The Walking Dead : The Telltale Definitive Series | Part II

Il y a deux semaines, je vous proposai une modeste rétrospective des mésaventures de Clémentine, dans les deux premières saisons de la série Telltale The Walking Dead. Nous avions abordé différentes thématiques de la saga à travers les portraits de trois personnages clés : Lee, Clémentine elle-même et Kenny. Je n’allais pas m’arrêter en si bonne route, et ce même si une horde de rôdeurs s’était mise en travers de mon chemin. Nous allons donc nous attarder sur A New Frontier (2016) et l’Ultime Saison (2018). Contrairement à Lee, Javier a tendance à fuir ses responsabilités, mais il se pourrait qu’une certaine adolescente lui fasse changer d’avis. Clémentine, dans l’Ultime Saison, est plus mature et brave que n’importe quelle fille de son âge. Elle s’inspire de Lee pour assurer l’éducation de A. J.. Mais ce modèle n’a-t-il pas des failles et des limites ? L’Ultime Saison est un véritable retour aux sources, réservant néanmoins des surprises de taille, en terme de thématiques et de rebondissements. L’atout majeur de cet épilogue est A.J., un petit garçon dont l’esprit est encore malléable, mais qui nous enseigne peut-être les plus belles leçons… Une fois n’est pas coutume, l’analyse qui suit comporte des spoilers, et repose sur les choix que j’ai entrepris au cours de ma partie.

Parenthèse sur le studio Telltale

Le studio Telltale a été fondé en 2004. On peut considérer qu’il a acquis une certaine notoriété en 2012, avec la sortie de la première saison de The Walking Dead. Un autre succès fort mérité survient, l’année d’après, avec The Wolf Among Us. Telltale va alors multiplier les saisons, ou les licences à exploiter : Tales From the Borderlands, Game of Thrones, Batman, Guardians of the Galaxy et plus encore. Le studio produit une dizaine de jeux entre 2016 et 2017, période durant laquelle sort A New Frontier. Mais cette productivité ne s’est-elle pas réalisée au détriment d’une certaine qualité ? En septembre 2018, Telltale travaille encore sur l’Ultime Saison de The Walking Dead, lorsque des employés annoncent, sur Twitter, avoir été licenciés sans préavis. Ce sont approximativement 225 personnes qui perdent leur emploi. Des projets comme la saison 2 de The Wolf Among Us sont annulés. La dernière aventure de Clémentine n’aurait sans doute jamais pu être terminée si Robert Kirkman (le papa de The Walking Dead) n’avait pas repris les choses en mains, par l’intermédiaire de son entreprise Skybound Games. En novembre 2018, Telltale ferme ses portes. L’Ultime Saison de The Walking Dead est une miraculée. En dépit de quelques faux pas, j’ai beaucoup regretté ce studio, qui, fort heureusement, a été racheté par LCG Entertainment, en août 2019.

L’histoire de Telltale a toute son importance pour mieux appréhender A New Frontier et l’Ultime Saison. D’ailleurs, ces noms ne sont pas hasardeux. On peut supposer que A New Frontier est une saison à part entière, et que l’histoire principale de Clémentine est contée au cours de seulement trois saisons. Les aventures de Javier ont toutefois un impact sur le cheminement de la jeune fille. Au reste, nous sommes nombreux à considérer qu’il s’agit du maillon faible de la série de Telltale. A New Frontier possède de bonnes idées, comme l’utilisation d’un protagoniste à contre-courant, une mise en scène qualitative (je pense à la scène d’introduction pleine de tension, quand Mariana annonce : « Grand-père est réveillé »), ou le retour de références aux comics, grâce à l’intervention de Jésus. Malheureusement, de nombreuses idées sont mal exploitées, et contrebalancées par des défauts non anodins. A New Frontier est une saison beaucoup trop directive. Cela se ressent dans les dialogues, mais aussi dans le comportement versatile, voire incohérent des personnages secondaires, auxquels on peine à s’attacher. Certes, les jeux Telltale ne possèdent pas une grande variété d’embranchements possibles, mais A New Frontier ne cherche même pas à entretenir cette illusion du choix. Par exemple, j’ai beau avoir tout fait pour repousser les avances de Kate, et me réconcilier avec David ; il a tout de même été retenu que Javier avait eu une liaison avec Kate, ce qui incite les deux frères à s’entre-tuer. Mais ce que je ne pardonnerai jamais à A New Frontier, c’est de ne pas avoir pris en compte le dénouement de la saison 2. Certes, cela était difficile, mais quelle ne fut pas ma frustration quand j’ai découvert que j’avais lutté pour sauver Kenny, simplement pour le voir disparaître au cours d’un vulgaire accident de voiture, au sein d’un flash-back expéditif… ? Passons. J’avais été si déçue par cette « troisième » saison que je redoutais de tenter l’ultime aventure, surtout après avoir eu vent des problèmes de production. Fort heureusement, l’Ultime Saison est un petit chef-d’œuvre, qui rend honneur à la saga, et nous permet de faire nos adieux avec Clémentine, mais aussi d’une certaine façon avec Telltale, en toute sérénité. Le titre n’est pas exempt de bugs d’affichage et de sons (particulièrement visibles dans l’édition The Telltale Definitive Series), mais il n’en reste pas moins abouti. Le gameplay est plus dynamique, la musique (instrumentale ou non) est mémorable et le jeu possède même une version intégralement française.

Javier : faut-il fuir ou assumer ses responsabilités ?

Javier Garcia est un protagoniste que nous n’attendions pas. D’une part, parce qu’il propulse Clémentine au rang de personnage secondaire ; (nous ne l’incarnons qu’au cours de flash-backs) ; d’une autre part, parce qu’il est très différent des héros auxquels nous étions habitués. Lee, comme Clémentine, sont prêts à donner leur vie pour protéger ceux qu’ils considèrent comme des membres de leur famille. Ils n’ont pas peur de prendre des décisions difficiles. Javier, dès l’introduction du jeu, est présenté comme un jeune homme qui tend à fuir sa famille et surtout ses responsabilités. C’est d’ailleurs ce que lui reproche par-dessus tout son frère aîné, David. Après l’apocalypse, Javier se retrouve seul avec sa belle-sœur Kate, et les enfants de David : Gabe et Mariana. Malheureusement, Kate a elle-même beaucoup de mal à assumer ses responsabilités de belle-mère, et d’ailleurs, il est rapidement sous-entendu qu’elle n’était pas heureuse en couple avec David. Ce qui va renforcer ses sentiments à l’égard de Javier. Les joueurs font définitivement face à des adultes qui peinent à endosser leurs responsabilités, et qui, par-dessus tout, ne croient pas en la famille. Et ce, même s’ils vont tout faire pour maintenir Gabe et Mariana en vie. Lorsque la situation s’envenime à Richmond, Kate est résolue à quitter le groupe A New Frontier et, par-dessus tout, à fuir David, plutôt que de le confronter. Il ne tient qu’aux joueurs de prendre parti pour un camp ou l’autre, comme de répondre aux avances de Kate, ou non. Il est difficile de jeter la pierre à Kate, car l’on devine que David était un époux colérique et autoritaire. Au reste, le fait de fuir certaines relations, au lieu des les confronter, est une des thématiques prépondérantes de la saison.

Naturellement, ce n’est pas la seule. Le complot qui surgit à Richmond, au sein du groupe A New Frontier, est relativement intéressant. La question de l’euthanasie est même effleurée par l’intermédiaire du docteur Paul Lingard. Celui-ci préfère s’en aller, plutôt que de faire face aux tensions politiques de Richmond. Une fois encore, la question est de fuir ou d’affronter ses responsabilités, sans prononcer de jugement pour autant.

C’est notamment au contact de David, que Javier peut être amené à changer. Va-t-il tenir tête à son frère aîné ou va-t-il le comprendre davantage ? Malheureusement, quoique nous fassions, David semble prédisposé à devenir fou de rage et à se retourner contre nous. Dommage.

Mais c’est aussi et surtout par l’intermédiaire de Clémentine, que Javier va gagner en maturité. L’adolescente est assez ambiguë dans A New Frontier. Elle fait une entrée en matière fracassante avant de tuer un homme sous les yeux de Javier, à Prescott. Les joueurs retrouvent une Clémentine plus cynique que jamais. Et pourtant, elle et Javier finissent par se rapprocher. Prendrait-elle la place laissée inoccupée par Mariana ? Ceci étant dit, Clémentine ressemble plus à un mentor, qu’à une nièce de substitution. On réalise très vite que, ce qui la rend si sinistre, c’est d’avoir été arrachée à A. J.. Lors d’une scène intime et touchante, Clémentine confie à Javier qu’elle a eu ses règles pour la première fois. Ce sujet est assez rarement abordé dans la fiction, pour mériter d’être souligné. Javier lui répond maladroitement ce que cela implique et la jeune fille finit par remarquer : « C’est marrant, je me sentais déjà comme une mère ». La relation entre Javier et Clémentine est trop superficielle pour être véritablement émouvante, mais l’adolescente enseigne, très indirectement, beaucoup de choses à la famille Garcia. A la fin du jeu, Gabe peut être amené à tuer son propre père, comme Clémentine l’a fait autrefois avec Lee. Et après avoir coupé, de manière symbolique, les cheveux de Clémentine, Javier est amené à prendre la direction de Richmond. Il ne reculera plus face aux responsabilités désormais. Clémentine, quant à elle, est résolue à retrouver A. J..

Clémentine : suivre les traces de Lee ou s’en détacher ?

Clémentine avait 8 ans lorsqu’elle rencontra Lee pour la première fois. Elle en avait 11, lorsque A. J. vint au monde, et 13 quand elle dut faire face au groupe A New Frontier. Dans l’Ultime Saison, Clémentine a désormais 16 ans. Des indices, semés ici et là, révèlent que l’Ultime Saison est un hommage vibrant aux premières saisons de The Walking Dead. Le premier épisode ne débute peut-être pas dans une voiture de police, mais en tout cas dans celle de Clémentine, qui cherche à trouver un foyer pour A. J., alors âgé de 5 ans. Les références sont aussi subtiles que nombreuses. Ainsi, Louis, l’un des enfants d’Ericson, appelle son arme « Jean-Pied ». Lorsqu’elle se bat contre des rôdeurs, Clémentine reste fidèle aux techniques enseignées par Jane, dans la saison 2. D’ailleurs, elle a désormais une peur bleue des chiens. (Les joueurs pourront essayer de l’inciter à apprivoiser Rosie). Devant une grange, Clémentine et A. J. ont une conversation à propos d’une pierre à lécher, ce qui n’est pas sans rappeler une discussion qui avait eu lieu à la Ferme St. John’s Dairy. A la fin, Clémentine décide même de construire une balançoire pour A. J.. Ces références sont puissantes car elles ne sont ni gratuites, ni anodines. Certes, il s’agit de la dernière étape du voyage de Clémentine, mais le retour aux sources est expliqué par sa vocation à suivre les traces de Lee. Pour le pire comme pour le meilleur, Clémentine est devenue similaire à son père adoptif, qui lui sert toujours de guide, comme en témoignent les rêves qu’elle fait à son sujet. Mais la jeune fille fait aussi des cauchemars, où elle perd A. J.. Elle est rongée par la même crainte que Lee, et c’est précisément ce qui peut causer sa perte.

Dès l’introduction du jeu, Clémentine confie : « Je donnerais ma vie pour le protéger, tout comme Lee, avant moi. » Peu de temps après, elle rencontre une vieille amie qui souligne : « Tu te feras tuer aussi, en faisant les mêmes erreurs. » Cette vieille amie, c’est Lilly, la femme que nous abandonnions sur le bord de la route, dans la première saison. Si, a priori, les ressemblances entre Lee et Clémentine sont touchantes, elles représentent surtout un danger, pour la survie de la jeune fille. Mais aura-t-elle seulement la force de s’écarter des sentiers battus par Lee ?

Clémentine a beau avoir beaucoup mûri, c’est une adolescente qui se cherche encore. Elle est libre de sortir avec Louis, ou Violet, à moins de rester célibataire. Par-dessus tout, elle trouve enfin un foyer à Ericson, une ancienne école pour enfants en difficulté devenue, par la force des choses, un orphelinat où ils se cachent pour survivre. L’un des épisodes de la saison s’appelle « Les enfants perdus » : une référence irréfutable à Peter Pan, du moins en français. Comme toujours, le mythe de Peter Pan a une influence prépondérante sur les histoires où des enfants sont livrés à eux-mêmes. Les enfants d’Ericson vont devoir se battre contre des adultes qui veulent les kidnapper, afin de les transformer en soldats. Ce qui est est arrivé à Minnie est effrayant. Elle est programmée pour obéir aux ordres, et elle est prête à tuer les siens, pour la survie du groupe. Cette thématique des enfants soldats est dure, poignante, et a toute sa place dans un tel univers. Elle est aussi à double tranchant. Au fond, A. J. n’est-il pas devenu, lui aussi, un enfant soldat, sans pour autant avoir été enlevé par Lilly ? Grandir dans un tel monde peut entraîner des séquelles insoupçonnées. Clémentine doit lutter contre ces adultes monstrueux, tout en doutant de l’éducation qu’elle apporte elle-même à A. J..

Malheureusement, A. J. n’est pas seulement un enfant perdu parce qu’il lutte contre des adultes, mais aussi parce qu’il ne veut pas grandir. Ou du moins, pas sans Clémentine. La philosophie présentée dans cette saison, et particulièrement défendue par James (un ancien membre des Chuchoteurs) est intimement liée à ce mythe de Peter Pan revisité. Les personnages commencent à avancer l’idée selon laquelle les rôdeurs possèdent une âme. Une part de la conscience des personnes tuées vivrait toujours dans ces débouilles déambulant ici et là. C’est pourquoi James refuse de tuer des rôdeurs, ou qu’Abel redoute de se transformer. C’est pourquoi un couple, dans le premier épisode, s’est transformé en laissant un écriteau qui implore les autres de ne pas les achever. Et si, pour ne pas grandir, ou vieillir, les gens devaient simplement se transformer en rôdeurs ? Et si c’était là un moyen de rester ensemble, pour l’éternité ? C’est là une idée assez séduisante, aux yeux d’A. J., lorsque Clémentine se fait mordre. Non seulement les thématiques abordées par l’Ultime Saison sont inédites et bousculent nos a priori de joueurs, mais elles sont subtilement entremêlées, au point de rendre ce jeu si marquant.

Alvin Junior : un enfant perdu, vraiment ?

L’Ultime Saison constitue un véritable retour aux sources. C’est bien naturel, dans la mesure où Clémentine aspire à suivre les traces de Lee. Pourtant, ce modèle n’est pas sans faille, ni danger. Et par-dessus tout, A. J. n’est pas comme Clémentine l’était. La force de cette saison réside dans le savant mélange entre un retour aux sources et la présentation de thématiques aussi fortes qu’inédites. Le monde et les enfants ne sont pas les mêmes que lorsque Lee vivait. Clémentine va l’apprendre à ses dépends. C’est un fait, la nouvelle génération, celle qui n’a jamais connu le monde d’avant, n’a pas la même vision des choses que la précédente. C’est pourquoi A. J. prend une balançoire pour un « piège à monstre » ou rappelle que « le bruit, c’est mal », lorsqu’il entend la musique d’un piano pour la première fois. Certes, les choix de Clémentine (et des joueurs) façonnent la personnalité d’A. J. mais celui-ci ne réagit pas toujours comme cela était prévu. C’est pourquoi il abat Marlon, en soulignant avoir « visé la tête », sans comprendre où est le mal. Clémentine peinera à lui enseigner les limites parfois ténues entre le bien et le mal. Une fois encore, nous revenons à cette définition des enfants, utilisée dans le mythe de Peter Pan : des êtres « innocents et sans-cœur ».

Pour autant, A. J. ne fait pas exprès de paraître cruel. Il éprouve d’ailleurs un amour indéfectible pour Clémentine. C’est pourquoi, en dépit de ses défauts, nous nous attachons à lui. Et nous partageons sa peine lorsque la scène la plus traumatisante de la saison 1, trouve un écho dans l’ultime épisode. Après avoir été mordue, Clémentine perd ses forces. Dans la grange, nous contrôlons les deux personnages en alternance, du moins, jusqu’à ce que Clémentine perde le peu d’énergie qui lui reste. La jeune fille s’assied par terre et dicte des ordres à A. J.. Tout, dans le gameplay, comme dans la narration, évoque la mort tragique de Lee. D’ailleurs, Clémentine est tellement certaine que l’histoire se répète qu’elle implore A. J. de la tuer. Le petit garçon lève sa hache…

Nous disons adieu à la petite fille que nous avons vu grandir…

C’est du moins ce que nous laisse penser le jeu, pendant de longues et douloureuses minutes, avant de nous annoncer que… A. J. n’a pas tué Clémentine. Il a refusé de l’écouter. Il lui a tranché la jambe, afin de lui donner une chance de survivre. Et cela a fonctionné. Ainsi, Clémentine ne commet par les mêmes erreurs que Lee… Ou plutôt, A. J. lui évite de les commettre.

J’ai parfois eu envie de voir A. J. comme l’héritier de Clémentine, puisqu’il suit son enseignement. Je l’ai aussi perçu comme l’héritier de Lee, car, après avoir tué Marlon, il se perçoit comme un « meurtrier » qui a le devoir de se racheter. Mais en fait, A. J. est ni plus ni moins A. J.. C’est un électron plus libre qu’on ne le croit, qui raisonne de façon très juste, et qui permet à Clémentine de ne pas reproduire un schéma qui lui serait fatal.

Épilogue

Aussi surprenant que cela puisse sembler, A New Frontier et l’Ultime Saison ne sont pas des jeux animés par des objectifs très différents. Dans les deux cas, il y a une volonté de se démarquer des premières saisons de la série, mais cela est fait avec plus ou moins de subtilité et d’équilibre. Les thématiques évoquées dans A New Frontier sont dans la continuité de ce qui avait été entrepris auparavant, mais elles sont abordées à contre-courant. C’est la raison pour laquelle Javier est un homme qui tend à fuir ses responsabilités. Le jeu pousse le vice jusqu’à nous amener à l’incarner, rendant le rôle de Clémentine plus secondaire. Changer de protagoniste est un pari risqué qui peut fonctionner à merveille, comme nous l’avons vu dernièrement dans Little Nightmares II, mais qui peut aussi ruiner l’expérience. C’est malheureusement le cas dans A New Frontier, dont l’écriture ne parvient pas à rendre les personnages attachants, ni les événements mémorables. L’Ultime Saison possède une écriture plus rusée car on peut croire qu’il s’agit d’un véritable retour aux sources, dans la mesure où nous incarnons Clémentine, responsable d’un enfant, et où les références sont nombreuses. Mais la saison enseigne subtilement que vouloir imiter le passé est nocif. Clémentine veut tellement ressembler à Lee qu’elle est prête à produire les mêmes erreurs que lui, ce qui aurait clairement pu lui être fatal. Outre des thématiques originales et passionnantes, c’est sur le personnage d’A. J. que repose toute la force du jeu. Certes, nos choix façonnent sa personnalité, mais il agit par lui-même, ce qui sauve la vie de Clémentine. La nouvelle génération a donc autant à nous enseigner que l’ancienne. La boucle est bouclée, faisant de cette saga épisodique l’une des plus passionnantes du monde du jeu vidéo…

The Walking Dead : The Telltale Definitive Series | Part I

C’est en 2014 que sortit la saison 2 de The Walking Dead et que je découvris un diptyque destiné à devenir l’une de mes sagas vidéoludiques favorites. Je dois énormément à la série de Telltale, qui m’a permis de remettre un pied dans le monde des jeux vidéo, après plusieurs années à m’en être désintéressée. Malgré quelques faux pas en 2016, The Walking Dead est une saga que je prends plaisir à retrouver au fil des années. Il était bien naturel que je finisse par céder pour L’édition définitive, regroupant l’ensemble des jeux, transfigurés par un style graphique retravaillé et une amélioration du gameplay ; mais aussi de nombreux compléments comme les commentaires des développeurs, un lecteur de musique ou une galerie d’art. Je regrette que certains bugs (notamment au niveau des sous-titres) n’aient pas été rectifiés, mais l’édition n’en vaut pas moins le détour.

Dans cet article, nous allons revenir sur les deux premières saisons du voyage de Clémentine. (Il va de soi qu’une deuxième partie est en préparation). Est-il bien utile de préciser que l’analyse suivante contient des spoilers et repose sur les choix que j’ai entrepris ? (Certes, j’ai joué aux deux premières saisons à plusieurs reprises, mais il y a certains choix que je n’ai jamais pu me résoudre à modifier !) La série de Telltale est inspirée des comics The Walking Dead, dont elle tend à s’éloigner au fil des saisons. Les personnages inédits (doublés de manière exceptionnelle) permettent d’aborder des thématiques aussi fortes que variées. Mais que serait cette série sans Lee, un protagoniste motivé par sa quête de rédemption et – par dessus-tout – par l’affection vouée à une petite fille, rencontrée par hasard ? Cette fillette, c’est Clémentine, l’une des héroïnes les plus remarquables des jeux vidéo. Livrée à elle-même dans un monde où les relations humaines sont devenues la seule source de réconfort, mais aussi le pire des dangers, bien au-delà des rôdeurs ; Clémentine est obligée de grandir prématurément, pour survivre. Mais il ne faudrait pas oublier celui qui incarne, à mon sens, le troisième personnage principal : Kenny, un homme versatile et ambigu, qui divise les joueurs et dont le destin ne dépend pourtant que d’eux.

Une déclinaison des comics

La première saison de Telltale fit le choix ingénieux de se démarquer des comics The Walking Dead. Nous ne faisions pas la rencontre de Rick, un agent de police prêt à tout pour retrouver sa famille, mais celle de Lee, un ancien professeur conduit en prison, après avoir tué l’amant de sa femme. Cela n’empêcha pas la saison 1 de multiplier les références, en intégrant quelques protagonistes des comics, comme Hershel ou Glenn. Certains personnages avaient l’habitude de donner un nom à leur arme favorite : Danny St. John appelait sa carabine Charlotte tandis que Molly surnommait son crochet Hilda. Un hommage à Lucille, sans doute. Les références eurent tendance à s’effacer, et ce dès la deuxième saison. Tout juste pouvait-on y émettre un parallèle entre le parcours de Kenny et celui du Gouverneur.

C’est au niveau des thématiques abordées et de la manière dont elles sont traitées, que la série Telltale reste fidèle aux comics. Le monde post-apocalyptique, infesté de rôdeurs, n’est qu’un prétexte pour explorer l’âme humaine, par le prisme de personnages dont la diversité est aussi remarquée qu’appréciée. Dans le monde d’après, peu de survivants parviennent à garder la tête froide. Guettés par la folie, l’auto-destruction ou le désir de nuire, les humains deviennent très tôt leurs propres ennemis. Lee découvre ainsi la déchéance d’un monde qu’il ne reconnaît plus, où de simples fermiers n’hésitent pas à s’exercer au cannibalisme, où les rares survivants se déchirent au cours de leur lutte du pouvoir, et où les amis d’hier ne sont pas à l’abri de vous trahir, ni de vous tuer. Lee fait même la découverte d’une communauté, à Crawford, prônant la loi du plus fort, quitte à sacrifier les enfants ou toutes les personnes vulnérables, qu’elles soient enceintes ou atteintes du cancer. Poussée dans ses retranchements, l’humanité n’hésite pas à reproduire les erreurs des périodes les plus sombres de l’Histoire. Lee finit par comprendre qu’il ne peut pas indéfiniment préserver Clémentine de l’horreur de cette nouvelle réalité. Si elle souhaite survivre, la petite fille devra être formée. On trouve la continuité de ces nombreuses thématiques, dans la saison 2. Clémentine fait face à une communauté, dirigée par Bill Carver, un adepte de la manipulation, de l’humiliation et des travaux forcés. Trahie par les uns, déçue par les autres, la jeune fille fait aussi de belles rencontres, lui rappelant que ni la rédemption, ni les affections humaines ne sont perdues dans ce monde. En dépit d’un rythme plus nerveux, cette saison 2 offre une dimension psychologique encore plus travaillée que la précédente. Les survivants s’interrogent sur la différence entre vivre et survivre, ou se demandent s’il est vraiment juste de forcer une personne à se battre, quand elle n’en éprouve plus la force, ni le désir. L’enjeu principal du jeu demeure la naissance d’un certain Alvin Junior, dont Clémentine est destinée à devenir la grande sœur de substitution, terminant ainsi un cheminement entrepris par Lee, quelques années plus tôt.

La rédemption de Lee

En dépit de son passé criminel, Lee est un homme bienveillant et motivé par la rédemption. Il n’est pas rare que le jeu propose d’épargner un ennemi, ou d’accorder une seconde chance à un acolyte dans l’erreur. Mais ce qui caractérise le plus Lee, c’est sans doute le désir impérieux de fonder une famille, dans une société où il a tout perdu, et ce avant même le début de la pandémie. Dans le dernier épisode, Lee explique qu’il se disputait avec son épouse, en partie parce qu’il désirait un enfant, et elle non. Lorsqu’il la surprit en plein adultère, Lee perdit la raison et tua accidentellement l’amant de sa femme. En froid avec ses parents, c’est le cœur serré que Lee retrouve la pharmacie qu’ils dirigeaient, à Macon. Là-bas, il comprend qu’aucun de ses proches n’a survécu. The Walking Dead narre l’histoire de survivants dont la famille a été disloquée. Ces spectres du passé ne survivent qu’à travers des lieux abandonnés, (comme la pharmacie ou la maison de Clémentine), et des photos. Lee se contente de retrouver son frère, qu’il est obligé d’éliminer, car il s’est transformé. Il aurait probablement souhaité épargner cette expérience à Clémentine, laquelle finit par retrouver ses parents, dans le même état, à Savannah.

Dans ce monde infesté de rôdeurs, il existe une différence drastique entre vivre et survivre. Lee le comprend parfaitement, au fur et à mesure qu’il se prend d’affection pour Clémentine, qui deviendra sa principale raison d’avancer. C’est dans le contexte le plus inespéré possible que Lee finit par réaliser l’un de ses rêves : élever un enfant. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Clémentine sauve davantage Lee, que l’inverse.

Toute la nuance et l’intensité de leur relation est annoncée dès la première rencontre. Après avoir aperçu Clémentine dans les bois, de la même manière qu’un Jean Valjean aurait croisé une Cosette apeurée et portant un seau trop lourd ; Lee pénètre dans une maison abandonnée et tombe sur un Talkie-walkie. Cet objet est faussement anodin car il aura un rôle décisif dans la suite de leurs mésaventures. Clémentine, cachée dans sa cabane en haut d’un arbre, constate avec déception : « Tu n’es pas mon papa. » « Non, je ne le suis pas », réplique Lee. Aucun des deux ne sait combien ils se trompent. Clémentine avertit Lee qu’un rôdeur se trouve derrière lui et contribue à lui sauver la vie, scellant ainsi leurs destins, l’un à l’autre. A partir de cet instant, Lee se jure de protéger la fillette.

Le naturel doux et protecteur de Lee se manifeste par des scènes du quotidien, qui gagnent en intensité dans un monde où l’on croirait les câlins et les jeux de balançoire proscris. La perte de Duck (le fils de Kenny) sert toutefois d’électrochoc à Lee qui, sous les bons conseils de Chuck, décide de former Clémentine. C’est ainsi qu’il lui coupe les cheveux et lui apprend à se servir d’un revolver. L’éducation de Clémentine est au cœur du jeu, car elle a encore besoin de Lee, pour survivre. Mais celui-ci a besoin d’elle pour vivre, si bien que l’idée de la perdre devient une peur obsessionnelle. Lee cherche la petite fille, partout, quand il a le malheur de la perdre des yeux. C’est d’ailleurs cela qui l’incite à commettre une imprudence fatale : Lee se laisse surprendre par un rôdeur, ce qui lui coûtera un bras, puis la vie.

Conscient qu’il est condamné, Lee n’a plus rien à perdre et est prêt à tout pour retrouver Clémentine, lorsque celle-ci est kidnappée par L’étranger. On ne saura jamais l’identité de cet homme mystérieux, qui a tout perdu après que le groupe de Lee ait décidé de dérober les provisions contenues dans le coffre de sa voiture. Les joueurs sont confrontés à un choix antérieur et faussement anodin. Pareil à un Edmond Dantès vengeur, L’étranger a prémédité sa revanche, avec le Talkie-walkie qui lui a permis de discuter avec Clémentine, et de gagner sa confiance. Pourquoi la petite fille se serait-elle méfiée ? Le Talkie-walkie est un objet positif qui lui a permis de rencontrer Lee, et qui lui donne l’espoir de retrouver ses parents. L’étranger apparaît au cours d’une séquence brève mais intense. Il juge les actes de Lee et la manière dont il a élevé Clémentine, qu’il souhaiterait adopter. En vérité, L’étranger juge nos actes et nos choix. Il ne parvient toutefois pas à ses fins, dans la mesure où Clémentine l’élimine, avant de s’enfuir avec Lee.

Contaminé et incapable d’aller plus loin, le héros déchu se laisse choir sur le sol, et suggère à Clémentine ce qu’elle doit faire, pour s’en sortir. A ce stade, le gameplay devient brillant. Nous ne contrôlons plus les gestes de Lee, qui est paralysé. Nous ne pouvons qu’ordonner à Clémentine ce qu’elle doit faire, ce qui annonce un passage de flambeau poignant. Malheureusement, le dénouement, vous le connaissez bien. Lee implore Clémentine de ne pas le laisser se transformer. La petite fille est contrainte de tirer une balle dans la tête de celui qu’elle considérait comme son père, avant de s’en aller. Ainsi se termine l’enfance de Clémentine.

L’évolution de Clémentine

Dans la première saison, nous étions responsables de Clémentine, qui avait besoin d’être protégée et éduquée. La jeune fille devient le personnage jouable de la saison 2. Nous sommes désormais responsables de ses actes. Bien qu’elle n’ait que 11 ans, Clémentine n’est plus la fillette douce et craintive que nous connaissions. Ce monde l’a faite grandir, de manière précoce, même si elle a encore beaucoup à apprendre. Ce n’est pas étonnant si la séquence du chien errant, dans le premier épisode de la saison 2, est si poignante. Nous sommes convaincus que Clémentine s’est fait un nouvel ami, à quatre pattes, avec qui elle pourra jouer et qui saura la protéger, si besoin. Malheureusement, lorsque la jeune fille trouve de la nourriture, le chien affamé devient agressif et la mord au bras. Clémentine le repousse et le blesse, avant de se résoudre à l’achever (ou l’abandonner). Ici, comme souvent, la mort de l’animal de compagnie se traduit par l’abandon du compagnon fidèle, ou du « doudou ». Clémentine, qui avait déjà mis un pied hors de l’enfance, est amenée à gagner en maturité, pour survivre.

Ce passage à l’âge adulte est aussi illustré par la présence de Sarah. Bien qu’elle soit légèrement plus âgée que Clémentine, l’adolescente est terriblement naïve et vulnérable, en partie à cause d’un père trop protecteur. Il ne tiendra qu’aux joueurs de décider si Clémentine sera amie avec Sarah ou non, et si elle lui montrera la voie pour grandir, ou pas. Les jeux de miroir nous en apprennent beaucoup sur les personnages et sur les thématiques de la saison.

Outre le passage à l’âge adulte, cette suite aborde plus que jamais le thème de la famille. Dès l’introduction, Christa est enceinte quand elle perd son compagnon, Amid. Nous ignorons ce qui est arrivé au bébé de cette dernière, lorsqu’elle est elle-même arrachée à Clémentine. L’adolescente ne tarde pas à faire la rencontre de Rebecca, la mère de l’enfant sur lequel nous veillerons dans la saison 4 : Alvin Jr. Il est difficile de savoir qui est le père d’Alvin junior. Est-ce Alvin, l’époux de Rebecca, ou bien Bill Carver, le sociopathe qui se targue d’avoir couché avec elle ? On pourrait même mentionner Kenny, qui décide d’élever l’enfant, après la mort de Rebecca, et qui choisit par ailleurs son prénom. Dans tous les cas, Clémentine deviendra une mère de substitution pour Alvin Jr, ou plus vraisemblablement une grande sœur. « Être une grande sœur, c’est étrange » la prévient pourtant Jane, qui, après avoir perdu sa propre sœur, se prend d’affection pour Clémentine. Terrorisée à l’idée de perdre ses proches, Jane est tiraillée entre son désir d’avancer, en solitaire, et celui de rester auprès de Clémentine, à qui elle transmet des enseignements précieux. Tous ces personnages serviront d’exemples et de contre-exemples à Clémentine, quand elle sera amenée à élever Alvin Jr.

Mais il serait faux de dire que l’adolescente a toujours le statut d’élève. Désormais, c’est elle qui influence les personnages, mêmes adultes, et qui les guide vers une voie ou une autre. C’est particulièrement le cas avec Jane et Kenny. Celui-ci a beau appeler Clémentine « Duck », par mégarde, et la prendre sous son aile ; il est totalement dépendant de l’influence et des décisions de Clémentine. Ainsi, celui qui aurait pu reprendre le rôle de la figure paternelle, après Lee, se retrouve finalement dans un rapport de force inversé. C’est là qu’on constate combien Clémentine a évolué.

La déchéance de Kenny

Kenny est un personnage que l’on rencontre dès la première saison. Il n’en est pas moins versatile et difficile à cerner. Lorsque Lee fait sa connaissance, Kenny apparaît comme un mari et un père de famille, certes un peu rustre, mais protecteur et bienveillant. Les joueurs comprennent très vite que Kenny est un personnage susceptible et rancunier dont il est difficile de devenir l’allié. Capable du pire comme du meilleur, il franchit un point de non-retour en choisissant de tuer Larry, le père de Lilly (sa rivale), lorsqu’il est victime d’une crise cardiaque. Kenny est un personnage excessif, car il peine à gérer ses émotions. La culpabilité est, chez lui, rapidement transformée en colère ou en agressivité. En creusant un peu, Lee s’aperçoit que Kenny est prêt à tout pour se montrer utile et pour protéger ceux qu’il aime. Malheureusement, son fils Duck se fait mordre. Ne supportant pas de le voir dépérir, sa mère, Katjaa, décide brutalement de se suicider. Kenny assiste à l’effondrement de sa famille, impuissant, avant de laisser à Lee l’opportunité d’achever Duck. C’est un homme brisé.

Et ce n’est pas la découverte d’un enfant transformé en rôdeur, dans un grenier à Savannah, qui arrange son cas. Il s’agit d’une réminiscence douloureuse de ce qui est arrivé à Duck ; mais aussi d’une opportunité d’entreprendre le processus du deuil. Peu de temps après, Kenny apprend que c’est en partie à cause de Ben, que Duck a été mordu. Lee peut choisir de protéger Ben. Sans surprise, Kenny lui en voudra. Du moins, dans un premier temps. Kenny est en effet prêt à se sacrifier pour essayer de sauver Ben, si celui-ci tombe du toit. Un personnage plein de contradictions.

Alors qu’on croyait Kenny mort, celui-ci réapparaît dans la saison 2, au rythme des notes bien connues du thème de Clémentine et Lee. Amoureux de Sarita, Kenny semble un homme neuf et apaisé. Mais il sera de nouveau confronté à ses vieux démons. Lorsque le groupe est fait prisonnier par la communauté de Carver, Kenny se fait quasiment battre à mort par Bill. Il perd un œil. Alors que le groupe profite de l’arrivée d’une horde, pour s’enfuir, Kenny prend soigneusement le temps d’assassiner Carver. Clémentine est libre d’assister au carnage, ou non. Il s’agit d’un deuxième point de non-retour pour Kenny, qui, peu de temps après, perd Sarita.

La saison 2 pourrait alors être résumée par une citation de Nietzche : « Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas en devenir un lui-même. Et quand ton regard pénètre longtemps au fond de l’abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. »

Au fil des épisodes, Kenny devient de plus en plus imprévisible, incontrôlable et tyrannique, si bien que les autres survivants ont peur de lui, redoutant qu’il devienne un nouveau Carver. Le jeu est alors rusé car tout nous invite à nous retourner contre Kenny. Celui-ci devient, d’une certaine façon, le véritable antagoniste de cette saison 2. De nombreux personnages mettent Clémentine en garde contre lui, à commencer par Jane qui le provoque de façon irrémédiable, en lui faisant croire qu’Alvin Jr a été tué. Les deux mentors de Clémentine commencent un duel à mort, où Kenny prend le dessus. Les joueurs sont alors invités à l’abattre. Et pourtant… Pourtant… Il y a la possibilité de l’épargner, au détriment de Jane.

Il n’est évident ni pour Clémentine, ni pour les joueurs, de demeurer la boussole morale de Kenny, jusqu’au bout. J’ignore si cela est juste, mais c’est ce que j’ai choisi de faire. Or, il est réconfortant de voir que, lorsqu’il se retrouve seul avec Clémentine et Alvin Jr, Kenny retrouve la raison, jurant qu’il ne leur fera jamais de mal. Cette rédemption est encore plus satisfaisante que celle de Lee, car elle est bien plus compliquée à obtenir. Quand ils arrivent au refuge de Wellington, Kenny et Clémentine apprennent que les survivants n’acceptent plus de nouveaux venus. Pourvu qu’ils consentent à accueillir l’adolescente et le bébé, Kenny est prêt à se sacrifier et à partir. Il n’est peut-être pas parvenu à sauver Duck, mais il sauvera Clémentine et Alvin Jr. Une fois encore, il ne tient qu’aux joueurs de rester à Wellington, ou de demeurer auprès de Kenny, coûte que coûte. Les différents dénouements de la saison 2 sont intenses et révélateurs de notre manière de raisonner ou de jouer. C’est d’autant plus dommage que A New Frontier ait balayé tout cela, d’un revers de la main. Mais c’est un autre sujet, dont nous débattrons dans la partie II.

Épilogue

En dépit de quelques références aux comics The Walking Dead, la série Telltale a rapidement emprunté son propre chemin, afin de donner vie à des personnages inédits et mémorables, tout en utilisant le prétexte de l’apocalypse, pour explorer l’âme humaine. Malgré son passé criminel, Lee est un personnage attachant qu’il est improbable de ne pas apprécier. Certes, cela est influencé par les choix des joueurs, mais Lee est d’un naturel philanthrope et protecteur. Son seul objectif et de veiller sur Clémentine, et de lui donner toutes les chances de survivre, dans ce monde infesté de rôdeurs. Bien que la petite fille doive beaucoup à son père de substitution, c’est elle qui sauve le plus Lee, en lui permettant de réaliser un rêve de longue date, et surtout, en lui donnant une raison de vivre et d’espérer. Dans The Walking Dead, les relations humaines sont à la fois la seule source de réconfort des personnages, et aussi le pire des dangers. Dans la saison 2, Clémentine est une adolescente étonnamment mature pour son âge. Il lui faudra sacrifier les derniers pans de son enfance pour survivre, mais aussi assister à différents jeux de miroir entre les personnages et les relations, pour progresser. La question de la parentalité mais aussi de la fraternité (ou sororité) est cruciale dans The Walking Dead. Kenny est un personnage très intéressant. Alors qu’on le soupçonne d’incarner un nouveau père de substitution pour Clémentine, ou au contraire, un nouveau tyran, son destin est finalement dépendant des décisions de Clémentine, qui n’est plus une fillette à protéger, mais un guide à son tour. Et ce avant même d’élever Alvin Jr. Punir Kenny pour ses actes, ou choisir de le guider vers la rédemption, est un choix personnel qui appartient à chaque joueur. Nous avons aussi la possibilité de donner raison à Jane, afin de se libérer de toute forme de patriarcat, ou encore d’abandonner les deux mentors déchus, afin que Clémentine poursuive sa route, de manière indépendante. Chaque dénouement a du sens, et en dit long sur la manière dont évolue Clémentine.

Et vous, quels ont été vos choix ? A bientôt pour la partie II.

Ode aux personnages

Nous sommes le 30 avril. Il s’agit du jour de l’anniversaire d’Hauntya, dont tu connais peut-être déjà le blog. Pour l’occasion, je lui ai proposé de choisir le sujet de cet article. Hauntya m’a confié qu’elle avait envie que j’évoque mes personnages vidéoludiques favoris. Je trouve toutefois qu’il est plus intéressant d’y réfléchir, à plusieurs, comme je l’avais fait pour l’Ode aux thèmes de personnages. C’est pourquoi j’ai demandé à Hauntya de sélectionner dix personnages qu’elle affectionne, tout en faisant la même chose de mon côté. Une fois n’est pas coutume, j’essaie de te proposer une petite réflexion sur l’amour que l’on peut porter à ces personnages en pixels, plutôt qu’un simple Top. J’espère qu’elle t’inspirera suffisamment pour que tu nous confies, à ton tour, les personnages t’ayant le plus marqué(e). (Si tu en as envie, rendez-vous à la fin de l’article).

1. Les personnages formateurs

L’ami d’enfance

Nous avons tous été marqués par des personnages liés à l’enfance, soit qu’ils fassent partie de nos premiers souvenirs de joueurs, soit qu’ils véhiculent cette valeur dans l’œuvre dans laquelle ils apparaissent. De mémoire, le premier personnage que j’ai adoré est la mascotte de Pokémon : Pikachu. Ne me juge pas ! Je devais avoir environ huit ans quand j’ai commencé à regarder l’anime, et lorsque j’ai acquis ma propre Game Boy Color, munie de la cartouche de Pokémon version Jaune (1998). Pikachu symbolise le nombre incalculable d’heures que j’ai passées sur le JRPG, avant même de me découvrir une réelle passion pour le jeu vidéo ou ce genre en particulier. Pikachu est la madeleine de Proust idéale me renvoyant, avec nostalgie, à une époque heureuse, laquelle n’est plus si révolue que cela dès lors que je me lance dans une nouvelle aventure Pokémon.

Hauntya, pour sa part, a choisi le Roi Mickey, dans Kingdom Hearts (2002). Même s’il s’agit d’un jeu qu’elle a découvert récemment (et ce, sans aucune pression de ma part), Kingdom Hearts la renvoie à deux univers avec lesquels elle a grandi : la saga Final Fantasy et les classiques d’animation Disney. Or, Mickey a un rôle particulier dans Kingdom Hearts : «  Il est un des moteurs de l’intrigue, une figure de sagesse, et toujours empli d’espérance et de positif. Il représente le lien entre deux mondes différents, a un rire mémorable, une première apparition magistrale, et est très bien réinventé dans cet univers. » En fait, Sora et ses amis cherchent (entre autres) le Roi Mickey pendant la majeure partie de l’intrigue, avant de le retrouver au sein d’une cinématique mémorable. Pour l’anecdote, Disney avait expressément demandé aux créateurs de Kingdom Hearts d’utiliser leur mascotte avec parcimonie afin qu’il demeure iconique. Square Enix n’a donc pas fait les choses à moitié.

Le favori d’une licence clé

Un premier point commun se dégage entre Hauntya et moi, et pas des moindres. Nous avons grandi avec la licence Final Fantasy. Hauntya m’a confié que Linoa Heartilly, une des héroïnes de Final Fantasy VIII (1999), l’a accompagnée dans ses premiers pas de joueuse. Même si Linoa mériterait d’être redécouverte, sous un regard adulte, elle garde une place à part dans son cœur de gameuse : «  J’ai découvert une héroïne adorable, empathique, charmante, altruiste, engagée et franche comme pas deux. Un personnage qui veut le meilleur, et qui n’hésite pas à aider les autres. Quand on est enfant, c’est un protagoniste qui peut aisément devenir un modèle et transmettre de belles valeurs. » Il est plus difficile de décrypter un jeu lorsqu’on est jeune, et pourtant, les premières impressions ne trompent pas. Comme je l’avais remarqué dans mon analyse de Final Fantasy VIII, le patronyme même de Linoa (Heartilly) indique que ses actions sont dictées par le cœur, en plus de sa capacité à tirer les autres vers le haut, à commencer par Squall, le protagoniste. Linoa a une place particulière dans Final Fantasy VIII, qui est l’un des opus de la saga accordant le plus d’importance à la romance.

Pour ma part, j’aime un nombre incalculable de personnages de Final Fantasy, comme tu t’en doutes. Quasiment chaque protagoniste (et antagoniste) m’a marqué, à sa façon. Mais les compagnons de route ont toujours un charme singulier. Si je devais n’en choisir qu’un, il s’agirait certainement d’Auron, dans Final Fantasy X (2001). En fait, comme tu le réaliseras au fil de cet article, Auron est composé de plusieurs ingrédients qui me font apprécier un personnage. C’est un personnage plus mature que le héros, à qui il doit beaucoup enseigner. Il semble bourru et inaccessible, mais on finit par apprendre à l’apprivoiser. Sa tenue et sa manière de se battre son charismatiques, mais par-dessus tout, il est couvert de cicatrices, au point de ne voir que d’un œil et d’avoir l’un de ses bras immobilisé. C’est un combattant aguerri, qui en a trop vu pour une seule vie. On peut le qualifier de taciturne, mystérieux et cynique. C’est un personnage gris, qui essaie tant bien que mal de rester dans le positif. On le retrouve, de surcroît, dans le deuxième opus de Kingdom Hearts.

L’aventurière

La deuxième héroïne d’enfance d’Hauntya n’est autre que Lara Croft, dans Tomb Raider (2001). Voilà ce que m’a confié Hauntya : « Avec Lara, j’ai exploré des tas de pays, j’ai découvert un caractère fort et déterminé, mais aussi d’une élégance toute britannique, et avec Angel of Darkness, j’ai commencé à avoir mon amour pour les jeux vidéo sombres portant sur la psychologie des personnages. » Crois-le ou non, je n’ai jamais vraiment joué à Tomb Raider, qui m’évoque néanmoins de la nostalgie. Pour cause, mon père (qui a pourtant joué à peu de jeux) en était fan. J’ai été marquée, à mon insu, par les images, la musique ou les bruitages de la licence. Par ailleurs, Lara a influencé tellement de joueurs de ma génération qu’il est impossible de nier l’empreinte qu’elle a laissée sur le jeu d’aventure. Il s’agit d’une exploratrice forte et de l’une des premières héroïnes aussi emblématiques.

Pour ma part, je pourrais comparer l’affection d’Hauntya pour Lara, à celle que j’ai pour Aloy, dans Horizon Zero Dawn (2017). Certes, le jeu est assez récent mais il s’agit également d’une aventurière dont on suit l’évolution psychologique avec intérêt. Aloy a une place encore plus singulière depuis que mon animal de compagnie porte le même nom qu’elle. Mais ce qui me passionne le plus est la dynamique que l’on trouve, au début du jeu, entre Aloy et son père adoptif Rost. Je suis toujours touchée lorsqu’une histoire nous raconte la manière dont un personnage grandit, et lorsqu’il ou elle est guidé(e) par un mentor ou une figure parentale protectrice. Rost est de ces pères, d’apparence faussement bourrue, mais emplis d’abnégation, qu’on rêverait tous d’avoir. Il forme Aloy afin qu’elle devienne à la fois forte et indépendante, et on peut dire que cette quête initiatique est une réussite.

2. Exemples et contre-exemples

La figure du mentor

La figure du mentor est incontournable dans un récit initiatique. Elle est plus essentielle encore dans le cadre du jeu vidéo. Au contraire du cinéma, le joueur y est actif et doit lui-même accéder à l’apprentissage. Il n’est pas surprenant que le mentor ayant le plus ému Hauntya est Lee Everett, dans The Walking Dead : A Telltale Games Series (2012). « Juste, altruiste et réfléchi (bien qu’avec un passé sombre), cet ancien professeur est la parfaite figure du mentor qui aide Clementine à grandir dans le monde des zombies, marquant l’esprit de la petite fille, et aussi du joueur. En jouant Lee, nous décidons de l’apprentissage et de la survie de Clementine, en même temps que nous partageons les peurs et les tentatives de Lee de trouver un endroit sûr pour elle. C’est le mentor ou la figure paternelle qu’on aimerait avoir connu, qui donne envie de croire en l’homme. Que celui qui n’a pas pleuré à la fin de la saison 1 me jette la première pierre… » L’histoire de Lee est bouleversante, c’est indéniable. Je crois qu’elle l’est davantage lorsqu’on joue à la saison ultime de The Walking Dead, dans laquelle Clémentine est elle-même responsable d’un petit garçon. Cela permet de clôturer le cycle.

Ce qui est amusant, c’est que nous avons choisi, sans nous concerter, deux personnages appartenant à la même licence. J’ai été marquée par Kenny, un des amis de Lee et Clémentine. Dès la première saison, on réalise que Kenny est un homme nuancé, capable du meilleur comme du pire, dès qu’il est poussé dans ses retranchements. Or, Kenny fait face à des situations tragiques. Dans la saison 2, il endosse, d’une certaine façon, le rôle qui avait été celui de Lee. Il devient une nouvelle figure paternelle pour Clémentine, certes moins exemplaire. Comme d’autres personnages de la pop culture que j’affectionne, Kenny perd un œil. (Notons que c’est aussi le cas du Gouverneur, dans les comics et dans la série The Walking Dead.) Perdre un œil est symbolique. Le borgne voit, par définition, moins que les autres. Mais il est amené à acquérir, par la suite, une autre forme de clairvoyance. Cela peut aussi faire référence à la loi du Talion (« œil pour œil, dent pour dent »). La force de la saison 2 de The Walking Dead réside dans le fait que tu es libre de rester du côté de Kenny, ou non. Tu peux être rebuté(e) par ses éclats de colère et de folie et l’abandonner, ou au contraire, lui demeurer fidèle jusqu’à la fin. Dans ce cas-là, Kenny accède à une forme de remise en question et de rédemption. Les personnages égarés, aisément détestables, mais qu’on peut finalement sauver pourvu qu’on ait cru en eux, ont l’art de me parler.

L’anti-héros par excellence

Tu l’auras compris, Hauntya et moi sommes séduites par les personnages gris. Si Lee et Kenny accèdent, difficilement, à une forme de rédemption, certains personnages sont confrontés à des actes encore plus terribles. Mais n’est-ce pas pire lorsque tu ne t’en rends compte qu’à la fin du jeu ? Hauntya a choisi de nous parler du protagoniste de Silent Hill 2 (2001) : « James Sunderland représente mon retour aux jeux vidéos : il m’a rappelé à quel point ces univers vidéoludiques pouvaient être fouillés, passionnants et emplis de personnages marquants. Mon affection pour lui est lié à cette longue quête dans un Silent Hill cauchemardesque, dont j’espérais qu’il sortirait vivant, le protégeant contre toute attaque. Et puis, à la fin, se rendre compte qu’il est loin d’être un narrateur fiable ; qu’il est avant tout en quête de rédemption et de pardon, et qu’il affrontera la vérité sur ses actes, en dépit de son crime ; cela en fait un personnage tragique, aux réactions proches des nôtres, et qui nous fait réfléchir à sur ce qu’on aurait fait à sa place. » Je n’ai jamais fait Silent Hill 2, mais le jeu semble pourvu d’un scénario prenant le joueur au dépourvu, au point de le pousser à revoir son jugement sur le protagoniste.

C’est aussi le cas dans Star Wars : Knights of the Old Republic (2003). Si tu comptes faire ce jeu un jour, je t’invite à passer tout de suite au paragraphe suivant. Le meilleur jeu de l’univers Star Wars, surnommé KOTOR, permet d’incarner un protagoniste sensible à la Force. Il parcourt la galaxie, entouré de compagnons attachants, afin de devenir un Jedi et d’éradiquer la menace Sith : Dark Malak. Or, on réalise, au cours du dernier acte du jeu, que le protagoniste était lui-même un Sith, avant d’être terrassé par les Jedi, qui ont modifié ses souvenirs. Et pas n’importe quel Sith. Tu te rends compte que tu incarnes, à ton insu, Dark Revan, l’ancien maître de Dark Malak. KOTOR étant un RPG, tu as le choix entre le côté lumineux et le côté obscur de la Force. Tu peux pardonner ce mensonge à tes amis et demeurer un héros, en terrassant Dark Malak. Tu peux aussi choisir de te laisser dominer par la colère et la vengeance, en terrassant tes anciens compagnons, afin de redevenir Dark Revan, le maître tyrannique de la galaxie. Ce plot twist est, à mon sens, l’un des plus osés de l’histoire du jeu vidéo. Il n’est pas surprenant que Dark Revan soit devenu si emblématique dans l’univers étendu.

L’antagoniste

Tout cela m’amène à évoquer la figure de l’antagoniste ou du méchant, dans le jeu vidéo. Comme tu le sais peut-être, Hauntya et moi en sommes assez friandes. Or, il n’est pas idiot de se demander pourquoi l’on peut être fasciné(e) par un personnage à priori détestable. Notons qu’il existe plusieurs types de méchants, et que je suis moi-même plus réceptive à ceux ayant une part d’humanité, plutôt qu’aux entités caricaturales du mal. Je pense qu’un antagoniste bien construit permet de se questionner sur soi-même. D’après Jens Kjeldgaard-Christiansen, ce sont les méchants qui posent le plus d’interrogations sur le fonctionnement de la société, et sur la limite entre le bien et le mal. Or, un méchant bien construit n’est pas seulement méprisable. Il peut aussi posséder une apparence ou des vertus le rendant attractif. Après tout, le contraire serait manichéen et peu réaliste. L’antagoniste peut avoir des circonstances atténuantes qui expliquent ses réactions, faute de les pardonner. On pourrait aussi mentionner la fonction cathartique du vilain : ces personnages réalisent tout ce que nous n’oserions et ne devrions jamais faire. En ce sens, il est heureux que l’art existe ! J’aimerais clôturer cette mini-réflexion par la citation de Hitchcock suivante : « Meilleur est le méchant, meilleur est le film. »

Il se trouve que je suis amoureuse d’un jeu qui est loin de faire l’unanimité chez les fans de la licence : Final Fantasy XV (2016). A mon sens, le JRPG doit énormément à son antagoniste, un certain Ardyn Izunia. Il s’agit d’un antagoniste comme je les aime : chafouin au possible, il profite d’une apparence faussement anodine pour manipuler autrui. En un sens, il me rappelle Gaunter dans The Witcher III. Or, Ardyn abandonne parfois son attitude nonchalante pour démontrer un grain de folie. Ajoutons à cela une réelle dualité avec le protagoniste, Noctis. En découvrant le passé d’Ardyn, on réalise combien celui-ci croit ses actions légitimes. Je préconise de faire le DLC permettant d’incarner Ardyn. Interpréter un méchant y est purement cathartique, mais au-delà de ça, le DLC permet de réaliser qu’Ardyn n’a pas toujours été aussi démoniaque.

Il est heureux que j’ai mentionné The Witcher III (2015) car Hauntya en a choisi un autre antagoniste : Syanna. Notons que celle-ci n’apparaît que dans le DLC Blood and Wine : « Elle est une des investigatrices derrière les intrigues du DLC, et également un personnage brillamment écrit, mêlant à sa destinée à des histoires de vampires et de conte de fées. Considérée comme maudite pendant son enfance, en grandissant, elle devient une femme badass, déterminée et cynique, mettant son intelligence à profit pour nuire à d’autres protagonistes. C’est aussi un personnage vulnérable qui a subi de sacrées blessures, mais qui ne se laisse pas pour autant abattre et qui fait tout pour arriver à ses fins, séduisant et manipulant. La fin de son histoire peut être à double tranchant, achevant de rendre ce personnage complexe, nuancé et finement élaboré. »

3. Réécritures et différences

Le personnage adapté

Abordons un sujet plus léger avec la réécriture d’un univers. Hauntya est une grande fan de littérature, il n’est donc pas étonnant qu’elle ait été séduite par plusieurs adaptations de romans, à commencer par American McGee’s Alice (2000) et Alice Madness Returns (2011). Le conte Alice au Pays des Merveilles est troublant, qu’il s’agisse de sa forme littéraire ou même de l’adaptation réalisée par Disney. Mais ce n’est sans doute rien face aux jeux dont nous parle Hauntya. « American McGee revisite le Pays des Merveilles et Alice d’une manière psychologique, sombre et merveilleuse à la fois, prouvant qu’on peut transposer brillamment l’essence d’un univers littéraire en jeu vidéo sans le trahir. Son Alice est aussi une figure féminine, tranchante, ironique et déterminée à la fois. »

Pour ma part, j’ai envie de revenir sur une saga que nous avons déjà évoquée : Kingdom Hearts. N’est-elle pas emblématique lorsqu’on parle de réécriture de contes, de films ou même de jeux ? Les personnages, originaux ou empruntés à la licence Final Fantasy sont confrontés aux péripéties de nombreux univers Disney. Dans chaque jeu, lesdits Disney sont choisis de manière à servir le fil rouge de l’histoire et sincèrement raconter quelque chose. Mon personnage favori de Kingdom Hearts n’est autre que Roxas. Tu es amené(e) à contrôler Roxas, dans le prologue de Kingdom Hearts 2 (2005), sans savoir ce qu’il est advenu de Sora, le réel protagoniste. Tu réalises alors que l’identité de Roxas est plus nébuleuse que tu l’imaginais, au même titre que son rôle dans l’histoire. Je suis très sensible à l’allure d’un personnage et j’adore celle de Roxas. Ce n’est pas étonnant car je suis amatrice du travail de son character designer : Tetsuya Nomura. La tenue initiale de Roxas est constituée de carreaux et de motifs tranchant entre le blanc et le noir, afin de symboliser les nuances et déchirures de ce personnage si mélancolique. Le nom Roxas est, quant à lui, un anagramme de Sora, auquel on ajoute la lettre -x. Ces détails peuvent sembler anodins, mais j’adore quand un personnage regorge de symbolisme. (Pour l’anecdote, Roxas se cache dans le logo de Little Gamers, à l’instar de Six, dans Little Nightmares.)

Le personnage mythologique

La réécriture d’un univers n’est-elle pas encore plus ambitieuse lorsqu’il s’agit de mythologie ? Il se trouve que, récemment, Hauntya et moi avons été séduites par la mythologie nordique, à travers deux jeux distincts. Hauntya a eu un véritable coup de cœur pour Hellblade : Senua’s Sacrifice (2017). « Senua est une guerrière picte hissée au rang de figure mythologique, traversant une odyssée aux enfers nordiques pour récupérer l’âme de son bien-aimé. En la rendant psychotique, les créateurs du jeu ont aussi voulu montrer leur engagement à la sensibilisation des maladies mentales. Si j’aime autant Senua, c’est pour son courage, son humanité, son refus absolu d’abandonner sa quête, sa vulnérabilité. Et pour sa sensibilité : en montrant le visage d’une héroïne singulière et différente, qui ne voit pas le monde comme les autres et qui n’est pas dans la norme, impossible de ne pas s’y identifier, d’y trouver un écho avec ce qu’on a soi-même vécu. » Il est intéressant de constater combien un personnage peut diviser. Alors qu’Hauntya a été charmée par Senua, je ne suis parvenue à faire que le début de Hellblade, que j’ai trouvé dérangeant. Ce n’est pas pour cela qu’il est mal fait, bien au contraire !

J’ai moi-même été charmée par un personnage qui divise tout autant. Kratos est le Dieu de la Guerre, un homme féroce qui ne laisse guère de place à la parole ou à l’épanchement des sentiments. Dans les premiers God of War, il ne se soucie que d’assouvir sa soif de vengeance, quitte à tout détruire sur son passage. Ce n’est pas parce qu’il est le personnage que nous incarnons qu’il est héroïque. Mais alors que les premiers God of War se focalisent sur l’action et sur les hurlements bestiaux de Kratos (ce qui réduit son intérêt, on ne va pas se mentir), le dernier God of War (2018) donne un nouveau souffle à la saga. La mise en scène est plus travaillée que jamais, grâce à un plan-séquence et des environnements incroyables. Le gameplay est réajusté, la mythologie nordique inédite et surtout, Kratos devient le père d’Atreus, qui l’assiste tout au long de ses aventures. Kratos ne devient ni parfait, ni le père de l’année, mais c’est un guerrier déchu, ébranlé par son passé et par ses crimes antérieurs. Il éprouve les plus grandes difficultés du monde à révéler à son fils qui il est vraiment. Atreus ignore même qu’ils sont des dieux. La quête de rédemption a su me toucher, au même titre que le sous-texte de certains dialogues entre Atreus et Kratos qui, aussi fort est-il, a peur de révéler un secret susceptible d’ébranler leur relation.

Le personnage qui s’affirme

La peur de révéler un secret susceptible d’ébranler une relation est quelque chose qui a parlé, à un moment ou un autre, à toute personne ayant été concernée par un coming-out. Il était inévitable pour Hauntya et moi de sélectionner (toujours sans se concerter), au moins un personnage représentatif de la cause LGBT, dans les jeux vidéo.

Le choix d’Hauntya s’est porté sur un des personnages principaux de la licence Life is Strange (2015) : Chloe. Bien sûr, elle n’a pas choisi Chloe juste parce qu’elle est queer et lesbienne (dépendamment des choix que l’on faits). Ce serait assez discriminant. Life is Strange est assez bien écrit pour faire de Chloe un personnage à part entière, indépendamment de cela. « Comment ne pas aimer Chloe Price ? Elle est punk, queer, déterminée, rebelle ; elle est aussi une amie loyale, une personne aux principes bien arrêtés et sans filtre, ayant vécu du bon et du mauvais, et encore dans cette phase de recherche propre à l’adolescence et au début de l’âge adulte. Elle incarne ce qu’on a pu ressentir pendant sa propre adolescence, émerveillement comme cynisme, et en même temps, elle nous touche en ayant subi bien des sentiments universels : le deuil, la rupture amicale, l’amour, l’amitié, la dépression. Elle est terriblement mature, tout en ayant toutes ces émotions démesurées que chacun connaît aux périodes de construction de sa vie. Et elle est juste hyper cool. » Chloe est un personnage très affirmé, incarnant néanmoins la quête d’identité de tout adolescent digne de ce nom. Ce paradoxe est terriblement juste et touchant.

Au contraire, le personnage que j’ai sélectionné est quelqu’un qui ne se pose aucune question sur son identité et ses envies, même s’il semble redouter le jugement d’un père. Il s’agit de Sylvando, dans Dragon Quest XI (2017). Comme il s’agit du dernier jeu que j’ai terminé, je te laisse imaginer la prouesse de Sylvando, qui se range aux côtés de personnages que je fréquente depuis des années, voire depuis toujours. Sylvando est un personnage flamboyant, qui casse les codes de la chevalerie et même de la masculinité. On peut trouver ce choix surprenant de ma part après avoir évoqué Kratos mais il faut croire que je suis une personne pleine de contradictions ! En fait, certains n’apprécient pas la féminité et l’exubérance de Sylvando, comme je l’avais souligné dans mon article dédié à Dragon Quest XI. Selon moi, c’est passer à côté de l’humour et du sous-texte bienveillants du jeu. Je ne suis pas amatrice du terme, mais Sylvando ressemble à une folle. La pseudo Gay Pride de Dragon Quest XI est d’ailleurs une scène d’anthologie. Mais cela n’empêche pas Sylvando d’être un des personnages les plus sages et puissants de l’équipe. C’est là que le jeu est intelligent. Notons qu’il s’appelle Sylvia et se genre au féminin, dans la version japonaise, ce qui rend le personnage encore plus intriguant, alors que l’homosexualité ou la question du genre ne sont jamais évoquées de manière explicite dans Dragon Quest XI. Sylvando est un personnage extrêmement drôle, déluré, positif et porteur de belles valeurs.

4. La légende

C’est ainsi que cette Ode aux personnages que nous aimons se termine. Ceci étant dit, je ne vais pas te laisser partir sans aborder un dernier personnage. Bien que nous ayons beaucoup de goûts communs, il est le seul qu’Hauntya et moi avons décidé de sélectionner, toutes les deux, dans notre palmarès.

Il s’agit de Geralt de Riv, que nous avons découvert dans The Witcher III (2015), dont j’ai déjà plusieurs fois parlé sur le blog. Je laisse Hauntya le décrire mieux que moi : « Geralt est un de ces personnages qui met du temps à être apprivoisé, qui passe tout d’abord pour un mec bourru, froid et peu sensible au reste du monde. Et puis on le dévoile peu à peu, on découvre ses nuances et ses émotions, tout comme on découvre les multiples nuances de gris dans son univers fantasy. Il nous montre comment personne ne peut être juste noir ou blanc, et comment les intentions sont davantage ce qui font de nous des monstres ou des humains, peu importe l’apparence. Et son voyage est si immersif, empli de tas d’histoires, de personnages fabuleux, que quand on quitte Geralt, on ressent un grand vide, après avoir appris à le connaître et l’apprécier, comme un véritable ami à qui on dit au revoir. »

Je te remercie pour ta participation, Hauntya, et laisse-moi te souhaiter un bel anniversaire. Maintenant, je serais très curieuse de connaître, cher lecteur, chère lectrice, tes personnages favoris. J’ai peut-être même de quoi t’aider…

Ode aux personnages (