangins sont contraints de traverser l’Amérique dans l’espoir de se réfugier au Mexique. Life is Strange 2 est un road trip ponctué des leçons que Sean enseigne à son petit frère, mais aussi de la force insoupçonnée de ce dernier. Daniel possède des pouvoirs télékinétiques. Dans la mesure où il s’agit d’un jeu narratif, où chaque décision a des conséquences, nos choix peuvent avoir un impact sur le développement émotionnel et sur l’éducation de Daniel. Life is Strange 2 nous fait comprendre à quel point il peut être difficile d’élever un enfant. Sean commet des erreurs en voulant bien faire, mais essaie néanmoins d’aider Daniel à maîtriser ses pouvoirs. La relation entre les deux frères n’est pas verticale dans la mesure où les pouvoirs du plus jeune sont redoutables et les sauvera de nombreuses situations.
C’est un peu le même cas de figure dans le jeu d’infiltration A plague tale : Innocence(2019). L’histoire se déroule en France, au XIVe siècle, tandis que le pays est ravagé par la Guerre de Cent ans et par la Peste noire. Comme toujours, c’est une tragédie qui incite un frère ou une sœur à devoir endosser les responsabilités d’un parent. Amicia se retrouve contrainte à fuir l’Inquisition, en compagnie de son petit frère Hugo. Ils ne sont évidemment pas des combattants. Amicia devra faire preuve de discrétion mais aussi d’astuce pour échapper non seulement aux membres de l’Inquisition, mais aussi aux hordes de rats qui pullulent. Hugo est loin d’être un fardeau. Il est même possible de l’incarner, à certains moments. A l’instar de Daniel, il possède une force aussi insoupçonnée que redoutable.
Life is Strange 2 et A plague tale responsabilisent et émeuvent les joueurs en les glissant dans la peau d’un grand frère ou d’une grande sœur. Sean et Amicia veillent sur leur petit frère respectif. Cela nourrit tant l’intrigue que le gameplay. Les choix de Sean auront un impact sur l’éducation de Daniel et les décisions d’Amicia peuvent avoir des conséquences fatales pour Hugo. Les petits frères ont toutefois plus d’un tour dans leur sac et se révèlent des alliés précieux, lorsque l’histoire approche du dénouement. Ces fratries se basent donc sur la protection et la tendresse mutuelles.
Une fratrie au cœur de l’intrigue ou du gameplay
Dans d’autres jeux, certes plus rares, ce sont l’intrigue ou le gameplay qui servent de prétexte pour faire le récit d’une relation fraternelle. C’est le cas de Tell me why, également développé par Dontnod, en 2020. Après de longues années d’absence, Tyler Ronan revient à Delos Crossing, notamment pour retrouver sa sœur jumelle Alyson. Ce jeu se démarque des précédents dans la mesure où les joueurs incarnent autant un personnage que l’autre. Dans cette aventure narrative, les jumeaux enquêtent sur le passé afin de comprendre pourquoi leur mère a tenté de tuer Tyler, lorsqu’il était petit. Était-ce à cause de sa transphobie ou le passé est-il plus mystérieux qu’il ne le semble ? Bien que leur caractère soient très différents, les jumeaux sont connectés par un lien unique, qui leur permet de revivre certains souvenirs, lorsqu’ils sont ensemble.Cette enquête, ou quête spirituelle, va leur permettre de mieux se comprendre mais aussi de s’épanouir, en tant qu’individus. Notons que, durant le mois de juin 2022, pour célébrer le Pride Month, Tell me Why est gratuit sur Steam et sur X-Box.
Il serait criminel de ne pas clôturer cet article par Brothers : A tale of two sons, qui porte bien son nom. Cette aventure imaginée par Josef Fares est sortie en 2013. Dans ce conte inspiré des Frères cœur-de-lion, les personnages ne communiquent pas vraiment. L’histoire n’en demeure pas moins claire et prenante. Afin de trouver de quoi soigner leur père, Naia et son petit frère Naiee partent à la recherche de l’Arbre de vie. Les deux personnages se jouent simultanément avec la manette. Non seulement ils doivent coopérer mais ils doivent aussi s’entraider. Naia peut nager en portant son petit frère car celui-ci a peur de l’eau. Naiee profite de sa petite taille pour se faufiler à travers les grilles et partir en éclaireur. Brothers est le seul jeu que je connaisse qui nécessite d’incarner continuellement et simultanément les deux personnages, avec la même manette. De fait, le gameplay est totalement au service de l’ode à la fraternité.
Conclusion
De nombreux jeux vidéo mettent en scène des relations fraternelles. J’aurais par exemple pu évoquer Sam et Nathan Drake, dans Uncharted 4. Mais ces relations sont plus ou moins significatives. Max : The curse of Brotherhood, Luigi’s Mansion 3 et Resident Evil 2 utilisent la disparition d’un frère comme prétexte pour lancer l’intrigue. Cela n’empêche pas ces jeux d’avoir un sous-texte différent et pas inintéressant. D’autres jeux positionnent délibérément les joueurs dans la position de l’aîné(e) qui doit veiller sur le plus jeune de la fratrie. C’est le cas de Life is Strange 2 ou A plague tale. La relation en question est toutefois moins verticale qu’on ne pourrait le penser. Pour finir, d’autres jeux, plus rares, font vraiment de la relation fraternelle le cœur de leurs enjeux narratifs ou de leurs mécaniques de gameplay. A ce titre, je ne peux que conseiller Tell me Why et Brothers : A tale of two sons.
En parlant de duos, et comme il s’agit du dernier article de l’année, avant le bilan ; sachez que deux personnages se sont invités dans chaque miniature réalisée par Mystic Falco, depuis le mois de novembre 2021. Les avez-vous déjà remarqués ? Qu’attendez-vous pour les retrouver ? Nous en reparlerons, à la fin du mois !