Je n’ai pas l’habitude de m’appesantir sur les « réalisateurs » de jeux vidéo, lors de mes articles. Sans doute est-il temps de bousculer les habitudes avec Josef Fares. Connu pour ses déclarations excentriques et parfois présomptueuses, le créateur libano-suédois ne manque pas d’inventivité, comme en témoignent les trois jeux sur lesquels il a travaillé. Brothers (2013) est un jeu solo mettant l’accent sur la relation entre deux frères. Dans ce conte féerique, les deux jeunes hommes cherchent l’eau de l’Arbre de Vie afin de sauver leur père. Ils sont amenés à coopérer et à employer leurs compétences respectives, pour venir à bout des obstacles. Chaque frère est contrôlé, en simultané, par le même joueur, grâce aux différentes gâchettes de la manette. Il est clair que Brothers marque les prémices des jeux suivants de Josef Fares :A Way Out (2018) etIt Takes Two (2021).Ces deux aventures sont une ode à la coopération, pas seulement entre les personnages, mais aussi entre les joueurs. Et ce, en local, comme en ligne. (D’ailleurs, seulement un des joueurs doit acheter le titre pour en faire profiter un(e) ami(e)).A Way Out et It Takes Two parviennent à se démarquer l’un de l’autre, tout en maintenant une certaine continuité.
De la bromance à la thérapie de couple
J’ai eu l’occasion de refaire A Way Out, cette année. Le jeu narre l’histoire de Leo et Vincent, deux prisonniers devant apprendre à travailler ensemble, afin de s’évader de prison. De cette cavale naîtra une amitié unique et quasiment fraternelle. J’ai eu le partenaire idéal de jeu, pour l’occasion, puisqu’il s’agissait de mon propre hermanito : Mystic Falco. S’il a opté pour Vincent, un homme « rationnel et réservé », j’ai choisi Leo, plus « sanguin et sarcastique ». Le monde est bien fait, n’est-ce pas ?
Dans la mesure où il vient de sortir, It Takes Two fut une découverte totale. L’histoire prend place alors que May et Cody décident de divorcer. Leur fille, Rose, aidée d’un livre magique, leur jette un sort, afin qu’ils se réconcilient. Transformés en poupées d’argile et de bois miniatures, May et Cody vont traverser une série d’épreuves, similaires à une bien étrange thérapie de couple. Une fois encore, ma partenaire fut tout à fait adaptée, (non pas que l’on se soit disputées !). J’ai joué avec ma chère Hauntya. Celle-ci a incarné May, une femme sérieuse et professionnelle, prête à se jeter au cœur de l’action ; tandis que j’ai interprété Cody, l’époux plus insouciant et maladroit, qui s’apparente davantage au personnage de soutien. Ils collaborent de façon équilibrée, dans l’espoir de redevenir humains.
Buddy movie et conte de fée, à la Shrek
Les mésaventures de Vincent et Leo sont pourvues d’une ambiance réaliste, sans être crédible. A Way Out est un véritable hommage aux films d’action des années 80 et 90, grâce à une mise en scène parfois ingénieuse, et très souvent stéréotypée. Multipliant les clichés volontaires et les références, (notamment à Old Boy ou Heat), A Way Out est une lettre d’amour décomplexée au cinéma. It Takes Two prend place dans une atmosphère féerique, ou du moins parodique. Si l’humour était déjà présent dans A Way Out, il est complètement débridé dans ce nouveau titre. Les références – surtout vidéoludiques – ne sont pas non plus en reste, si l’on se fie à la multitude d’easter eggs (A Way Out, The Legend of Zelda,…).
Sur le plan narratif, les deux jeux de Josef Fares ne sont pas révolutionnaires. Toutefois, leur audace, du point du vue du gameplay collaboratif, n’a pas son égale dans le paysage vidéoludique actuel.
Aventure narrative ou gameplay décomplexé ?
A Way Out est un jeu d’action-aventure dans lequel le gameplay est totalement au service de la narration. Si Vincent et Leo doivent coopérer pour s’évader de prison, c’est pour tisser une amitié unique. Si le titre varie les séquences de gameplay, c’est pour raconter une histoire qui ne souffre d’aucune baisse de rythme. L’absence de collectibles y contribue également, d’autant qu’ils sont remplacés par une multitude d’actions ou de mini-jeux à accomplir. En plus de préparer le terrain d’It Takes Two, ces mini-jeux ne sont pas aussi anodins et anecdotiques qu’on ne pourrait le penser. Le jeu est suffisamment intelligent pour les utiliser à des fins, une fois encore, narratives. Les mini-jeux en question renforcent la complicité des joueurs, et, par la même occasion, l’attachement qu’ils ressentent pour Leo et Vincent, qui deviennent eux-mêmes amis. On pourrait même qualifier cette manœuvre d’insidieuse dans la mesure où le jeu contient également des séquences émouvantes.
It Takes Two prend quelque peu le contre-pied de son prédécesseur, puisqu’il s’agit d’un jeu de plate-formes, où l’histoire n’est finalement qu’un prétexte pour enchaîner les phases de gameplay différentes. Cette fois-ci, la narration est au service du gameplay, et ce n’est pas un défaut, bien au contraire.It Takes Two est un chef-d’œuvre d’inventivité, dans lequel les niveaux, les obstacles et les manières de progresser ne se répètent jamais. Si l’on aurait pu craindre une certaine cacophonie, le jeu demeure harmonieux, grâce à son fil rouge. Au cours des premiers chapitres, May et Cody affrontent des corvées et même des objets du quotidien personnifiés, mais tout à fait ordinaires. L’étrange thérapie va toutefois les aider à se raccrocher à leurs souvenirs et surtout, à retrouver leurs passions. L’utilisation des mini-jeux atteint, quant à elle, son paroxysme. Dissimulés ici et là, dans les différents niveaux, ces mini-jeux regorgent d’inventivité et peuvent vous occuper, à eux seuls, durant des heures.
Une expérience fun et intimiste
A Way Out et It Takes Two sont des jeux comme on en fait trop peu, aujourd’hui. Josef Fares est probablement l’un des seuls créateurs à avoir compris combien les jeux multijoueurs (mais narratifs et possibles en local) pouvaient manquer au public.Si Leo, Vincent, May et Cody deviennent attachants, c’est parce que les joueurs se projettent en eux, par l’intermédiaire d’une relation qui ne demande qu’à s’étoffer, entre les personnages, mais aussi entre les joueurs eux-mêmes. Ces jeux n’ont pas la prétention de se prendre au sérieux, comme en témoignent leur intrigue quelque peu traditionnelle ou la multitude de clichés volontaires. Et pourtant, ils sont révolutionnaires grâce au dynamisme de l’écran splitté et surtout à leur inventivité, en terme de gameplay collaboratif. Bien que je sois profondément attachée à A Way Out, qui m’a fait rire, comme il m’a attristée ; j’ai été subjuguée par le rythme effréné et par l’imagination débordante d’It Takes Two. Ce nouveau titre se révèle plus ambitieux encore, grâce à des chapitres plus longs, plus ouverts, et regorgeant de mini-jeux ou de détails amusants. Ces deux jeux sont probablement ce qui pourrait se rapprocher le plus de la définition du « fun ». C’est pourquoi je surveillerai les futurs projets de Josef Fares, avec intérêt. Et quelque chose me dit que Mystic Falco et Hauntya le feront également :
« Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de jouer à un jeu en coop’ et encore moins un jeu en ligne ! Mais l’occasion s’est présentée avec A Way Out, sachant que notre chère F-de-Lo l’avait déjà fait, elle m’a tout de même proposé de m’accompagner dans cette aventure qui s’est avérée être l’une des meilleures expériences de jeux en coop auxquels j’ai pu jouer ! Bon on va pas se mentir, cela est sans doute dû à ma camarade qui a rendu les choses aussi agréables à parcourir ! Le nombre de fois où l’on a pu rire lors de nos sessions, et ça, sans compter les moments plus sérieux et plus intimistes que l’on a pu passer. Cependant, une chose est sûre, le jeu en lui même est des plus agréables, il se parcourt sans grande difficulté (même si on repassera pour l’endurance de certaines personnes sur des barres de tractions, ou même sur la logique des puissances 4 !) Quoi qu’il en soit A Way Out est un jeu à faire absolument avec une personne avec qui vous êtes proche, aussi bien pour partager des moments de complicité, de rire, que d’émotions vraiment fortes ! »
« It Takes Two : une fabuleuse expérience tout simplement ! Même en ayant eu des échos du jeu, je ne m’attendais pas à une telle variété de niveaux, de gameplay, de mécaniques différentes, ce qui rendait chaque monde merveilleux à découvrir, chaque nouvelle capacité étonnante, tout en explorant sans stéréotype la relation de May et Cody. Il faut comprendre la douleur de F-de-Lo durant nos heures de jeu, face à ma maladresse et lenteur sur ce type de jeu de plate-forme, enchaînant chutes et erreurs. Mais cela ne retire en rien le plaisir d’avoir fait un tel jeu, où nous avons fouillé les moindres recoins, joué aux mini-jeux avec acharnement (une partie d’échecs d’une heure pour le plaisir!), aidé l’une l’autre, et observé chaque détail des décors. C’est un jeu qui sait à la fois se montrer terriblement fun et se renouvelle sans cesse, tout en proposant des sujets émouvants qui nous parlent facilement : le travail pour maintenir un couple, le temps qui passe, les rêves parfois abandonnés, la relation avec un enfant, etc. Et c’est une véritable satisfaction d’arriver au bout de cette aventure déjantée, qui plus est avec la coéquipière parfaite pour cela ! »
Et si nous étudions trois séquences de jeux vidéo, sous le prisme d’un seul lieu ? Ces trois séquences m’ont fortement marquée, ces derniers temps, pour ne pas dire qu’elles m’ont traumatisée ! Il s’agit d’un moment clé deThe Last of Us Part II (2020), d’un passage crucial de Resident Evil 3(2020) et enfin d’un chapitre deLittle Nightmares II (2021). Ces trois séquences se déroulent dans un même lieu : l’hôpital. Certes, il ne s’agit pas d’un endroit dans lequel on raffole d’aller, y compris dans la vraie vie, mais ce n’est pas là ce qui rend ces passages aussi angoissants qu’oppressants, tout en laissant un souvenir impérissable aux joueurs. Prépare ta carte d’accès. Il est temps de (re)visiter ces lieux exigus, et, par la même occasion, d’étudier la façon dont les ingrédients de l’horreur y sont employés.
La vidéo démarre à l’arrivée d’Abby à l’hôpital. /!\ Spoilers
The Last of Us Part II : un lugubre Abbytacle
L’hôpital n’est pas un lieu anodin dans la série The Last of Us. C’est dans l’hôpital des Lucioles que finissait le premier opus de la saga. Par extension, c’est là que les sorts de Joel, Ellie mais aussi d’Abby ont été scellés. The Last of Us Part II nous permet de visiter un nouvel hôpital, en prenant le contrôle d’Ellie, puis celui d’Abby. Quand on incarne Abby, il ne s’agit a priori pas d’un endroit dangereux, dans la mesure où la jeune femme y retrouve des membres de son groupe, et ce même si quelques entorses au règlement ont été commises… Il s’agit toutefois d’un endroit crucial car Abby y va dans l’espoir de trouver du matériel afin de secourir Yara, dans un état critique.
L’une des scènes les plus marquantes du jeu ne survient pas dès que nous entrons dans l’hôpital. Naturellement, il convient de préparer les joueurs à ce qui va suivre, en insufflant le suspense, ou devrais-je dire la tension, nécessaire. Le stress est enclenché par l’intermédiaire de différents procédés. Nora annonce clairement à Abby que les étages inférieurs, où elle trouvera le matériel, sont « difficiles ». En effet, il s’agit d’un des premiers cœurs de l’épidémie. Pourtant, le danger ne survient pas immédiatement. Abby doit entreprendre un long chemin dans les profondeurs de l’hôpital, qui paraît très calme. Trop calme. Les lieux, plongés dans l’obscurité, sont laissés à l’abandon depuis des années. Le matériel laisse deviner qu’il s’agissait d’un endroit placé en quarantaine, avant que tout ne dégénère. Abby croise des monticules de champignons, et bien sûr les spores, qui l’empêchent de respirer sans masque. Ici et là, tapis dans l’ombre, doivent subsister des infectés… Non seulement l’environnement est sombre et exigu, mais Abby s’y rend seule. La musique elle-même se fait discrète, n’intervenant que pour ponctuer des moments de tension. Par extension, les joueurs se sentent tout autant livrés à eux-mêmes. Et ce ne sont pas les commentaires nerveux d’Abby qui vont contribuer à les détendre. Comme elle le dit si bien : « Quel endroit de merde ! »
La première étape du parcours se fait sans encombre. Abby doit simplement trouver un moyen de rétablir le courant, afin d’accéder à certaines zones de l’hôpital. Au reste, cette étape est suffisamment longue pour plonger les joueurs dans un état de préoccupation intense. La question n’est pas de se demander si le danger va survenir, mais quand… Dès que le courant est rétabli, des portes s’ouvrent, et Abby doit venir à bout de quelques Claqueurs. Mais elle est malheureusement loin d’être au bout de ses peines.
Alors qu’elle revient sur ses pas, Abby constate que des traces de sang s’échappent de l’une des portes fraîchement ouvertes. Les traces sont si inhabituelles qu’elles ne semblent pas appartenir à un simple Claqueur, ni même à un Colosse. Abby est bien obligée de suivre cette traînée de sang jusqu’au parking sous-terrain, où elle débusque une ambulance contenant le matériel médical désiré. La mission est accomplie. Nous allons enfin pouvoir nous échapper de cette antre… Ou pas. Un bruit inhabituel se fait entendre. Et Abby finit par rencontrer le Rat King, une créature d’autant plus impressionnante qu’elle n’a jamais été vue auparavant, dans la saga. Alors, le rythme, jusqu’à présent si lent, change brusquement. Pour survivre, Abby n’a qu’une solution : s’échapper. S’ensuit une course-poursuite d’autant plus effrénée que les locaux de l’hôpital sont éclairés par des lumières clignotantes écarlates. Malheureusement, Abby se retrouve prise au piège et n’a d’autre choix que d’affronter le Rat King, au cours d’un combat de boss particulièrement éprouvant. Le Rat King n’est pas seulement effrayant parce qu’il s’agit d’un ennemi à la fois inédit et redoutable. Face à lui, Abby est livrée à elle-même, comme s’il lui fallait affronter l’un de ses démons intérieurs, pour aller de l’avant. Ce passage est angoissant et difficile, mais il permet aussi d’étoffer le personnage d’Abby.
La vidéo démarre à l’entrée de Carlos dans l’hôpital./!\ Spoilers
Resident Evil 3 : fuyons, Carlospital n’est pas sûr
Les hôpitaux pourraient avoir une place prépondérante dans Resident Evil. Pourtant, le lieu phare du premier épisode était le manoir Spencer, tandis que le commissariat de Raccoon City était mis en vedette dans le second opus. Resident Evil 3 Remake nous plonge dans l’hôpital, avec le personnage de Carlos. Il s’agit d’un mercenaire employé par l’U.B.C.S., la faction militaire d’Umbrella Corporation, spécialisée dans le sauvetage, en milieu épidémique. Carlos se rend à l’hôpital pour deux raisons. D’une part, il souhaite retrouver le Docteur Bard, un éminent biologiste ; de l’autre, il a lui aussi quelqu’un à sauver : Jill.
Comme Abby, Carlos se retrouve dans un lieu exigu et obscur, où il lui faudra faire preuve d’ingéniosité pour ouvrir certaines portes verrouillées. Bien que plusieurs morts-vivants le menacent, ici et là, l’hôpital semble relativement calme. Cette lente exploration est ponctuée par quelques jump scares, notamment lorsqu’un cadavre tombe dans les escaliers, depuis l’étage supérieur. Une fois encore, les joueurs incarnent un personnage seul et livré à lui-même, dans un lieu si oppressant que cela présage de mauvaises surprises.
Au détour d’un couloir, une silhouette apparaît furtivement. Elle a traversé l’écran trop rapidement pour être perceptible, mais une chose est sûre : il ne s’agissait pas d’un zombi. Le nouvel ennemi ne tarde pas à prendre Carlos en chasse. La caméra épouse le regard de la bête, dans une vue subjective qui n’est pas sans rappeler un passage crucial de Resident Evil 1. Tu l’as compris. Les Hunters sont de retour. Il ne s’agit malheureusement pas de l’ultime menace de cette zone.
Lorsqu’il accède au bureau où était caché le docteur Bard, Carlos découvre qu’il a été assassiné. Avant de mettre la main sur un échantillon du remède, il visionne une vidéo qui lui apprend qu’Umbrella Corporation a menti. Sans le savoir, Carlos travaillait pour ceux-là même qui étaient responsables de la catastrophe… Cet endroit est tout aussi capital pour son développement personnel que pour celui d’Abby. Il s’empare du remède et retrouve Jill afin de le lui administrer.
Malheureusement, il s’agit une fois encore d’un faux soulagement. Une armée de morts-vivants essaie de s’infiltrer dans l’hôpital, dans ce qui s’annonce être l’un des climax du jeu. Pendant que son coéquipier tente de fermer les volets électriques, Carlos doit protéger les portes, coûte que coûte. Il se retrouve seul, au sein d’un huis-clos, face à une armée d’ennemis. Sans surprise, il n’est pas évident de survivre face à cette horde de zombis mais aussi de Hunters, surtout dans un lieu aussi exigu. Carlos finit tout de même par en venir à bout, avant que Jill ne se réveille et prenne le relais.
La vidéo démarre au chapitre de l’hôpital. /!\ Spoilers
Little Nightmares II : Mono et menaces à l’hôpital
L’hôpital est un lieu tout à fait inédit dans la saga Little Nightmares. Pour cause, tous les chapitre du premier épisode se déroulaient dans l’Antre de la Dame. Ce n’est que par l’intermédiaire de Mono, le protagoniste de Little Nightmares II, que les joueurs ont découvert l’existence d’une ville entière : Pale City. Or, que serait une ville sans hôpital ? Pour survivre, Mono et Six vont traverser plusieurs zones menaçantes, comme la forêt et l’école, avant de se retrouver dans l’hôpital. Il ne s’agit que du troisième chapitre du jeu, mais bel et bien d’un des passages les plus éprouvants.
Contrairement à Abby et Carlos, Mono n’a pas de but explicite, si ce n’est échapper au croque-mitaine, et survivre. Pour ce faire, il est contraint de traverser un hôpital relativement menaçant. Sans surprise, le rythme utilisé pour amorcer la tension et le stress est familier. Mono doit arpenter un long chemin, dans le silence et dans l’obscurité. L’environnement, décidément trop calme, est menaçant car il est jonché de lits suspendus dans le vide, de patients étranges et inertes, mais aussi de prothèses abandonnées ici et là. L’hôpital est particulièrement oppressant car nous ignorons s’il contribue à soigner les gens, ou à les formater, voire à les détruire. Les lieux sont d’autant plus angoissants que l’iconographie empruntée aux guerres mondiales y est forte. Par dessus-tout, le héros paraît impuissant dans ce lieu gigantesque, où il ne dispose que d’une lampe torche, ou d’armes éphémères, pour se défendre. Mono n’est que l’avatar d’un joueur ou d’une joueuse, livrés à eux-mêmes. Ce n’est pas par hasard si Six est souvent en retrait, dans ce chapitre.
Malheureusement, les ennuis ne vont pas tarder à apparaître. Le héros masqué et taciturne est d’abord pourchassé par une main tenace, avant de croiser des mannequins terrifiants qui semblent avoir envie de jouer à « 1, 2, 3 Soleil » avec lui. Ces ennemis sans visage profitent que la lumière s’éteigne pour s’animer et avancer vers Mono, à l’aide de mouvements aussi saccadés que terrifiants. Ils n’ont qu’un objectif : l’attraper.
La scène la plus éprouvante de ce chapitre survient lorsque Mono se retrouve enfermé dans une pièce habitée par une véritable horde de mannequins. Les joueurs devront manier la lampe torche avec virtuosité afin d’échapper aux nombreux ennemis. Un passage aussi angoissant qu’éprouvant. Et pourtant, Mono n’est pas au bout de ses peines car il emprunte un ascenseur, avec Six, afin de s’engouffrer dans les entrailles de l’hôpital.
Une fois n’est pas coutume : le boss est annoncé par son environnement, puis par les bruits qu’il émet, avant d’apparaître véritablement. Les joueurs entendent des essoufflements sordides avant de surprendre un étrange médecin, suspendu au plafond. Mono et Six n’ont que deux options pour survivre face à lui : se cacher ou courir.
L’hôpital est une fois encore un lieu éprouvant, car il met nos nerfs à rude épreuve, tout en abritant des ennemis redoutables. Mais il permet aussi d’en apprendre plus sur les protagonistes. Dans ce cas de figure, Mono et Six ne sont pas là pour sauver quelqu’un. Au contraire, Mono n’hésite pas à achever l’un des patients du docteur, pour faire diversion. Les lieux nous en apprennent plus sur l’âme torturée et tortionnaire des ces enfants, prêts à tout pour survivre. Six ne regarde-t-elle pas le médecin avec trop de sérénité, lorsqu’il agonise dans le four crématoire ?
Heureusement, les enfants ont de quoi se détendre à l’hôpital de Pale City.
Conclusion
Il n’est pas étonnant qu’une séquence entière se situe à l’hôpital, dans des jeux d’horreur, à tendance dystopique. Mais il est intéressant de constater de quelle façon les ingrédients sont utilisés, afin de rendre la recette la plus terrifiante et mémorable possible. Le rythme est très important. C’est pourquoi Abby, Carlos et Mono progressent tout d’abord dans un environnement abandonné, avant d’être confrontés au danger. Cela permet d’augmenter progressivement la tension, par l’intermédiaire d’indices destinés à nous en apprendre davantage sur la menace qui nous attend. Le calme avant la tempête. Les protagonistes se retrouvent livrés à eux-mêmes, mais aussi les joueurs, et ce dans un lieu à la fois sombre, exigu et hostile. Les ennemis arrivent progressivement, jusqu’à un certain climax. Alors qu’Abby rencontre un ennemi inédit et redoutable, Carlos est surpris par le nombre étonnant de créatures cherchant à le tuer. C’est aussi le cas de Mono, qui n’est pour sa part, armé que d’une lampe torche. L’effet de surprise engendré par la nouveauté ou par le nombre des ennemis, mais aussi par le changement brutal de rythme, met à mal les joueurs, qui se retrouvent d’autant plus déstabilisés face à la difficulté du passage. Le tour de force est d’autant plus grand qu’on était pourtant préparés à voir le danger arriver ! Mais si ces scènes sont si marquantes, c’est parce qu’elles ne se contentent pas de simplement vouloir faire peur. Les protagonistes sont livrés à eux-mêmes, ce qui est l’occasion rêvée pour développer leur psychologie ou leur cheminement, et ce même si c’est aussi implicite que dans Little Nightmares II.Ces séquences utilisent peut-être des stéréotypes de l’horreur, mais elles le font avec une telle virtuosité, et surtout avec de tels enjeux, qu’elles sont devenues mémorables. Ici, la peur nous renvoie à nos démons intérieurs. Et toi, quel lieu du jeu vidéo t’a marqué ?
J’ai commencé à chasser des trophées il y a presque trois ans. J’ai par ailleurs obtenu mon 52e trophée Platine, au début du mois, avec le jeu indépendantShady Part of Me(2020). Si ce désir de complétion m’apporte du divertissement et de la satisfaction, d’autres joueurs n’y trouvent que peu d’intérêt voire de sérieux inconvénients. Cela faisait longtemps que j’avais envie de proposer une réflexion approfondie sur les trophées, dans les jeux vidéo. Sache que cet article sera orienté vers les trophées PlayStation, car il s’agit de ma console de prédilection. Toutefois, dans un souci d’objectivité, j’ai essayé de réunir plusieurs ami(e)s gamers, autour de ce papier, afin de te délivrer une réflexion aussi nuancée que possible. Après avoir rappelé ce qu’est fondamentalement un trophée, et après avoir fait connaissance avec les différents protagonistes de cet article, nous allons vérifier ce que les trophées peuvent apporter de bénéfique au joueur. Nous n’hésiterons pour autant pas à mettre en exergue les pires défauts de la chasse au trophées. Pour finir, nous tâcherons de nous demander quel est l’impact final sur les habitudes de jeu, du côté du gameur comme du développeur. Tu es prêt(e) ? C’est parti !
Qu’est-ce qu’un trophée ?
Un trophée – ou succès – est par définition additionnel. La liste de trophées est généralement gérée par une plate-forme de jeu en ligne, comme Steam ou PlayStation Network. Au-delà de la simple récompense, les trophées sont un moyen déguisé d’étudier le comportement des joueurs. Grâce aux statistiques, les développeurs peuvent savoir quel pourcentage des joueurs vient à bout de l’histoire principale du jeu. Et il y a bien souvent des surprises ! Les succès sont apparus sur le service Xbox Live de la X-Box 360, en 2005. Trois ans plus tard, Sony s’inspira de Microsoft pour lancer les trophées sur PlayStation 3. Pour l’anecdote, sache qu’un chasseur de trophées, du nom de Hakam Karim, apparaît dans le Guinness Book. En douze ans, celui-ci aurait remporté 2300 trophées Platines. Si ses prouesses imposent le respect, Hakam Karim confie éprouver de moins en moins de plaisir à jouer. Un comble.
Il y a sept ans sortait The Last of Us. Bien que je n’y ai joué que récemment, force est de constater que l’aventure de Joel et Ellie a bouleversé mes habitudes de gameuse, ou ma manière d’appréhender le jeu vidéo en général. Sous des allures faussement classiques, The Last of Us possède un je ne sais quoi de révolutionnaire. C’est pourquoi nous attendions tous le même chambardement de la part du chapitre II. Or, que pouvait-on raconter après avoir déjà abordé la question du salut ou de la condamnation de l’humanité ? Jamais un enjeu ne serait aussi grand ; Naughty Dog l’a parfaitement compris. Le récit conté par The Last of Us II se resserre dans le temps et se révèle nettement plus intimiste. Le jeu se focalise sur la relation existant entre deux protagonistes, mais pas ceux que nous attendions.
Cet article, commencé au début de l’été, a été retravaillé, notamment après la lecture de l’Artbook officiel du jeu, l’écoute de la vidéo de MJ – Fermez la et surtout de l’excellente analyse publiée par Pod’Culture. Sans surprise, le texte regorge de spoilers.
En dépit des apparences, The Last of Us est avant tout l’histoire d’un père et de sa fille. Après avoir retranscrit cet amour inconditionnel, Neil Druckmann, réalisateur du jeu, confie avoir voulu s’intéresser à un autre « noyau dur d’émotions » : la notion de perte et la haine incroyable qu’elle peut susciter. C’est pourquoi Ellie traverse Seattle afin de traquer celle à qui elle voue une haine farouche : Abby. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une simple histoire de vengeance, la relation nouée entre les deux jeunes femmes se révèle sophistiquée et très symbolique. Pourtant, c’est la structure de The Last of Us II qui déstabilise le plus. Les directeurs artistiques, Erick Pangilinan et John Sweeney, avouent avoir pris un savant plaisir à jongler entre « une structure préexistante et la liberté de conception ». Il en résulte un récit étonnement binaire, qui se révèle lourd de sens. Certes, Ellie et Abby sont deux faces opposées, mais elle appartiennent à la même pièce. Aussi surprenant que cela puisse paraître, elles ne sont pas réunies par la haine mais par le deuil, et la manière dont elles en franchissent les différentes étapes. Un deuil, qui, d’ailleurs, n’a jamais été terminé par un certain Joel Miller.
I. Ellie et Abby : Les porte-paroles de deux ères
The Last of Us Part II commence par retracer la quête de vengeance d’Ellie. Après avoir assisté, impuissante, à la torture puis au meurtre de Joel, la jeune femme voue une haine viscérale à Abby. Celle-ci devient l’ennemie à abattre. La cible à éradiquer. Ellie est littéralement obsédée par Abby, si bien que sa petite amie, Dina, lui adresse ces paroles lourdes de sens : « Abby n’a pas le droit d’être plus importante que nous. » Or, cette aversion a été partagée par nombre de joueurs. En dépit de ses défauts et de ses torts, Joel méritait-il une mort – certes logique- mais aussi rapide et brutale ? Ellie, que nous avions appris à aimer et protéger, avait-elle besoin d’assister à cela ? Les circonstances nous invitent à éprouver de l’empathie pour Joel et Ellie, les héros du premier opus. Or, à la moitié de son récit, The Last of Us II commet le tour de force de nous faire changer d’avatar.
Il nous oblige à incarner Abby.
Ce choix audacieux entraîne forcément une frustration, d’autant qu’il survient après un cliffhanger. C’est à ce moment que beaucoup de joueurs ont été perdus en cours de route. Je ne m’attarderai pas sur les réactions disproportionnées de certains, qui ont jugé bon d’insulter et tuer sans relâche Abby, ou même d’aller harceler et menacer les différentes comédiennes lui ayant donné vie (Laura Bailay pour la voix et Jocelyn Mettler pour le visage). Ils n’en valent pas la peine. Je m’interroge au sujet de reproches plus légitimes. Pourquoi Abby, et plus généralement la deuxième face de The Last of Us II, divisent-elles autant ? Cela attise d’autant plus ma curiosité que je suis une grande fan d’Abby, ou de ce qu’elle peut traverser.
A mon sens, ce ne sont ni leurs actes, ni leurs apparences qui opposent le plus Ellie et Abby. Ce sont ce qu’elles incarnent. Comme dit plus haut, The Last of Us II est le mélange entre une « structure préexistante » et une « liberté de conception ». Je me plais à voir Ellie et Abby comme les porte-paroles de deux ères. Ellie, ayant déjà conquis le cœur des joueurs depuis sept ans, sert de continuité entre The Last of Us et la Partie II. En dehors de quelques nouveautés, comme le centre-ville ouvert de Seattle, ou l’apparition des Puants, l’atmosphère ressemble ; à s’y méprendre ; à ce que nous avions déjà traversé. De plus, la mort de Joel entraîne des flash-backs permettant quelquefois de l’idéaliser, à la fois dans l’esprit d’Ellie et celui du joueur. En dépit de ce qu’il a fait, il est réconfortant de le redécouvrir sous un autre jour. La scène du musée, et la manière dont il regarde Ellie quand celle-ci profite de son cadeau dans « l’espace », démontre combien il l’adorait. La face d’Ellie est un bel hommage à tout ce que nous avions pu aimer dans le précédent jeu. A l’inverse, la face d’Abby n’est tournée ni vers le passé, ni vers ce qui nous est familier. Elle est l’incarnation d’une nouvelle ère, au point de créer une rupture. Loin d’être répétitif avec l’arc d’Ellie, le récit d’Abby permet de rencontrer des personnages, des ennemis, des décors mais aussi des thèmes inédits. Alors, The Last of Us II donne le sentiment de raconter deux récits différents, voire de combiner deux jeux en un. Il n’est pas étonnant que cela ait décontenancé certains joueurs. Mais l’histoire est-elle aussi binaire et déchirée qu’on se le figure ? Ces deux parties, comme ces deux personnages, ne se complètent-elles pas plus qu’on ne le croit ?
II. L’art de l’allégorie
Il n’aura échappé à personne qu’Ellie et Abby ont énormément de points communs. Elles sont opposées, certes, de la même façon qu’un visage et son reflet sur le miroir. Les échos sont innombrables dans The Last of Us II, comme en témoigne l’onomastique du jeu. Ellie et Abby sont des prénoms brefs, composés de deux syllabes, et rimant ensemble. Ce n’est pas un hasard si les prénoms de Joel et de Jerry (le père d’Abby) commencent par la même lettre. On connaît la propension de la saga à jouer avec les symboles et les métaphores. On retrouve ce double J dans le prénom du fils de Dina et Ellie. Prénom qu’elles ont sans doute choisi en hommage à Joel et à Jesse.
The Last of Us est une saga se plaisant à manier l’art de l’allégorie. Dès le premier opus, les métaphores animales étaient très présentes. Le groupe des Lucioles était destiné à donner de l’espoir, et à guider l’humanité vers la lumière. L’affiche du film Dawn of the Wolf, trouvable un peu partout en ville, et représentant un loup-garou enlaçant une jeune fille de manière protectrice symbolisait la relation entre Joel et Ellie. La marche des girafes, hors du zoo, était la métaphore de la délivrance des deux protagonistes. Et je n’invente rien, puisque tout cela est rapidement mentionné dans l’Artbook du premier jeu. La scène de la girafe est d’ailleurs si marquante qu’elle trouve plusieurs échos dans la Partie II. Dès le début du jeu, Ellie tombe sur une peluche de girafe. Lors du premier flash-back entre la jeune fille et Joel, le plan avec le squelette du brachiosaure ressemble à s’y méprendre à celui de la girafe. On peut peut-être même voir un écho à cela au cours du flash-back dans l’aquarium, lorsque Owen et Abby aperçoivent le phoque tacheté. Les deux jeunes femmes ont des souvenirs – heureux ou malheureux – en commun.
Toutes deux sont hantées par des images très similaires, qu’il s’agisse de traverser en boucle le couloir de l’hôpital des Lucioles, ou celui menant à la pièce où Joel a été assassiné. Mais quelquefois un endroit n’a pas la même signification pour elles. Alors que l’aquarium, tel qu’il est visité par Ellie, est désert et vide de vie ; l’aquarium, tel qu’il a été connu par Abby, s’apparentait à un véritable refuge. Quoiqu’il en soit, la métaphore animale reste présente.
De prime abord, Abby, véritable force de la nature, pourrait être représentée par le chien-loup. Le WLF utilise l’emblème du loup, dans plusieurs prospectus, et les soldats sont accompagnés de bergers allemands ou de dobermans. Alice, la chienne de Mel, Owen et Abby, est difficilement oubliable. (A ce propos, les premiers artworks du jeu présentent Ellie avec un chien, mais c’est une autre histoire). Le chien-loup apparaît d’abord comme une menace. Dès le flash-back dans le musée, Ellie est confrontée à des loups inertes mais menaçants, certains attaquant un élan avec férocité. L’apparition du cervidé n’est pas non plus anodine.
C’est en chassant un cerf qu’Ellie avait fait la rencontre de David, avant l’un des événements les plus traumatisants de sa vie. Lorsqu’elle revoit une image de cerf, sur l’autoroute, plus tard, elle devient songeuse et abattue. A l’image du cerf, Ellie devient la proie d’une meute de loups. Au reste, il ne faut pas oublier que c’est Ellie qui traque Abby, et non l’inverse. Face à David, Ellie a déjà montré qu’elle était capable du pire, lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements. Parallèlement, au même rythme que Lev, le joueur se familiarise avec Alice, apprenant à ne plus craindre les chiens du WLF. Le cerf, disions-nous, est intimement lié à la figure de David qui, tout en étant absent du jeu, plane toujours au-dessus de l’esprit du joueur ou des personnages. The Last of Us Part II commence durant l’hiver. C’est dans un paysage enneigé qu’Abby fait la rencontre de Joel et Tommy, alors qu’elle est pourchassée par une horde de claqueurs. Cette étrange alliance n’est pas sans rappeler celle d’Ellie et David, dans la forêt enneigée. Dans les deux cas, les personnages s’entraident sans savoir qu’ils sont ennemis. Encore que, l’attitude d’Abby change dès qu’elle apprend le nom de Joel, de même que David change de comportement dès qu’il n’a plus besoin d’Ellie. La seconde référence à David est plus explicite. Le combat de boss nous opposant à Ellie utilise quasiment les mêmes mécaniques de gameplay que celui contre David, excluant définitivement la jeune femme du statut de proie.
Pourtant, il est réducteur d’affirmer qu’Ellie est la véritable ennemie du jeu, hissant, de ce fait, Abby au statut d’héroïne. A mon sens, le récit ne cherche pas à présenter un camp comme le bon, et l’autre comme le mauvais. Je dirais même que ce débat est insoluble, chaque joueur ayant sa propre sensibilité et ses propres affinités avec les différents personnages.
Notons qu’une grande partie de l’analyse s’appuie sur mon interprétation, qui, inutile de le rappeler, est subjective. Le flot de symboles et de métaphores n’en est pas moins très important. Il l’est tant que cet article ne pourrait jamais être exhaustif. Je pense à la métaphore maritime, l’eau déchaînée n’étant que l’incarnation de sentiments et émotions contraires. Je pense à la métaphore du théâtre, qui est l’un des lieux phares de cette Partie II, où se passe l’un des climax majeurs. C’est dans ce même théâtre que le joueur découvre notamment une affiche de Demain dès l’aube, alors qu’un exemplaire de Notre-Dame de Paris est posé sur le chevet d’un motel. Je me plais à considérer ces références à Victor Hugo comme le signe que The Last of Us Part II doit être considéré comme un drame ou une tragédie, où chaque personnage est la projection d’un autre. Ce n’est pas un hasard si Ellie et Abby sont si proches, ou sont au cœur de triangles amoureux. Par dessus-tout, l’œuvre de Victor Hugo est réputée pour mettre en scène des protagonistes qui sont plus des symboles que des individus à part entière. Et si c’était aussi le cas d’Ellie et Abby ? Et si elles n’étaient finalement que les masques, légèrement différents, qu’endosse le joueur, aux différentes étapes du parcours ? Ou devrais-je dire aux différentes étapes du deuil ?
III. Le récit de deux orphelines
Elisabeth Kübler-Ross était une psychiatre américaine et suissesse. Elle est connue pour avoir observé et exposé les cinq étapes du deuil, qui sont parfois élevées au nombre de sept. Elle a toujours affirmé que les étapes n’étaient pas vécues de la même manière, ou dans le même ordre, par tout le monde.
La première étape du deuil est le choc. Même si elle ne survient qu’au bout de quelques heures de jeu, lorsqu’Ellie voit Joel abattu sous ses yeux, elle est très vite annoncée. Le prologue de The Last of Us II permet d’incarner Joel. On pourrait imaginer que cela sert de transition entre les deux parties, mais Ellie était déjà jouable dans l’épilogue du précédent épisode ainsi que dans le DLC. Un autre personnage, souvenez-vous, était interprétable dans le prologue, avant de disparaître. Il s’agissait de Sarah, la fille de Joel. La mort de la jeune fille a influencé chaque décision de son père, par la suite. De la même manière, la mort de Joel aura énormément d’impact sur Ellie, comme sur Abby. Dans les deux cas, le prologue est une vraie clé de lecture de l’œuvre.
L’étape du choc porte bien son nom. La mort de Joel est aussi soudaine que terrible. Il est battu à mort par Abby, sous les yeux d’une Ellie impuissante. Et encore, le meurtre de l’ancien chasseur aurait pu être plus terrible encore. Une version antérieure du jeu imaginait qu’Abby s’infiltrait à Jackson afin de séduire Joel, et de le piéger. Un vieil artwork dépeint un Joel agonisant, dont la main vient d’être tranchée par Abby. Dans la version finale du jeu, c’est plutôt le hasard, ou devrait-on dire le destin qui place Joel entre les griffes d’Abby. La scène n’en est pas moins marquante.
Je ne pense pas que la deuxième étape, le déni, ait une quelconque place dans le récit. Je salue, toutefois, le choix qui a été fait pour partager la tristesse d’Ellie. Le joueur n’assiste pas à l’enterrement de Joel. Il est plutôt amené à visiter l’ancienne maison de ce dernier, à Jackson. Je trouve ce choix nettement plus poétique et crève-cœur. Ainsi, le joueur, de concert avec Ellie, retrouve des objets très emblématiques, à commencer par la photo de Joel et Sarah.
La troisième étape du deuil est composée de colère et de marchandage.C’est un moment durant lequel la personne endeuillée cherche à retrouver sa vie d’avant, ou bien à se venger. Aveuglée par la colère et sa soif de revanche, Ellie part à la conquête de Seattle, en compagnie de Dina. Cette partie de chasse et cette spirale de haine vont entraîner Ellie dans une vraie descente aux enfers. Mécontente d’éliminer des humains (et leurs chiens) à tour de bras, la jeune femme va torturer Norah, et même prendre la vie à une femme enceinte, Mel. C’est après l’affrontement à l’aquarium qu’Ellie décide, en accord avec Tommy, Jesse et Dina, de rentrer à Jackson. C’est sans compter sur l’intervention d’Abby, qui vient régler ses comptes.
Alors, le récit s’arrête brutalement.
Non seulement le joueur change d’avatar, mais il est propulsé en arrière, alors qu’Abby n’est qu’une adolescente. On découvre qu’elle était très complice avec son père, Jerry, et que celui-ci n’était autre que le chirurgien des Lucioles, chargé de trouver un vaccin contre le Cordyceps. Mais c’était avant d’être froidement abattu par Joel.
The Last of Us Part II nous contraint à incarner Abby et à rejouer les 3 jours se déroulant à Seattle. Au sentiment de frustration s’ajoute la crainte de devoir rejouer plus ou moins la même chose, pour rallonger artificiellement la durée de vie du jeu. Et pourtant, contrairement aux apparences, le voyage reprend exactement où il s’était arrêté.
Une jeune femme, traumatisée par le meurtre de son père, a longtemps été consumée par la haine, avant de chercher à se venger. Contrairement à Ellie, Abby a pleinement obtenu sa vengeance, ce qui lui permet de passer à la quatrième étape du deuil : la tristesse et le regret.
Certes, Abby a une dette envers Yara et Lev, mais ce n’est pas de manière totalement désintéressée qu’elle cherche à les aider, par tous les moyens. Elle admet elle-même avoir besoin de faire quelque chose de bien, pour contrebalancer avec le passé. Cette tentative de rédemption convainc peu Mel, qui a l’intime conviction qu’elle est monstrueuse et ne changera jamais. Il est effectivement difficile de se racheter, après un tel crime. Mais peut-être le périple dans l’épicentre de l’hôpital est-il plus métaphorique qu’on ne le pensait.
Dans l’émission Pod’Culture consacrée à l’analyse du jeu, Donnie Jeep explique qu’il n’est pas anodin qu’Abby retourne dans un hôpital, même s’il ne s’agit pas du même que celui où son père a été assassiné. Il explique que le Ratking, (le monstrueux monticule d’infectés), pourrait être une métaphore du côté sombre d’Abby. La jeune femme doit éradiquer le monstre qui vit en elle, afin de continuer à avancer. Le Ratking, et tout ce qui précède, est mémorable. Il s’agit sans doute d’une des scènes les plus oppressantes et spectaculaires des deux opus. Elle est d’autant plus remarquable qu’elle apporte du sens au cheminement d’Abby. A titre indicatif, notons que des premières esquisses d’infectés enchevêtrés avaient été publiées dans l’artbook du premier The Last of Us, même si les créatures étaient nettement moins impressionnantes. Le Ratking m’a, pour ma part, énormément fait penser (spoiler) à la créature finale du jeu indépendant Inside. Passons.
Après l’hôpital, Abby n’est pas au bout de ses peines puisqu’elle doit traverser l’Île des Séraphites (une faction ennemie du jeu), pour secourir Lev. Or, quant elle rentre à l’aquarium, elle découvre qu’Owen et Mel ont été assassinés. Elle part donc à la poursuite d’Ellie, qu’elle retrouve au théâtre. Après une altercation éprouvante, Ellie et Dona sont à la merci d’Abby. Celle-ci aurait pu « rechuter » si elle avait cédé à ses pulsions et avait abattu les deux jeunes femmes. Fort heureusement, Lev l’encourage à les épargner et à s’en aller.Grâce à lui, Abby accède à l’étape suivante : la résignation.
La sixième et avant-dernière étape du deuil est l’acceptation. Il nous est proposé de la vivre sous les traits d’Ellie, au cours de l’épilogue. Certes, le jeu a fait un bond dans le temps, et nous amène encore à changer d’avatar, mais le parcours du deuil reste linéaire. L’acceptation est normalement l’étape durant laquelle la personne commence à avoir et à réaliser de nouveaux rêves. En effet, le cadre dans lequel vit Ellie, en compagnie de Dina et JJ, semble idyllique. Les deux jeunes mères ont trouvé un refuge au sein d’une maison isolée, dans la prairie. Elles aiment et choient énormément leur fils. Malheureusement, cette vie convient nettement plus à Dina qu’à Ellie, sans compter que celle-ci souffre de stress post-traumatique. L’artbook du jeu confie que l’épilogue, dans la prairie, aurait dû comporter une scène de chasse, dans laquelle Ellie se montre très brutale et violente. La jeune femme a été traumatisée par ce qu’il s’est passé à Seattle. Elle est en train de rebasculer vers la troisième étape du deuil, si tant est qu’elle l’ait un jour surmontée. Il ne suffit que d’une étincelle, ou devrais-je dire un prétexte, incarnés en la personne de Tommy, pour qu’Ellie décide de pourchasser Abby, à Santa Barbara.
Abby, quant à elle, est en pleine phase de reconstruction, qui n’est autre que la dernière étape du deuil.Une grande complicité s’est tissée entre elle et Lev. Il est difficile de ne pas penser à Joel et Ellie, quand on voit la manière dont Abby taquine et protège Lev. Plus important encore, la jeune femme découvre que certains membres des Lucioles ont survécu, et compte bien les rejoindre. Alors qu’Ellie est encore obsédée par sa soif de vengeance, Abby est sur le point de terminer tout le processus de deuil. Ce n’est pas étonnant, dans la mesure où son cheminement a débuté bien auparavant, et puisque, contrairement à Ellie, elle a obtenu sa revanche. On pourrait redouter que le récit sous-entende que seule la vengeance amène la paix, mais il ne tombe pas dans cet écueil, comme le révélera la fin de l’aventure.
Quoiqu’il en soit, Abby a réussi là où Joel a échoué. Ce dernier n’a jamais fait le deuil de Sarah, pas même lorsqu’il a accepté la photo tendue par Ellie. Bloqué dans une étape de colère et de négociation, il a sauvé Ellie, à l’hôpital, pas uniquement par amour, mais dans le but insensé et égoïste de retrouver sa fille. De retrouver sa vie d’avant. En veillant sur Lev de manière plus altruiste, Abby répare la faute de Joel. C’est pourquoi la Partie II est la suite directe de The Last of Us.
Toutefois, l’arc d’Ellie n’est toujours pas terminé. Lorsqu’elle arrive à Santa Barbara, elle apprend qu’Abby et Lev ont été capturés par un groupe d’esclavagistes appelés les Rattlers. Le grand drame d’Ellie est-il vraiment d’avoir perdu Joel ? N’est-il pas plutôt de ne jamais avoir eu la liberté de faire des choix cruciaux ? C’est ce que soulignent les podcasteurs de Pod’Culture, dans leur analyse du jeu. Ni les Lucioles, ni Joel, n’ont donné à Ellie l’opportunité de se sacrifier, pour sauver l’humanité. Immunisée contre le virus, la jeune femme est condamnée à survivre. Incapable de pardonner à Joel ce qu’il a fait, elle regrette toutefois de ne pas en avoir eu la possibilité, à cause d’Abby. Et voilà que, dans l’épilogue, elle a pour la première fois la possibilité de décider. Le fait d’amener Ellie à abattre des esclavagistes dans une ancienne maison coloniale n’est pas anodin et, une fois encore, très métaphorique. La jeune femme va enfin accéder à une forme de délivrance. (Il en va de même pour le joueur qui arrive au bout d’un jeu de plus en plus anxiogène).
Ellie, à bout de force, arrive face à une Abby amaigrie et méconnaissable, après son emprisonnement chez les Rattlers. Elle la force à se battre contre elle, avant de se raviser, et de la laisser partir avec Lev. Ellie, peut-être, a-t-elle enfin compris la vanité de la vengeance, et cherché à mettre fin au cercle vicieux de la haine. J’aurais aimé dire qu’elle s’est reconnue en Abby, et a donc décidé de la laisser s’en aller, mais les deux jeunes femmes se connaissent trop peu, pour cela. Selon toute vraisemblance, la présence de Lev est plus déterminante. Ce sont peut-être les similitudes existant entre Abby et non pas Ellie, mais Joel, qui ont sauvé la Luciole.
Alors qu’Ellie demeure impuissante et épuisée, sur la rive, Abby et Lev disparaissent en barque, à l’horizon. Prêts à se reconstruire. Prêts à reconstruire les Lucioles. Peut-être prêts à réparer une autre erreur de Joel.
Tout ce que l’on peut espérer, c’est qu’Ellie parviendra elle aussi à se reconstruire. Toutes ces pistes pourraient être abordées, dans une troisième partie, si elle venait à voir le jour.
Épilogue
The Last of Us Part II n’est pas une simple histoire de haine, aveuglant deux jeunes femmes. Ellie et Abby ne sont pas si opposées, et leurs différences ne sont de toute façon pas néfastes. Alors que la première symbolise le passé et sert de transition entre deux parties d’un même tout, la deuxième incarne le renouveau.L’arc d’Abby propose le plus de contenu inédit, et pourtant, il ne provoque pas de réelle rupture dans ce récit très métaphorique. L’histoire de The Last of Us Part II montre les différentes étapes du deuil, et bascule d’un personnage à un autre, sans pour autant reculer ni se répéter dans ce qu’elle raconte. Alors qu’Ellie essaie d’échapper à de vieux démons, qui ne sont peut-être pas ceux que l’on croit, Abby ne se révèle être ni une antagoniste, ni une héroïne. Elle incarne le renouveau de la saga, en réalisant, à sa manière, tout ce que Joel n’était pas parvenu à accomplir. La fin douce-amère peut donner le sentiment d’avoir parcouru beaucoup de distance pour rien, mais le premier The Last of Us n’était-il pas aussi nihiliste ?
Et encore, cet épisode n’est pas aussi pessimiste et désenchanté qu’on pourrait le croire. Ellie survit. Abby est prête à se reconstruire, en compagnie de Lev. Nous apprenons même que les Lucioles n’ont pas totalement disparu. The Last of Us Part II porte des messages subtiles d’espoir et de tolérance. Le récit rappelle que, quelle que soit la manière dont un peuple est opprimé, il peut survivre et se relever.
Les humains tiennent tête aux claqueurs, certes, mais la réelle menace est l’humanité elle-même, qui cherche inlassablement à s’entre-tuer. L’Histoire a déjà vécu cela, comme le rappelle la visite de la synagogue, dans le centre-ville de Seattle. Dina, qui est de religion juive, (comme Neil Druckmann) renvoie l’humanité à ses fautes antérieures, mais n’en demeure pas moins une survivante. La question de la religion est aussi abordée par une secte fictive : les Séraphites. Ils apparaissent d’abord comme des rôdeurs réactionnaires et hostiles, qui ne tolèrent ni les étrangers ni ceux qui désobéissent aux règles. Ellie comme Abby ont horreur de ces gens qu’elles considèrent comme des fanatiques. Pourtant, Abby va faire la connaissance de Yara et Lev, qui vont lui enseigner que la prophétesse de leur religion était emplie de bienveillance, avant que les dogmes ne soient détournés et pervertis par des Séraphites sans scrupule. C’est Lev qui en souffrira le plus, puisqu’il sera contraint de s’enfuir, pour survivre.
Lev est un jeune garçon transgenre. Abby, aussi abrupte semble-t-elle être, accueille l’information avec finesse et humanité. Son regard vis-à-vis de Lev ne change pas. Au contraire, elle va de plus en plus s’attacher au jeune garçon, quitte à mettre sa vie en péril pour le protéger. On peut également citer les réactions délicieusement banales des personnages, à commencer par Jesse, quand ils apprennent qu’Ellie a embrassé Dina.
La représentation de la diversité dans The Last of Us II est réalisée avec finesse, et sert totalement le propos d’un jeu qui, je le rappelle, invite à faire preuve d’empathie. Le récit cherche à responsabiliser le joueur et à lui faire réaliser que dans un conflit, tout n’est question que de points de vue. Le grand drame du jeu est sans doute qu’une partie des joueurs (peut-être mineure mais très bruyante) n’a rien entendu à ce message et a réagi de façon parfaitement infecte et contraire à ce qui est prôné par le jeu. The Last of Us II a été au cœur de débats légitimes, mais aussi de polémiques tout à fait indécentes.
Sans surprise, le jeu plaît ou ne plaît pas. Pour ma part, je reste intimement convaincue qu’il s’agit d’une expérience unique et peut-être même jamais vue, dans le domaine du jeu vidéo. Une œuvre n’a pas besoin d’être exempte de défauts pour se hisser au rang de chef-d’œuvre. Aussi décriée soit-elle, j’ai trouvé le personnage d’Abby exceptionnel, et le duo qu’elle forme avec Lev, d’une rare justesse. The Last of Us II est un jeu audacieux qui marquera sans doute l’histoire du jeu vidéo, et qui a tout du moins marqué ma vie de gameuse.
Je ne voulais pas jouer à The Last of Us. Outre ma très faible tolérance à la tension, j’avais déjà lancé le début du jeu avant de me défiler, en rencontrant l’un des premiers claqueurs. Pour le courage, on repassera. Mais il faut croire qu’une réelle pandémie mondiale, où la « guerre » consistait (en ce qui me concerne) à rester confinée sur le canapé, m’a permis de relativiser et de reprendre la manette. Je suis moi aussi une survivante. Les claqueurs n’ont qu’à bien se tenir. Je me suis lancée dans l’aventure, en compagnie de Joel et Ellie. Je suis loin d’être le public visé par les jeux « couloirs » ou les séquences d’infiltration et de gunfights. Et pourtant, j’ai adoré. Bon sang, j’ai tellement adoré que je peine à oublier l’univers, les personnages ou même à lâcher la manette, quitte à faire plusieurs runs. (Entrer dans une compétition avec le frangin n’aide pas !) J’ai été mordue et je suis infectée par The Last of Us, même s’il faut espérer que je ne finirai pas enfermée dans le placard du gymnase du lycée, recouverte d’excroissances et de moisissure.
Mais pourquoi ? En dépit des à priori que j’avais sur le genre du jeu, pourquoi m’a-t-il autant passionnée ? The Last of Us ne construit pas seulement son univers, son histoire et ses personnages par le biais de la narration. Le gameplay et le level-design sont complètement au service du récit.
C’est pourquoi la relation entre Joel et Ellie est si puissante et ambivalente. C’est pourquoi les personnages secondaires sont si marquants, en dépit de la brièveté de leurs apparitions. Je dirais même que c’est la raison pour laquelle les mécaniques de gameplay ne m’ont pas dérangée, au point de m’amener à réviser mon jugement sur le genre et à vouloir me surpasser.
The Last of Us essaie de résoudre le problème de la dissonance ludo-narrative. Rassure-toi, malgré ce nom un peu barbare, le concept est, comme tu le verras, très simple et extrêmement intéressant. L’harmonie ludo-narrative est telle, dans The Last of Us, que le découpage en saisons du jeu ou les différents lieux traversés ont quelque chose à raconter. (Il est inutile de préciser que cet article comporte des spoilers.)
20 ans après l’épidémie, le monde n’est plus le même.
1. Le gameplay au service de la narration
The Last of Us a l’art de raconter quelque chose par le biais de son gameplay. C’est ce qui rend le jeu si riche sans être verbeux ni fondamentalement long. Le prologue donne immédiatement la couleur. Tu n’es pas plongé(e) dans la peau de Joel, mais dans celle de sa fille, Sarah. Cette subjectivité rend la mort de Sarah, injustement abattue par un soldat (et non un infecté), d’autant plus déchirante. Par dessus-tout, elle est très révélatrice de ce que veut raconter le jeu.
En dépit des apparences, ou du temps durant lequel on l’incarne, Joel n’est pas le vrai héros ou protagoniste. Bien qu’il aime Ellie et souhaite la protéger à tout prix, Joel n’est pas désintéressé : il tâche de faire son deuil. C’est pourquoi il y a un tel parallèle entre le prologue et la fin du jeu, à l’hôpital. Il refuse de voir l’histoire se répéter. Même si cela nécessite de condamner l’humanité ou de mentir à Ellie. Joel n’a rien d’altruiste. Ellie, elle, se serait probablement sacrifiée dans l’espoir de voir apparaître un vaccin. Notons qu’on incarne Ellie pendant l’hiver puis durant l’épilogue, où l’on peut considérer que Joel lui passe le flambeau. (Le deuxième opus, prévu pour le 19 juin, permet d’incarner Ellie). Même si Joel aide Ellie à survivre, il n’est pas fondamentalement un mentor pour elle. Le rapport de force s’inverse de plus en plus, si bien qu’Ellie finit par le sauver.
Il y aurait beaucoup à redire sur le comportement de Joel, mais cela n’en fait pas un monstre, pour autant. C’est un homme meurtri qui n’est pas particulièrement démonstratif. Mais sa complicité envers Ellie se manifeste par des détails qui peuvent aisément t’échapper. The Last of Us réalise l’exploit de donner du sens aux indécrottables collectibles d’un jeu. C’est particulièrement le cas des conversations optionnelles, qui permettent d’en apprendre plus sur les personnages et leurs relations, ou encore des bande dessinées, que Joel essaie de collecter pour faire plaisir à Ellie.
En parlant de bandes dessinées et de magazines, les joueurs les plus attentifs auront très rapidement compris que Bill est homosexuel, bien avant qu’Ellie le remarque. En effet, son garage contient une pile de magazines explicites. Cette fois-ci, le level-design va jusqu’à banaliser l’orientation sexuelle de Bill, en dépit de son refus d’aborder ouvertement le sujet, en présence de Joel. Merci The Last of Us.
Il est difficile de nier le parallèle entre le début et la fin du jeu.
Il est difficile de nier le parallèle entre le début et la fin du jeu.
2. La dissonance ludo-narrative
Sans doute est-il temps de t’expliquer la notion de dissonance ludo-narrative. D’après Blackstab, « la dissonance ludo-narrative est un terme ultra-spécifique démocratisé par Clint Hocking, ancien directeur créatif chez Lucas Arts et Ubisoft. » La dissonance ludo-narrative désigne toutes les contradictions qui existent entre la narration et le gameplay d’un jeu.
L’exemple le plus souvent utilisé est un autre titre de Naughty Dog : Uncharted. D’après Blackstab, « de très nombreuses critiques ont été adressées à la série pour sa manière de présenter Nathan Drake, le principal protagoniste, comme un personnage des plus aimables, gendre idéal, charismatique et drôle notamment dans les séquences cinématiques, mais qui n’hésite pas à dézinguer des hommes de main par pack de douze tout au long des différents opus. Il est vrai que dans le monde réel, cette tendance s’apparente plus au psychopathe sanguinaire qu’au guide du parfait gentleman. » Le gameplay d’Uncharted entrerait en conflit avec ce que l’histoire et les dialogues racontent. Néanmoins, Blackstab considère davantage cela comme une facilité liée aux mécaniques de gameplay. Après tout, est-ce bien honnête de reprocher une forte dissonance ludo-narrative à un jeu en particulier ? Celle-ci n’est-elle pas inhérente à la plupart des jeux vidéo ?
D’après Matthieu sur Naughty Dog Mag, Bruce Straley (ex-membre de Naughty Dog) a parfaitement conscience de cet enjeu : « Si les opus suivants d’Uncharted n’auront pas apporté de solution à ce problème, il n’en est pas de même pour The Last of Us qui, selon le directeur, est parvenu à le résoudre. Pour cause, dans le cadre de ce dernier, la dimension post-apocalyptique qui met en avant le concept de survie a été un moyen de justifier la violence dont est obligé de faire preuve le joueur pour se défendre. Quand bien même Joel et Ellie ne seraient pas de mauvaises personnes. » Les ennemis de The Last of Us, loin d’être des obstacles banals, sont au service de l’intrigue et de la narration. Ils servent le background de Joel, qui se voit plus comme un survivant que comme une ordure, ou l’évolution psychologique d’Ellie, qui perd progressivement son innocence, au fur et à mesure qu’elle est contrainte de se battre, voire de tuer, pour survivre.
En parlant de Naughty Dog Mag, je te conseille l’analyse du jeu réalisée par Matthieu. Il aborde et décrypte les axes majeurs de l’intrigue, alors que je me concentre sur le gameplay et le level-design.
Il fut étrange de lire ce collectible pendant le confinement.
3. « L’homme est un loup pour l’homme »
The Last of Us est un bel exemple d’harmonie ludo-narrative, pas seulement parce que le contexte est post-apocalyptique, mais parce que le choix et le dosage des ennemis est réfléchi.
Qui dit The Last of Us, dit ennemis et claqueurs. Habituée aux Resident Evil qui proposent un bestiaire aussi vaste qu’impressionnant, quitte à surenchérir dans la monstruosité des adversaires, j’ai été agréablement surprise par la sobriété du bestiaire de The Last of Us. Il existe plusieurs phases de contamination, mais finalement, le colosse demeure le monstre le plus redoutable du jeu. Un monstre qui, je le rappelle, apparaît au lycée, dès le chapitre 4.The Last of Us a la présence d’esprit de ne jamais passer par la surenchère pour accroître la tension ou la difficulté du jeu. Ce serait banaliser la présence des infectés et amoindrir leur menace. Le jeu mise tout sur l’environnement, l’ambiance ou le nombre des adversaires. Et encore, celui-ci ne devient jamais exagéré. Sinon, comment la survie des personnages pourrait-elle demeurer vraisemblable ? Par ailleurs, bien que The Last of Us se joue à la troisième personne, la caméra te plonge directement dans le cœur de l’action, par un procédé très simple : elle peut être souillée par les traces de sang, les spores et autres joyeusetés.
The Last of Us ne comporte pas de combat contre un boss final en grande pompe. Jusqu’à la fin, le jeu se concentre sur sa narration. Mais finalement, les infectés sont-ils les ennemis les plus menaçants du jeu ? Même si les claqueurs ont le don de me crisper, beaucoup de joueurs arguent le contraire.
Ce sont les humains, qu’importe leur groupe, qui sont de plus en plus nombreux et menaçants, si bien que le dernier niveau du jeu (en dehors de l’épilogue) consiste à affronter les Lucioles. A l’image de The Walking Dead, The Lasf of Us utilise les infectés comme un simple prétexte afin de raconter une histoire de survie et de déchéance de l’humanité. C’est pourquoi David est un antagoniste si mémorable (et peut-être ce qui s’apparente le plus à un boss traditionnel). Mécontent de manipuler Ellie, (en même temps que le joueur), il peut s’avérer redoutable. Par dessus-tout, en dépit d’une apparition brève, il est annoncé par le jeu depuis longtemps. Les décors racontent que les soldats et autres chasseurs ont commis autant de meurtres que les claqueurs, si ce n’est plus. L’humain pourrait bien être l’ennemi le plus imprévisible et redoutable du jeu.
Apparition du premier colosse.
David est particulièrement dangereux.
Les décors sont évocateurs.
4. Le découpage en saisons
A mon sens, le principal atout de The Last of Us est le cheminement qu’il permet d’accomplir, au sens propre comme figuré. Le récit s’étend sur une année et se découpe en quatre saisons. Or, chaque saison possède une symbolique.
L’histoire débute pendant l’été. C’est la partie de l’année durant laquelle tu vis en société et prospères. Si les cigales en profitent pour chanter, les fourmis continuent à travailler pour préparer la suite de l’année. L’été est la saison ayant la connotation la plus positive et sereine, ne serait-ce qu’en raison de son climat. Mais après l’été surgit l’automne. Les feuilles chutent au rythme des premières désillusions. Henry et Sam ne viennent-ils pas de périr tragiquement ? L’automne est aussi la saison de la récolte. C’est à ce moment-là qu’Ellie et Joel arrivent au barrage de Tommy, où ils obtiennent du soutien et profitent d’un bref (et relatif) répit. Car, comme dirait l’autre, « winter is coming ». L’hiver est, selon moi, la saison la plus éprouvante de The Last of Us. Joel est grièvement blessé, ce qui t’amènes à incarner Ellie. Celle-ci possède un arsenal beaucoup plus limité, ce qui n’empêche pas certaines séquences d’être très exigeantes. La visibilité elle-même est très amoindrie. C’est aussi la période durant laquelle sévit David, qui aura un lourd impact sur l’évolution psychologique d’Ellie. Pour finir, le printemps est un symbole de renouveau et d’espoir. La scène où Ellie voit des girafes pour la première fois de sa vie aura marqué beaucoup d’esprits. Cet animal est réputé pour avoir le plus gros cœur. La girafe symbolise l’élan vers l’autre et la communication. Ce n’est pas un hasard si Joel propose à Ellie, à ce moment-là, de ne pas aller jusqu’au bout. Les personnages comme le joueur sont fortement désillusionnés lorsqu’ils rencontrent les Lucioles. Il est difficile de considérer le dénouement de The Last of Us comme une fin heureuse, même si les deux personnages principaux survivent. L’épilogue est doux-amer, mais bien porteur de renouveau. Désormais, nous incarnerons Ellie.
Cette belle rencontre propose un court instant de répit.
5. Un itinéraire et un level-design étonnamment significatifs
J’ai par-dessus été passionnée par l’itinéraire des personnages. Tu as sans doute constaté que les environnements et décors ne se répétaient jamais, ce qui contribue à rendre le jeu passionnant. Mais t’es-tu demandé si le choix et l’ordre des lieux racontaient quelque chose ? Je tiens à préciser que je rentre dans le cadre de la pure interprétation, mais ceci pourrait t’intéresser.
Si l’on omet le prologue, le premier vrai niveau du jeu est, par définition, celui qui permet de découvrir l’univers. A quoi ressemble le monde, vingt ans après l’apocalypse ? Tu es d’abord amené(e) à explorer la zone de quarantaine. On réalise que les survivants vivent au sein de bidonvilles, dont les détails sont très significatifs. Les soldats n’hésitent pas à frapper ou à abattre ceux qui s’aventurent trop près des zones d’approvisionnement. Les occupants vivent dans la misère, contraints à manger des rongeurs ou à se distraire par des combats de rue.
Joel va malgré tout sortir de cette zone de quarantaine, afin de transporter un colis très précieux : Ellie. L’adolescente découvre l’extérieur pour la première fois. On comprend alors que le jeu est une forme de récit initiatique, à la fois pour Ellie et pour le joueur, qui ont tout à apprendre. Il est très impressionnant de découvrir les ruines du centre-ville, pour la première fois. Les soldats appliquent la loi martiale avec cruauté et les bâtiments sont occupés par des infectés terrifiants. Ce qui est amusant, c’est que le jeu nous amène à faire une sorte d’excursion touristique du centre-ville. Les personnages devront traverser les décombres du musée avant d’accéder au capitole. Ces environnements, bien exploités, peuvent devenir très ludiques ; ils sont aussi les vestiges de l’Histoire et de la vie politique de l’humanité.
Après avoir été séparés de Tess, Joel et Ellie s’aventurent dans la ville de Bill. Une fois encore, certains lieux sont évocateurs. Le trio est contraint de traverser un cimetière avant d’arriver dans une zone résidentielle. Or, Joel rechigne à parler de la mort de Tess à Bill, qui apprendra lui-même qu’il a perdu son « partenaire ». Le cimetière symbolise les différents deuils auxquels sont confrontés les personnages, à ce stade du jeu. Leur route les mène au lycée, où ils rencontrent le premier colosse. Joel explique de quoi il s’agit à Ellie, avant que Bill ne remarque que le moment est mal choisi pour un « cours de biologie ». L’environnement et les dialogues rappellent qu’il s’agit du parcours initiatique d’Ellie.
Le duo se dirige ensuite vers Pittsburgh, une ville de Pennsylvanie. C’est l’occasion de découvrir la civilisation, en dehors de la première zone de quarantaine. Ellie et Joel ne sont pas très bien accueillis puisque des chasseurs leur tendent une embuscade. Ils devront échapper aux monstres, et par-dessus tout aux hommes, à travers différents environnements, comme l’hôtel ou le quartier des affaires. Ces lieux symbolisent la vie nomade et active dans laquelle entre Ellie. Par ailleurs, l’adolescente découvre les vestiges de la société avec curiosité. Ses réactions face aux éléments du décor ou à certaines plaisanteries du fameux livre de blagues rappellent qu’Ellie n’a jamais connu le monde d’avant. C’est pourquoi elle émet parfois des critiques, certes innocentes, vis-à-vis de certains maux de notre époque.
Après un traditionnel (et sinistre) passage dans les égouts, Ellie, Joel, Sam et Henry explorent une banlieue d’apparence paisible. Peut-être caressent-ils la douce illusion de se reposer ou d’avoir trouvé une famille, avant d’être rattrapés par la réalité.
David rappelle Ellie à son bon souvenir.
Un petit barbecue ?
Ellie a tout un monde à découvrir.
Le chapitre 7 marque la moitié du jeu et le passage à l’automne. On apprend que Tommy, le frère de Joel, essaie de réparer le barrage hydroélectrique, afin d’avoir de l’électricité. Par ailleurs, le jeu propose, pour la première fois, de se promener à cheval, au point même d’explorer un ranch. Ce chapitre démontre que certains humains luttent pour accéder à un véritable retour à la civilisation. Ce n’est pas un hasard si c’est le moment durant lequel Joel choisit de demeurer avec Ellie.
J’ai adoré l’université qui propose une vaste zone d’exploration, tout en étant le théâtre de la complicité entre Joel et Ellie, ainsi que d’une épreuve déterminante pour celle-ci. Alors qu’ils explorent les locaux de la faculté, Joel essaie d’expliquer à Ellie que les gens venaient ici pour étudier et surtout pour se construire. Ellie n’a pas accès à une éducation conventionnelle mais fréquente, à sa manière, le lycée puis l’université. C’est là que Joel va être blessé grièvement et qu’elle va devoir prendre le relais. Ellie n’est pas encore une adulte mais elle est en phase de le devenir. Et cela va être précipité par l’hiver.
Il est très ironique que l’hiver se déroule dans un village de vacances, car cette partie de l’histoire, comme les phases de gameplay, sont loin d’être de tout repos. Au reste, ces environnements isolés et coupés de tout rendent le chapitre d’autant plus oppressant.
Après quoi, Joel et Ellie reprennent la route. Traverser l’autoroute et le tunnel sous-terrain montre que leur périple n’est pas encore terminé.
La destination finale est un hôpital servant de quartier général et de laboratoire aux Lucioles. Quoi de plus naturel puisque ceux-ci essaient d’élaborer un vaccin ? Les hôpitaux sont faits pour soigner les gens. Mais on ne survit pas toujours à une opération. N’est-ce pas Ellie ? Ne pouvant s’y résoudre, Joel prend une décision terrible pour la sortir de là. Il extermine littéralement les Lucioles, y compris les médecins sans défense, quitte à condamner l’humanité. Mais peut-on vraiment lui jeter la pierre ? Chaque joueur est amené à se forger son propre avis.
C’est ainsi que nous quittons Joel et Ellie, tandis qu’ils se dirigent vers Jackson, dans l’espoir, peut-être, de s’y sédentariser.
Quelle odyssée cela a été. Celle-ci peut heureusement être poursuivie par le DLC Left Behind, qui rend le centre commercial très emblématique, ainsi que par The Last of Us 2, lequel promet une nouvelle expérience inoubliable.
Si Final Fantasy VII (1997) a marqué les mémoires, c’est parce qu’il s’agit du premier opus de la franchise avec des graphismes 3D. D’autre part, son succès fut si retentissant qu’il contribua à celui de la PlayStation 1, ou de l’exportation des JRPGs dans le monde. 23 ans après, (et 6 ans après la première annonce du projet), paraîtFinal Fantasy VII Remake. Malgré des partis pris qui auraient pu rebuter les joueurs, à commencer par le choix de proposer un Remake en plusieurs épisodes, le jeu rencontre un franc succès.
Plus qu’une comparaison entre les deux jeux, ou un test, cet article a pour vocation de chercher les ingrédients qui composent – ou non – un bon Remake. A une époque où lesdits Remakes ou simples Remastérisations sont légion, cette question me semble pertinente. Tantôt fidèle à l’œuvre originale, tantôt révolutionnaire, Final Fantasy VII Remake est le jeu adéquat pour nourrir cette réflexion. Il revendique son caractère hybride et en fait sa force. Cela se traduit par des combats très nerveux et pleins d’action, réservant toutefois une place majeure à la stratégie, en hommage au tour par tour de l’épisode original. Alors que celui-ci était réputé pour son monde ouvert, Final Fantasy VII Remake peut davantage être qualifié de jeu couloir, ce qui ne l’empêche pas de proposer des zones plus ouvertes où tu peux aller et venir librement, afin de réaliser des quêtes annexes. Si le gameplay est ambivalent, il en va de même de l’intrigue. Pour mieux comparer les deux jeux, j’en aborderai des points cruciaux. Je n’ai pas envie de parler de spoilers, pour une histoire initialement sortie en 1997. En revanche, le dénouement de Final Fantasy VII Remake mérite d’être découvert et savouré, aussi te préviendrai-je lorsque je commencerai à le mentionner.
Beaucoup de joueurs semblent admettre que l’ingrédient majeur d’un bon Remake est la fidélité par rapport au jeu original. Final Fantasy VII Remake se focalise exclusivement sur Midgar. Soit. Une fois ce postulat accepté, les joueurs se sont attendus à une cité offrant le même contenu que dans le jeu original, et même davantage. Les ajouts sont, sans surprise, plus tolérés que les retraits. La question est probablement encore plus délicate pour les modifications, car tout dépend de la manière dont elles sont menées. Que l’on se rassure, Final Fantasy VII Remake est très respectueux du jeu original. Je vais aborder les points où le Remake se montre particulièrement fidèle, avant de m’attarder sur des partis pris qui gâtent l’expérience de jeu, d’après moi. Pour finir, nous aborderons les ajouts ou modifications qui m’ont paru efficaces. Avant tout, voici un portrait des personnages, où tu n’apprendras pas grand chose, si tu es féru(e) de Final Fantasy VII.
Ingrédient n°1 : Les personnages
Qui est Cloud Strife ?
Cloud est le protagoniste de Final Fantasy VII. (Petits personnages trouvés sur http://www.millenium.us.org).
Final Fantasy VII t’invite à rejoindre un groupe éco-terroriste baptisé Avalanche, afin de nuire à la Shinra, une organisation exploitant la Mako, l’énergie vitale de la planète, dans le but de produire de l’électricité ou des armes. Au delà de ce propos politique, Final Fantasy VII se concentre sur un panel de personnages qui sont devenus iconiques, au fil des années, à commencer par Cloud Strife. Il s’agit d’un ancien SOLDAT devenu mercenaire, et suivant le groupe Avalanche un peu malgré lui. Cloud semble posséder un passé assez nébuleux, mis en exergue dans le Remake. Il est souvent en proie à des migraines ou à des délires hallucinatoires, mettant notamment en scène un certain Sephiroth, le Nemesis de Cloud et plus largement du jeu. L’onomastique est assez intéressante dans Final Fantasy VII. D’après Final Fantasy Dream, Cloud signifie « nuage » et Strife « conflit ». Le verbe « to cloud » signifie « assombrir ». D’après le site, cela correspond à l’idée « d’un esprit embrumé constamment en conflit. »
Compagnons jouables : Tifa, Aeris et Barret
Barret.
Tifa.
Aeris.
Protagoniste réservé et méfiant par nature, Cloud apprendra progressivement à s’ouvrir grâce à son amie d’enfance, Tifa Lockheart (littéralement, celle qui verrouille son cœur et dissimule ses sentiments vis-à-vis de Cloud), ainsi qu’à une mystérieuse marchande de fleurs : Aeris Gainsborough. Le prénom Aeris a des origines latines qui renvoient à l’air, un élément en harmonie avec les nuages, mais aussi avec le caractère de la Cetra.
Oublie toute notion de délicatesse ou de subtilité concernant Barret. Son prénom, celui d’un fusil, ne fait pas seulement référence à l’arme greffée à la place de son bras droit. Barret est un homme extrêmement bourru et impulsif. Il peut diviser les joueurs, il ne m’en a pas moins marquée dans le Remake. Durant la première partie du jeu, et même davantage, il est difficile de ne pas le trouver agaçant, à force de l’entendre râler et crier, à tout bout de champ. Le potentiel comique de Barret se révèle peu à peu, son manque de subtilité et de discrétion plongeant l’équipe dans des situations délicates. Barret se révèle également être un homme de principes, aimant par dessus-tout sa petite fille : Marlène. (Ce qui ne l’empêche pas de l’abandonner pour aller « sauver la planète »). Derrière son comportement bourru se cache un grand cœur.
Tels sont les quatre personnages jouables. Tu peux les trouver stéréotypés, à juste titre. Final Fantasy VII Remake ne cherche pas à renier l’empreinte laissée par les années 90, en témoigne un humour parfois caricatural, mais qui peut aussi charmer, pourvu qu’on se laisse emporter par l’univers du jeu. Le rire machiavélique d’Heidegger, chargé de la sécurité de la Shinra, en est un parfait exemple.
Et les autres, alors ?
Red XIII.
L’apparition de Cait Sith.
Seulement la moitié de l’équipe originale est jouable. Pour cause, l’histoire de Final Fantasy VII Remake ne correspond qu’à un tiers du premier CD du jeu de base. On peut se consoler en se rappelant que les deux autres CDs étaient nettement plus courts, mais voilà qui interroge, d’autant que Square Enix ne semble pas encore parfaitement décidé vis-à-vis du nombre de suites à ce Remake (qui pourrait devenir une trilogie). Ce premier découpage n’est pas dénué de sens dans la mesure où l’histoire prend place exclusivement à Midgar, la cité la plus importante du jeu, qui tient d’ailleurs son nom du royaume des hommes, dans la mythologie nordique. On peut aussi se consoler en rencontrant Red XIII, dans les deniers chapitres, bien que le canidé ne soit pas jouable. S’il n’y a aucune trace de Cid, Vincent ou Yuffie, on remarque un brève apparition de Cait Sith, bouleversé par la destruction du taudis du secteur 7.
Ingrédient n°2 : La fidélité au matériau de base
Respect de la trame de l’histoire
Une image iconique.
Final Fantasy VII Remake a pour vocation d’être fidèle au jeu original. Un certain nombre de chapitres du Remake sont une adaptation directe des péripéties de la version de 1997. L’histoire débute, sans surprise, dans le réacteur Mako numéro 1, que Barret à l’intention de faire exploser, avec l’aide des membres de l’équipe Avalanche et d’un mercenaire : Cloud. Ainsi, le premier boss de chaque jeu est le Scorpion géant, une des nombreuses machines dévastatrices construites par la Shinra. (C’est d’ailleurs ce passage qui avait été sélectionné pour la démo). Bon nombre d’ennemis de Final Fantasy VII sont fortement influencés par le profil cyberpunk du jeu. Si tu souhaites en savoir davantage sur ce genre, je te renvoie à l’article d’Hauntya sur le sujet.
Parmi les chapitres les plus fidèles, on peut mentionner le chapitre 3, qui permet de découvrir le Septième Ciel, le bar servant de quartier général à Avalanche. Ce chapitre dévoile également la capacité du Remake à proposer des zones plus ouvertes, jonchées de quêtes annexes.
Je ne sais pas pourquoi, mais les premières aventures avec Aeris, lorsque Cloud est séparé du groupe, m’avaient particulièrement marquée dans le jeu original. Il était donc émouvant de redécouvrir, dans le chapitre 8, l’église (avec son parterre jonché de fleurs) puis la fuite dans le secteur 6, remarquablement fidèles. Il est difficile de ne pas s’attendrir lorsqu’on constate que le Remake reprend même certains « mini-jeux », comme lorsque Cloud doit quitter la maison d’Aeris, en silence, afin de ne pas attirer son attention. C’est d’ailleurs les aventures avec Aeris qui permettent d’introduire les TURKS, investigateurs de la Shinra, parmi lesquels on peut compter Rude et Reno. Le Remake se plaît à à les développer, à la manière d’un certain Advent Children.
Approfondir sans trahir
Cloud, Tifa et Barret observent un monde en ruine.
L’un de mes passages préférés, si ce n’est le meilleur à mes yeux, est le chapitre 9 du Remake, permettant d’explorer le « Quartier des désirs ». Wall Market est plus vivant que jamais et différent à certains égards. Les lieux regorgent toutefois de références au jeu original, par le biais des décors, des PNJs ou de certaines quêtes. Une des quêtes annexes, (déblocable à certaines conditions), amène à rencontrer le père désillusionné d’un vendeur, pour obtenir quelque chose. On retrouve les défis contre les athlètes du gymnase où encore le PNJ qui bloque les toilettes et qui a besoin d’un digestif, pour ne citer que cela.
Ce chapitre aboutit à la rencontre avec Don Cornéo, qui était déjà un porc dans le jeu de base, et qui n’est pas en reste dans le Remake. Celui-ci recherche activement des concubines et Cloud doit se déguiser en femme, afin d’infiltrer le manoir de Don Cornéo. En 2020, on est en droit d’être frileux vis-à-vis de l’adaptation de ce passage, qui peut se montrer maladroit vis-à-vis du traitement des femmes, ou même du travestissement. En ce sens, il est heureux que le Remake ait su approfondir ces questions, sans supprimer ou trahir cet aspect du récit. Mais nous y reviendrons plus tard.
D’autres chapitres sont très fidèles, à l’instar du douzième qui retranscrit l’ascension du Pilier du secteur 7.
Les péripéties de nos héros les mèneront, sans surprise, jusqu’aux locaux et laboratoires de la Shinra. S’ils n’auraient pas dû affronter une version de Jenova si tôt, le duel sur les toits, contre Rufus, le fils du Président Shinra, est très fidèle. Celui-ci est armé d’un fusil et accompagné de Nation Noire, son menaçant animal de compagnie.
Mise à jour des graphismes et de la musique
Il est incroyable de redécouvrir ces personnages avec autant de détails.
Comme tu t’en doutes, il est fascinant et parfois même émouvant de retrouver des aventures si choyées, sublimées par des environnements et des graphismes à couper le souffle. L’expérience est rehaussée par les réorchestrations et les remix des musiques originales. Celles-ci sont vraiment excellentes, à commencer par The Oppressed : Beck’s Baddasses & Due Recompense.
En fait, le seul reproche que je pourrais faire à la fidélité de ce Remake est la présence d’arrière-plans, dans certains environnements, qui sont ni plus ni moins des images sans relief et en basse résolution. Je pense notamment à la vision du dessus du bidonville, dans le chapitre 6. Cela rappelle presque les arrière-plans du jeu de 1997. On pourrait croire que c’est volontaire (ce dont je doute), mais dans tous les cas, le contraste avec la résolution des autres graphismes est assez ridicule. Or, voilà qui m’amène à évoquer les défauts de Final Fantasy VII Remake.
Ingrédient n°3 : Écueils à éviter
Du beurre étalé sur une tartine trop grande
Barret lui-même est fatigué des ruines et dédales.
Le principal reproche que je peux faire à Final Fantasy VII Remake est la longueur de certains chapitres, qui n’ont pas grand chose à raconter. Il était périlleux de proposer un jeu se déroulant exclusivement à Midgar, mais devant néanmoins posséder une durée de vie honorable. Sans surprise, le beurre a parfois été étalé sur une tartine trop grande. J’aimerais dire que cela est anecdotique, mais plusieurs des chapitres, parmi les 18 existants, n’étaient pas nécessaires, ou du moins trop longs. Je tiens à préciser que ces longueurs ne m’ont pas gênée à l’extrême, car je garde un souvenir positif de ce Remake, mais il serait malhonnête de nier leur artificialité.
Je ne suis, de base, pas fan des jeux couloirs, surtout lorsque ceux-ci sont aussi directifs et grisâtres que dans certains recoins poisseux des réacteurs de Midgar. Par exemple, le chapitre 5 est réservé au trajet qui relie la gare du secteur 7 au réacteur Mako numéro 5. On pourrait rétorquer que ce trajet semé d’embûches existait aussi dans le jeu original. D’autre part, le chapitre 5 permet de développer les personnages ou les agissements de la Shinra, laquelle ne se soucie guère de lâcher des expériences dangereuses dans la nature. Au reste, le chapitre tire en longueur et n’est surtout pas un cas isolé.
Il faudra pas moins de deux chapitres supplémentaires pour venir à bout de ce fameux réacteur Mako numéro 5. Certes, il est intéressant de découvrir la structure et l’utilité des réacteurs, alimentant les « soleils » des bidonvilles se trouvant dessous, mais le dédale métallique devient parfois interminable, surtout lorsqu’il est question de réduire les défenses d’un boss, le Briseur de l’air, avant d’aller l’affronter. Le Remake essaie de faire monter la tension avant la confrontation contre un boss du jeu initial, et c’est tout à son honneur. Or, non seulement cela est long, mais cela décrédibilise un peu l’aptitude de la Shinra à réagir face à l’ennemi.
Le chapitre 11, se déroulant dans le cimetière de trains, propose une ambiance nettement plus oppressante et fantastique que dans l’original, ce qui ne l’empêche pas de tirer en longueur. Les deux derniers chapitres « de trop » pourraient être le 13, permettant de découvrir les activités souterraines de la Shinra, en secourant Wedge, et le 15, consistant à faire l’ascension des ruines pour rejoindre la Tour Shinra. Le treizième chapitre prend le risque de donner un sentiment de redite lorsqu’on découvre les vrais laboratoires de la Shinra. Le quinzième chapitre est un niveau vertical assez fun mais pas fondamentalement nécessaire.
Quid des invocations ?
Bahamut n’est accessible que dans la dernière simulation de combat.
Enfin, j’ai deux regrets qui ne concernent pas la structure des chapitres. Le premier est assez inoffensif. Même si la quête d’invocations n’était pas particulièrement mise en valeur dans la version de 1997, je regrette que le principal moyen de remporter des Espers soit en les affrontant dans des simulations de combat, grâce à un PNJ inédit appelé Chadley. Ainsi, certains d’entre vous ont aisément pu passer à côté de Shiva, de Gros Chocobo, et surtout de Leviathan ou Bahamut. Le pire consiste sans doute à devoir investir dans du contenu supplémentaire pour obtenir Poussin Chocobo, Pampa ou Carbuncle.
Le cas Sephiroth
Sephiroth se plaît à hanter l’esprit de Cloud.
Mon dernier reproche va peut-être diviser, mais qu’importe. Au fil des années, Sephiroth est devenu iconique. Envisager un Remake sans le mettre à l’honneur était inconcevable, même s’il ne s’agissait que du début de l’intrigue. Je le conçois tout à fait. D’ailleurs, Sephiroth se montre aussi charismatique qu’énigmatique. Il est difficile de savoir quand il apparaît réellement, ou non. Mais en dépit d’un fan service très efficace, je regrette qu’il soit aussi présent, ou plutôt montré de manière aussi explicite.
Un Nemesis devient particulièrement oppressant et iconique lorsqu’il apparaît avec parcimonie, ou joue l’arlésienne pendant une grande partie du récit. Je dirais même que c’est cela qui a rendu le Sephiroth original aussi mythique. Que l’on se rassure, l’ennemi de Cloud n’est pas omniprésent dans le Remake, mais il apparaît à de nombreuses reprises, notamment dans la Tour Shinra, qui propose des moments nettement moins oppressants.
Dans le jeu original, contrairement au Remake, le Président Shinra parvient à faire enfermer Cloud et ses amis. C’est après s’être échappé de sa cellule que Cloud constate que les gardes sont morts. Le joueur doit suivre une traînée de sang, dans plusieurs couloirs et étages, avant d’avoir le fin mot de l’histoire. Le Président Shinra a été transpercé par une longue épée. C’est Palmer, un responsable de la Shinra, qui raconte que Sephiroth a tué le Président. Dans le Remake, on voit explicitement Sephiroth tuer ce dernier. Ce qu’on ne montre pas peut être nettement plus anxiogène. On sacrifie ces sentiments de tension et de mystère au profit du sensationnel.
Ingrédient n° 4 : Des rebondissements inattendus
Approfondissement du contexte politique
Le groupe Avalanche est prêt à tout pour sauver la planète.
Si Final Fantasy VII Remake n’est pas exempt de défauts, le jeu regorge de qualités indéniables et utiles à la confection d’un bon Remake. Ce n’est pas parce qu’un chapitre n’existe pas dans le jeu initial ou est plus long, qu’il est mauvais. D’ailleurs, tous les chapitres évoqués précédemment possédaient quelques atouts.
Parmi les péripéties inédites et efficaces, je peux citer le chapitre 4, consistant à partir en mission en compagnie de Jessie, Biggs et Wedge. Le chapitre en question débute par un mini-jeu en moto, inspiré du jeu original, mais proposant un boss inédit : Rochey, un SOLDAT fou des escapades motorisées. Par-dessus tout, cette virée nocturne permet de développer les trois membres d’Avalanche, à commencer par Jessie, dont le père travaillait pour la Shinra, avant de tomber malade à cause des activités de l’organisme. Non seulement cela permet d’avoir un nouvel aperçu des conséquences néfastes des agissements de la Shinra, mais cela rend également le jeu moins manichéen. Le père d’une des membres d’Avalanche travaillait pour la Shinra et en est toutefois une victime.
Cela m’amène à dire que Final Fantasy VII Remake permet d’approfondir le contexte politique, et de le rendre à la fois plus subtil et plus clair. Il est intéressant que cela ne passe pas exclusivement par la narration mais aussi par le level-design. Comme dans le jeu initial, il faut gravir bon nombre d’étages de la Tour Shinra pour espérer sauver Aeris, ou atteindre le Président. L’un des étages contient une exposition donnant des informations sur Midgar, l’énergie Mako, ou la Shinra elle-même. Naturellement, l’exposition en question ne tarit pas d’éloge à l’égard de la Shinra.
C’est très habile car, au fil des chapitres, le jeu nous propose d’épouser plusieurs regards. Cloud est relativement neutre. Les membres d’Avalanche sont prêts à tout pour faire cesser l’exploitation du Mako et sauver la planète. Mais certains sont plus modérés que d’autres. Barret est, sans surprise, particulièrement intransigeant, tout en admettant qu’il a lui-même cru, un jour, que la Shinra était utile et salvatrice. Avalanche a beau être un groupuscule écologiste, armé de bonnes intentions, leurs actes terroristes ne sont pas minimisés. Afin de rendre les protagonistes plus héroïques, on insiste toutefois sur le fait que la Shinra rend les actions d’Avalanche encore plus destructrices, au point de mettre en danger les populations. Cette manipulation permet à la Shinra de décrédibiliser Avalanche tout en continuant à asseoir son pouvoir sur Midgar. Tous les membres de la Shinra ne sont pas diabolisés pour autant. Certains ne sont que des employés qui ont besoin de leur travail pour subsister. Il n’est pas étonnant qu’ils croient en la Shinra dans la mesure où celle-ci garantit de la lumière et de l’énergie au peuple. Le citoyen lambda n’est pas prompt à sacrifier tout son confort, en vue de la destruction seulement hypothétique de la planète. On a vu combien la Shinra était manipulatrice. Les responsables de l’organisation sont des êtres dangereux et immoraux. J’ai déjà mentionné plusieurs membres de l’organisation, mais je pense aussi à Hojo, le savant fou qui s’amuse à réaliser des expériences sur les créatures et êtres humains. Les expériences de la Shinra ont eu de lourdes répercussions sur Cloud, Red XIII, sans parler de Sephiroth.
Un mercenaire en robe
« Perfection. »
Outre l’approfondissement des différents clans politiques, Final Fantasy VII Remake donne plus de vie à Midgar et à ses différents quartiers. J’ai eu, comme je l’ai dit plus tôt, un véritable coup de cœur pour Wall Market. On aurait pu craindre que le jeu devienne maladroit au moment où Cloud doit se travestir pour atteindre Don Cornéo, pervers par excellence. Or, cette partie de l’intrigue est relativement bien amenée. Pour commencer, on sent que le Quartier des désirs est assez libéré, en terme de sexualité et d’expression de genre, bien que rien de cela ne soit évoqué de manière explicite. Par exemple, l’un des PNJs, Juju, est clairement un travesti voire une femme transgenre. Personne n’émet la moindre réflexion sur son apparence. Il s’agit même du personnage le plus respecté dans le gymnase, pourtant rempli d’athlètes bodybuildés. Gagner contre Juju, dans certains mini-jeux, n’est d’ailleurs pas une mince affaire.
Pour la scène du relooking de Cloud en jeune femme, le Remake introduit un personnage inédit appelé Andrea. Celui-ci possède un look et un comportement vis-à-vis de Cloud, non anodins. L’ancien SOLDAT doit danser avec lui, dans une scène digne d’une comédie musicale, afin d’obtenir son aide. Cloud est alors relooké, sans pour autant être ridiculisé par la mise en scène ou les autres personnages. D’ailleurs, on sent Cloud embarrassé, mais pas plus que cela. Andrea le rassure en prononçant les mots suivants : « La véritable beauté vient du fond du cœur. Écoute, Cloud. Être un homme ou une femme n’a aucune importance. Abandonne tes craintes, et avance. »
Cloud peut donc rejoindre Tifa, en compagnie d’Aeris, dans le manoir de Don Cornéo. Dans le jeu initial, Cloud ne pouvait être choisi par le bandit qu’en endossant une robe et des accessoires déterminés. Je trouve habile que, dans le Remake, Don Cornéo choisisse forcément Cloud. Non seulement cela permet d’éviter de placer Aeris ou Tifa dans la chambre d’un pervers, (non pas qu’elles soient sans défense). Mais en plus, cela ridiculise vraiment Don Cornéo, qui ne se rend même pas compte de la supercherie.
Je ne sais pas si le jeu est un exemple de féminisme, dans la mesure où, à l’instar des autres personnages, Aeris et Tifa sont assez stéréotypées. Elles n’en demeurent pas moins talentueuses et indépendantes. On peut d’avantage les incarner que dans la version de 1997.
Explication d’un dénouement inédit
Cloud est confronté à son destin.
Mais les ajouts les plus essentiels du Remake concernent le dénouement. Le chapitre final est complètement inédit, ce qui semblait nécessaire pour que ce premier épisode soit relativement indépendant. Pourtant, il est difficile d’imaginer une conclusion aussi épique et intrigante. Si tu as envie d’y jouer, prends garde aux spoilers.
Contrairement au jeu original, le Remake intègre tout au long de l’histoire la présence d’entités mystérieuses : les Fileurs. Tantôt menaçants, tantôt bienveillants, ceux-ci semblent être les gardiens de la destinée. Par exemple, ils sauvent Barret lorsque celui-ci est « tué » par Sephiroth.
Le dernier chapitre du Remake s’intitule Singularité du Destin. Il propose de pénétrer dans une sorte de dimension parallèle dans laquelle Cloud et ses amis affrontent des Fileurs, puis Sephiroth lui-même. (La réorchestration de One Winged Angel est pleine de tension). L’ambiance de ce combat n’est pas sans rappeler la confrontation de Sora contre Darkside dans Kingdom Hearts.
Mécontent d’avoir vaincu les incarnations du destin, Cloud est sujet à des visions qu’on peut qualifier de prédictions. Les personnages semblent avoir conscience de certaines péripéties, avant qu’elles n’aient eu lieu. Sephiroth a même prévenu Cloud que le destin n’est pas écrit. (Si tu veux plus de détails, je t’invite à consulter cette page). Doit-on en conclure que les personnages vont, à partir de la suite du Remake, réécrire l’histoire de Final Fantasy VII ?
C’est une des théories qui intrigue le plus la toile. Il serait surprenant qu’après une première partie aussi fidèle, la suite se permette des écarts scénaristiques voire des contradictions avec le jeu originel. Au reste, Square Enix a parfois présenté Final Fantasy VII comme une réécriture plutôt qu’un simple Remake. Un compromis envisageable serait de proposer une suite introduisant la notion de choix et de conséquences, pour montrer qu’il existe de multiples destins et que rien n’est effectivement écrit. Mais cela poserait des complications dans la production de plusieurs suites. Le moins que l’on puisse dire est que le dénouement de ce Remake se révèle marquant.
Il est probable que Final Fantasy VII Remake ait posé des bases, sans trop nous dépayser, afin de proposer des suites plus ambitieuses et révolutionnaires.
On peut notamment citer la présence de Zack, dans certaines visions, qui préparent déjà le terrain pour un véritable étoffement du lore de l’univers. (Zack est un SOLDAT ayant sauvé la vie de Cloud, avant de mourir devant Midgar. Cloud vole, à son insu, une bonne partie des souvenirs et de l’identité de Zack. Ce dernier a notamment été développé dans le jeu vidéo Crisis Core, paru sur PSP en 2007.)
Tout commença lorsque le film d’animation Dragon Quest : Your Story fut diffusé sur Netflix. Le long-métrage reprend les grandes lignes du jeu Dragon Quest V, sorti en 1992. Le titre « Your Story » a son importance et en dit long sur la saga. Je ne l’avais pas tout de suite compris. Grande amatrice de la saga Final Fantasy, je n’avais pourtant jamais touché à un seul jeu de sa consœur (également développée par Square Enix) : Dragon Quest. C’était une envie de longue date, galvanisée par ce film et par les circonstances particulières de cette année 2020. J’ai donc acquis le Saint Graal :Dragon Quest XI : Les combattants de la destinée, sur PS4. (Je n’ai découvert, qu’après coup, que la version Switch comportait du contenu exclusif).
Le dernier opus de la saga se joue et se comprend facilement, même si on n’a jamais joué à un Dragon Quest de sa vie. J’en suis la preuve vivante. Toutefois, afin de mieux saisir les références ou les hommages que j’étais susceptible de rencontrer, j’ai décidé de me plonger dans la découverte de deux livres, en parallèle. Le premier est un Mana Books rassemblant plus de 500 illustrations des jeux, réalisées par Akira Toriyama. Le deuxième est « La légende Dragon Quest », rédigé par Daniel Andreyev et édité par Third Editions. Est-il utile de préciser que je conseille le premier ouvrage, véritable délice visuel ? Le deuxième, lui, m’a permis de me familiariser avec les coulisses de la saga et sa progression, au fil des différents épisodes.
Cet article n’a pas la prétention d’analyser Dragon Quest XI sous tous les angles, comme j’ai pu le faire pour d’autres jeux. Il a pour seul but de partager ma découverte et mon expérience personnelles, qui furent grandement positives. Comme Dragon Quest XI regorge de rebondissements très efficaces, je vais éviter de faire des spoilers concernant des points majeurs de l’intrigue.
Je te laisse savourer la cinématique d’ouverture de Dragon Quest XI, avant que nous partions à la conquête du vaste monde entourant le petit village de Caubaltin.
1. « Dragon Quest XI : Your Story » : Un jeu dont tu es le héros
Dragon Quest XI est un épisode particulier. Pour cause, il est sorti en 2017, peu de temps après les 30 ans de la licence. (Le premier Dragon Quest est sorti le 27 mai 1986). Pour mieux appréhender la saga, il faut au moins connaître trois noms : celui de son scénariste et concepteur, Yûji Horii, celui de son compositeur, Kôichi Sugiyama, et celui de son character designer, Akira Toriyama. D’après Daniel Andreyev, « cette trinité d’artistes est l’âme de Dragon Quest, la série fondatrice du RPG japonais, celle qui a créé les clichés d’un style et même des expressions maintenant utilisées couramment. Leur œuvre se résume en trois modestes idées : de l’aventure, de la simplicité, du cœur. »
J’ai été frappée par le fait que le protagoniste n’ait ni nom, ni voix. Tu es libre de le baptiser à ta guise, et il ne répond jamais véritablement aux autres personnages. Tout juste te sera-t-il permis de sélectionner « oui » ou « non », après certaines questions, sans que cela n’ait de réel impact sur la suite des aventures. Il en a toujours été ainsi dans Dragon Quest. Yûji Horii aurait confié la raison suivante : « D’une manière générale, je pense qu’un protagoniste qui s’exprime finit par aliéner le joueur. Il l’incarne comme s’il s’agissait d’une extension de lui-même. Dans ce cas, pourquoi donc cet avatar prendrait-il soudainement la parole ? » Dragon Quest XI n’est pas le seul jeu à utiliser ce procédé, loin s’en faut. J’ai toutefois été déstabilisée par le mutisme du héros, alors que les autres personnages sont très vivants, et que nous connaissons une ère vidéoludique de plus en plus cinématographique. Pourtant, l’argument de Yûji Horii est valable. Il est vrai que l’implication du joueur, dans l’histoire et auprès des différents compagnons, est particulièrement forte. Comme le veut la tradition, on apprend que le protagoniste est un élu, surnommé l’Éclairé.
Le héros de Dragon Quest XI.
2. « Heureux qui comme l’Éclairé, a fait un beau voyage » : Personnages et régions
L’équipe de compagnons est l’un des atouts majeurs de ce onzième opus. J’ai pris énormément de plaisir à apprendre à connaître Erik, un jeune homme moins désinvolte qu’il n’en a l’air. Je me suis tout de suite fait la réflexion que la petite Veronica paraissait trop mature pour son âge, avant de découvrir son secret. Veronica est aussi impulsive que sa sœur, Serena, ne se montre sage. Il n’est pas surprenant que la première ait les talents d’un mage noire, alors que la deuxième est une soigneuse très précieuse. Non seulement les personnages se complètent en terme de compétences, mais aussi en terme de tempéraments et d’intrigues personnelles, au point qu’on vogue de l’un à l’autre, sans jamais laisser une partie de l’équipe, trop longtemps de côté. Notre héros rencontre aussi Sylvando, un homme déluré qui brise tous les clichés de la chevalerie. Mon personnage favori sans doute. L’équipe initiale est finalisée par Jade et le vieux Théo, qui éclaireront (sans mauvais jeu de mots) le héros sur son passé.
Quand on voyage en bonne compagnie, peu importe la destination. D’ailleurs, je n’étais pas pressée de parvenir au dénouement. Les paysages parcourus n’en ont pas moins rendu l’odyssée plus entraînante encore. Le monde de Dragon Quest XI n’est pas entièrement ouvert, car les régions sont cloisonnées. Cela ne t’empêche pas d’errer sur la mappemonde à ta guise, et ce à pieds, en bateau, ou sur différentes montures. Le fil conducteur est relativement bien dosé dans la mesure où l’on sait toujours où aller, sans pour autant être constamment guidé ou tenu par la main. Rien n’empêche de laisser la quête principale en suspens afin de se focaliser sur quelque contenu annexe.
Chaque région et même chaque ville propose un réel dépaysement. Si Gallopolis, la cité des courses hippiques, est très orientale, Gondolia fait énormément penser à Venise, tandis que les habitants de Puerto Valor s’expriment comme les espagnols. La France est mise à l’honneur grâce à l’Académie Notre-Maître des Médailles.Je me suis fortement réjouie de retrouver des références à l’univers Viking et à la mythologie nordique, par l’intermédiaire de Sniflheim et de ses environs…
De gauche à droite : Erik, Sylvando, le Héros, Jade, Veronica et Serena.
3. « Cha-La Head-Cha-La » : Les références
En fait, les références à la mythologie nordique ne s’arrêtent pas là. Le sort de l’univers dépend de l’Arbre de Vie, appelé Yggdrasil. Or, c’est le nom de l’Arbre Monde qui réunirait les différents royaumes de la mythologie nordique. (On peut d’ailleurs arpenter cet arbre dans le dernier opus de God of War.) Cela n’empêche pas Dragon Quest XI de s’inspirer des légendes et du folklore de bien des pays, afin de varier les quêtes ou le bestiaire. Ce bestiaire est un des ingrédients qui m’a rendue amoureuse du jeu. Il est jouissif de voir les différentes créatures vagabonder sur la carte, et de n’aller à leur rencontre que si on souhaite s’entraîner. Chaque région a son propre bestiaire, qui évolue en fonction du moment de la journée ou de la météo. Si ces créatures semblent toutes avoir leur identité propre, c’est parce que le bestiaire est l’une des choses qu’on retrouve au fil des épisodes de la saga. Le monstre le plus connu du jeu est probablement le Gluant. Je n’ai pas été étonnée d’apprendre que Dragon Quest pourrait être une des sources d’inspiration de Pokémon.
Une autre référence sautant aux yeux est l’arrivée du héros, encore bébé, entre les bras de celui qui deviendra son grand-père adoptif. Tout dans la mise en scène, jusqu’à l’apparence du vieillard, m’a fait penser à l’arrivée de Son Goku, dansDragon Ball. Daniel Andreyev l’a également souligné : « La mise en scène est la même, celui qui devient le père adoptif du héros soulève le bébé dans les airs après l’avoir retrouvé. » Ce n’est pas étonnant dans la mesure où les personnages principaux et les monstres du jeu ont été imaginés par Akira Toriyama, le père de Dragon Ball. C’est en partie pour cela que j’ai tout de suite été séduite par la direction artistique.
Mais les comparaisons ne s’arrêtent pas là. Lorsque l’équipe arrive à l’arène d’Octogonia, elle participe à une sorte de tournoi d’arts martiaux. Certes, l’arrivée d’un orphelin dans une famille adoptive, qui lui apprendra qu’il est spécial, avant qu’il affronte moult péripéties n’est pas un schéma propre à Dragon Ball. Loin s’en faut. En fait, toujours d’après Daniel Andreyev, « c’est aussi l’archétype d’un récit shônen […]. Il ne s’agit pas simplement de s’adresser aux jeunes garçons, c’est un genre qui exalte des valeurs positives comme l’abnégation, l’amitié, le courage, la volonté, où les anciens ennemis deviennent alliés. »
Ajoutons à cela des plaisanteries que d’aucuns pourraient qualifier de vieillottes. Par exemple, on finit par découvrir que Théo, vieux sage de la bande, prend du plaisir en lisant des magasines coquins, en cachette. Il devient rouge de honte lorsque les autres découvrent son secret. Il est impossible de ne pas établir un parallèle avec Tortue Géniale, dans Dragon Ball. Daniel Andreyev y voit « une véritable caricature d’un âge d’or de la pop culture japonaise des années quatre-vingt. » Cet humour teinté de nostalgie rend le jeu d’autant plus bon-enfant.
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4. « I am what I am » : Le cas Sylvando
Daniel Andreyev trouve toutefois cet humour moins inoffensif, lorsqu’il est question de Sylvando. Cette fois-ci, je ne partage pas l’avis de l’auteur de La Légende Dragon Quest. J’ai dit, plus haut, que Sylvando était mon personnage favori, et qu’il brisait les codes de la chevalerie. Cela n’empêche pas le personnage d’être une caricature. Sylvando est très efféminé et maniéré. Il endosse des tenues colorées et ses attaques sont délirantes, sans exception. Certains l’imaginent tout droit sorti de La Cage aux folles… Je conçois que la représentation de Sylvando puisse paraître maladroite, voire homophobe. Mais ce serait sans doute passer à côté des messages implicites véhiculés par le jeu.
En fait, Sylvando m’a énormément fait penser à un des personnages principaux de la série Queer as Folk : Emmett. Les deux personnages paraissent efféminés et insouciants. Pourtant, ils se révèlent être les plus sages et forts de la bande. Certes, le jeu ne dit jamais que Sylvando est homosexuel. Au reste, après un certain événement de l’intrigue, le héros est amené à retrouver Sylvando, qui s’est entouré d’une bande de jeunes hommes, afin d’organiser une sorte de Gay Pride. C’est ça aussi Dragon Quest XI : des rebondissements tous plus surprenants les uns que les autres. Je n’aurais jamais imaginé que je devrais porter un costume à plumes, pour mener une parade rose pimpante, dans un JRPG de fantasy. Personnellement, ça m’a fait beaucoup rire, d’autant que Sylvando anime cette parade pour rendre de la gaieté aux gens. Il n’apparaît jamais comme un personnage faible ou négatif.
Enfin, j’ai trouvé le sous-texte de son cheminement personnel intéressant. Officiellement, Sylvando a peur de revoir son père car il n’est pas devenu un chevalier traditionnel comme lui. Il a préféré aller travailler dans un cirque. Son père finit toutefois par le retrouver avec plaisir et bienveillance. Le joueur peut interpréter cela comme il le souhaite. Notons, pour conclure, qu’il s’appelle Sylvia et se genre au féminin, en japonais. Cette fois, n’est-ce pas l’intention derrière le choix de traduction qui prête à confusion ? Je te laisse seul(e) juge.
Sylvando, cette Diva sublime.
5. « It’s time to get up. Today is a very important day. » : Bilan
Outre la quête initiatique, les personnages flamboyants, les combats au tour par tour, les régions dépaysantes ou encore l’esthétisme inspiré de l’art d’Akira Toriyama, Dragon Quest XI possède une ribambelle de contenus annexes et de mini-jeux. J’ai passé un nombre incalculable d’heures à chercher des tenues permettant de modifier l’apparence de mes personnages, à rassembler des matériaux afin de forger des armes sur la Transforge, ou encore aux Casinos. Or, je ne l’ai pas seulement fait dans l’optique de compléter le jeu à 100%. J’y ai vraiment pris du plaisir. Dragon Quest XI est aussi chronophage qu’addictif. En parlant d’addiction : au vu du nombre de parties de poker que j’ai faites, je crois que, par précaution, je ne mettrai jamais les pieds dans un véritable casino.
L’un des seuls reproches que je pourrais faire au jeu (outre un léger backtracking) est que les musiques semblent trop désuètes. C’est volontaire, malgré tout, pour attiser ce sentiment de nostalgie chez le joueur, en particulier s’il est familier de la licence. Un morceau a toutefois suffisamment attiré mon attention pour que je l’écoute en boucle : Dundrasil Ruins.
La nostalgie, ce n’est pas seulement le réconfort de retrouver quelque chose de familier, c’est aussi la mélancolie que l’on ressent lorsqu’on a le sentiment de perdre quelque chose, ou une époque. La question du temps qui passe au fil des générations, est primordiale dans Dragon Quest XI, même si je ne me risquerai pas à parler de l’intrigue. Je me contenterai de dire que la réflexion est assez méta. En fait, même en découvrant à peine la saga, ce jeu à la fois nostalgique et moderne est parvenu à m’insuffler beaucoup d’émotion et de mélancolie, par la peine qu’inspirent certaines situations, ou par un final en apothéose. J’ai insisté sur l’aspect bon-enfant de Dragon Quest XI, mais il n’empêche pas le jeu d’être une odyssée épique, surprenante, qu’on quitte avec un sentiment d’accomplissement, mais aussi la tristesse d’abandonner des environnements et des personnages grâce auxquels on se sentait chez soi.
Il n’y a que les grands jeux qu’on quitte, avec regret, comme de vieux amis. En l’espace d’un seul épisode, Dragon Quest rejoint le cercle restreint des sagas vidéoludiques qui m’ont le plus marquée, à ce jour.
Sache que, ce mois-ci, au vu de cette situation sans précédent, j’ai l’intention de poster pas moins d’un article par semaine. Et ça n’a rien d’un poisson d’avril !
Parlons peu, parlons bien. Parlons du cycle du temps dans le jeu vidéo. Je ne parle pas de celui que l’on peut chronométrer mais plutôt des différents mouvements du ciel. Je pense au cycle jour/nuit ayant un effet sur l’atmosphère graphique ou sur les mécaniques de gameplay. Je pense par-dessus tout aux phénomènes météorologiques et au cycle des quatre saisons.
Une des premières simulations m’ayant marquée n’est autre que Pokémon Argent (2001). Le cycle jour/nuit était synchronisé avec la réalité, grâce à l’horloge interne du jeu. Le soir venu, les paysages s’obscurcissaient (étonnant n’est-ce pas). Cela avait un effet sur les Pokémon que l’on pouvait rencontrer, ou même sur l’évolution de certains d’entre eux. Dans la même période, d’autres jeux allaient déjà plus loin, à commencer par Les Sims (2000) ou Animal Crossing (2001). Je n’ai jamais joué à ce dernier, mais les paysages changent au fur et à mesure que les saisons défilent dans cette saga, m’a-t-on dit. Comme dans Pokémon, cela a un effet sur la faune.
Tu l’auras compris, la simulation du climat est un outil précieux afin de rendre un jeu plus immersif. J’aimerais évoquer Judgment (2018), qui utilise ce composant afin de rendre Tokyo plus réaliste. Mais alors que Judgment se contente d’adopter un cycle jour/nuit, certains jeux vont beaucoup plus loin. Dans Seasons After Fall (2016), le cycle des saisons est non seulement au cœur de l’intrigue, mais aussi des mécaniques de gameplay. Pour finir, Arise : a simple story (2019), nécessite d’influencer différents phénomènes météorologiques et éléments, afin de poursuivre le périple.
Yagami est le protagoniste du jeu.
Le quartier, de jour.
Le quartier, de nuit.
Judgment : Séjour à Tokyo
Bienvenue à Kamurocho, environnement fictif inspiré de Kabukicho, un quartier de Tokyo prisé pour ses divertissements assez… adultes et nocturnes. Il eut été inconcevable de reproduire un tel quartier, sans imaginer un cycle jour/nuit. La journée, Kamurocho est déjà impressionnant et dangereux, à cause de la ribambelle de Yakuzas agressant Takayuki Yagami, protagoniste du jeu. Mais le soir venu, une fois tapie dans l’ombre, la ville semble plus menaçante encore. Au reste, l’effet de contraste avec la multitude de néons et de lumières est saisissant. La nuit, la vie ne s’arrête pas à Kamurocho, bien au contraire.
Judgment, c’est l’histoire d’un avocat, reconverti en détective privé, et enquêtant sur une affaire de meurtres. Les victimes ont toutes eu les yeux crevés. Ce spin-off de Yakuza est un savant mélange de différentes mécaniques de gameplay, allant de l’infiltration, à la recherche de preuves, sans oublier des phases de combat qui n’ont rien à envier aux jeux spécialisés dans le genre. Mais une des mécaniques de gameplay les plus chronophages est, pour ainsi dire, la simulation de vie dans Tokyo.
Judgment serait très différent sans la multitude de quêtes secondaires, d’événements et de mini-jeux qui jonchent le quartier de Kamurocho. Le cycle jour/nuit est capital dans le bon déroulement de l’intrigue. Il a aussi toute son importance pour débloquer certaines quêtes secondaires, voire très secondaires. Par exemple, certains rendez-vous galants ne sont disponibles que la nuit.
Plus largement, le jeu met un point d’honneur à simuler le temps qui passe ou les différentes étapes de la journée. Les amitiés avec les différents PNJs du jeu ne se font pas en un jour. Malgré la multitude de restaurants, et même si cela est très tentant, Yagami ne peut pas passer son temps à s’empiffrer, à moins de débloquer la compétence « Estomac sans fond ». Bon sang, rarement un jeu m’a donné aussi faim ! Ceci étant dit, note que le cycle jour/nuit a une utilisation très classique. A l’image de la nourriture, le repos est, une fois n’est pas coutume, un moyen de régénérer sa santé.
L’été, les couleurs sont plus gaies.
L’ours est l’esprit de l’hiver.
Dans ce jeu, tu incarnes un renard.
Seasons After Fall : Promenons-nous dans les bois
Alors que le changement d’atmosphère peut être qualifié de gadget, dans Judgment, Seasons After Fall en fait non seulement le protagoniste de son intrigue, mais aussi une mécanique de gameplay fondamentale. Ce jeu de plate-formes te glisse dans la peau d’une graine, qui se glisse elle-même dans la peau d’un renard. Quoi, tu n’as pas suivi ? C’est pas grave. Une perturbation dans la forêt nécessite de partir à la rencontre de quatre esprits, et de récupérer, par la même occasion, le pouvoir des saisons.
La forêt de ce puzzle-game n’est pas très vaste, pourtant, tu découvriras de nouveaux recoins, au fur et à mesure que tu débloqueras de nouveaux pouvoirs. Il y a ceux de l’hiver, du printemps, de l’été et de l’automne. Pour progresser dans le jeu, tu devras inlassablement alterner entre les saisons. Le pouvoir de l’automne te permettra par exemple de faire pousser les champignons, débloquant ainsi de nouvelles plate-formes. Tandis que l’été assèche les cours d’eau, l’hiver les change en glace. Et ce n’est qu’un mince aperçu de ce que les développeurs ont imaginé.
Le même tableau, l’automne.
Le même tableau, l’hiver.
Ce qui rend l’expérience si poétique, c’est sans doute la direction artistique de Seasons After Fall.Chaque saison est assimilée à une couleur. Non seulement cela rend le jeu très joli, mais cela permet aussi au joueur de ne jamais s’emmêler les pinceaux, y compris lorsqu’il faut réagir très vite. Malheureusement, le jeu n’est pas toujours aussi intuitif. Une ou deux énigmes m’ont paru plus pénibles qu’autre chose. Il n’en reste pas moins une aventure relaxante.
Les tournesols s’inclinent en fonction de la lumière.
Papy fera de la résistance.
Le premier niveau du jeu.
Arise, a simple story : Voyage dans l’au-delà
Au début de Arise, ton personnage meurt. Voilà qui paraît brutal, et pourtant, ce jeu constitue l’une des plus belles et apaisantes ballades que j’ai faites, depuis longtemps. Je ne m’attendais pas à tomber ainsi amoureuse de la beauté et de l’émotion qui émanent de Arise. Je te le conseille vigoureusement, c’est pourquoi je vais tâcher d’en parler, sans trop le dévoiler.
Le premier niveau de Arise t’apprend à manipuler le climat, à l’aide d’un des deux joysticks. Il est intéressant de constater que cette faculté peut être prise en charge pas un autre joueur, si tu as deux manettes. La manipulation du temps est bel et bien une mécanique fondamentale du jeu. Le premier niveau consiste à dissimuler ou à faire rayonner le soleil, pour progresser à travers différents îlots. La chaleur fait fondre la neige, dévoilant des parterres de fleurs, quand elle ne permet pas de faire monter ou descendre le niveau des eaux. Ce premier niveau s’intitule « Elle ». On peut supposer que le vieil homme se remémore les instants les plus importants de sa vie et que tout commence avec sa bien-aimée, laquelle il avait rencontrée lorsqu’ils étaient enfants. Alors qu’il était un petit garçon seul et timide, la fillette est venue illuminer et égayer sa vie. Le climat et les quatre éléments sont donc utilisés comme des métaphores.
Au fil des dix niveaux, Arise n’a cessé de me surprendre par son inventivité : jamais les puzzles ne se répètent, ni les procédés pour avancer. Le fil de l’histoire est classique certes, mais il devient poignant grâce à la force de chaque métaphore.
Certains niveaux te permettent de contrôler des phénomènes météorologiques impressionnants. Alors que le protagoniste se sent seul, des ombres noires menaçantes commencent à rôder autour de lui. Tu ne pourras les faire disparaître qu’en les éclairant avec les éclats de la foudre. Le septième niveau permet, quant à lui, de contrôler la progression d’un incendie. Le feu incarne à la fois un allié, (pour progresser ou contrer ces ombres), et un ennemi, puisqu’il peut te blesser. D’autres phénomènes naturels sont utilisés, tels le vent ou le froid mordant. Certains niveaux sont encore plus innovants et osent davantage, en terme de gameplay ou de métaphores. Mais je te laisserai découvrir cela par toi-même.
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Conclusion
Le cycle jour/nuit est fondamental pour rendre un jeu plus immersif. Judgment en est un parfait exemple. Or, le jeu vidéo peut aller nettement plus loin en terme de gestion du climat et des phénomènes météorologiques.Seasons After Fall se démarque en faisant des quatre saisons les motrices de son intrigue comme de son gameplay. Chaque saison permet de déverrouiller une pièce du puzzle afin de mieux explorer les différents environnements. Arise : a simple story va encore plus loin. Chaque niveau se révèle être une surprise aussi étonnante que grisante. Les différents phénomènes météorologiques et éléments sont utilisés pour varier le gameplay. Par dessus-tout, ils sont la base de métaphores très émouvantes.
Il est intéressant de noter que ces trois jeux utilisent de plus en plus l’influence du temps, tout en étant de moins en moins liés à la terre. Bien qu’il se déroule dans un quartier fictif, et malgré plus d’une fantaisie, Judgment se veut assez réaliste. Seasons After Fall est très éthéré, que ça soit par son histoire ou ses graphismes. Mais ce n’est rien en comparaison de Arise, qui nous propose un voyage au-delà de la terre et de la vie elle-même. Dans ces trois jeux, les caprices du ciel permettent de progresser dans l’intrigue. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. Je pense encore aux orages radioactifs de Fallout 4. Elle était bien utile mon armure assistée !