Never Alone & The First Tree | Pourquoi autant de renards dans les jeux vidéo ?

J’ai testé plusieurs jeux indépendants dernièrement, et certains d’entre eux possèdent des similitudes. Never Alone est jouable seul ou à deux et a été développé par Upper One Games en 2014. The First Tree a quant à lui été développé par Do Games en 2017. Non seulement les deux jeux sont intimement liés à l’Alaska, mais par-dessus tout, ils ont pour vedette un renard. Or, le renard est un animal particulièrement populaire dans le milieu du jeu vidéo. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi ?

Le renard : symbole de ruse et de spiritualité

De gauche à droite : Sonic the Hedgeghog, Star Fox, Pokémon et Tunic.

Nous avons, en France, et plus largement en Europe, une image parfois péjorative du renard. Autrefois appelé « goupil », l’animal était mis en avant pour sa fourberie dans le Roman de Renart, au Moyen-Âge. C’est d’ailleurs encore le cas au XVIIème, dans les Fables de La Fontaine. Même en Europe du Nord, le renard est assimilé à la ruse et à la malice, puisqu’il s’agit d’une forme emblématique du dieu nordique Loki. Mais il a une toute autre signification en Asie, et plus particulièrement au Japon. Or, même si tous les jeux ne sont pas japonais, beaucoup ont été inspirés par le Pays du soleil levant. Dans le folklore japonais, la femme-renarde peut être aussi malfaisante que bienveillante. Plus important encore, le kitsune est un esprit prenant la forme d’un renard. Il s’agirait d’un messager de la divinité shintoïste de l’agriculture, Inari. Le renard a donc une connotation plus positive et surtout plus mystique. En tant que messager, il peut servir de guide entre les mondes. Enfin, si on veut être plus pragmatique, il peut aussi être très mignon pour devenir une mascotte de jeu vidéo !

De gauche à droite : Seasons after fall, Rime, Spirit of the north et Ghost of Tsushima.

Bien qu’il s’agisse en vérité d’un marsupial, Crash Bandicoot (1996) ressemble à s’y méprendre à un renard. Sans surprise, plusieurs Pokémon s’inspirent de renards, à commencer par Goupix. Quelques années avant, Star Fox (1993) apparaissait sur Nintendo. On peut même remonter jusqu’en 1992, quand Tails, l’ami goupil de Sonic, fait son apparition dans Sonic the Hedgehog 2, sur Master System et Game Gear. Le renard est une mascotte parfaite, mais depuis plusieurs années, en particulier dans les jeux indépendants ; il sert généralement de guide spirituel. La liste est loin d’être exhaustive mais je peux mentionner Seasons After Fall (2016), Rime (2017) et Spirit of the North (2020). Dans le premier, le renard permet de basculer entre les saisons, afin de se frayer un chemin à travers la nature. Le goupil est plus discret dans Rime, qui demeure toutefois un voyage contemplatif et spirituel. Je ne peux que conseiller Spirit of the North qui, en dépit de son caractère contemplatif et épuré, m’a profondément touchée. Le renard n’apparaît pas que dans les jeux indépendants. On en rencontre plusieurs dans Ghost of Tsushima (2020) et, en 2022, un nouveau héros à l’apparence de renard fait son apparition, avec Tunic. Si vous voulez vous pencher davantage sur la question, je vous renvoie à l’article de Benjamin Bruel, sur France24. Au reste, il est grand temps que nous revenions à nos… renards, avec Never Alone et The First Tree.

Never Alone & The First Tree : deux visions de l’Alaska

Never Alone permet d’incarner alternativement un renard polaire et une petite fille appelée Nuna. L’histoire se déroule en Alaska est s’inspire du folklore iñupiat, un peuple autochtone. La fillette doit se frayer un chemin à travers une nature périlleuse, tant à cause de la rudesse de la température que des obstacles et ennemis qu’elle rencontre sur son passage. Son objectif est de mettre fin au blizzard qui s’est abattu sur son village. Le renard lui servira de guide, dans les phases de plate-forme, mais aussi pour communiquer avec les esprits. L’histoire de The First Tree est plus implicite, quoiqu’elle soit dotée d’un narrateur. Il s’agit davantage d’un walking simulator, dans lequel une renarde tente de retrouver ses bébés, à travers différents paysages. Cette quête est mise en parallèle avec l’histoire d’un fils qui tente de se réconcilier avec son père. La thématique du deuil se dégage très rapidement de l’intrigue.

Never Alone est un jeu plutôt dynamique, qui alterne entre les phases de plate-forme et de réflexion. Chaque personnage est doté de capacités différentes. Ainsi, si le renard est capable de sauter plus haut, la petite fille possède un lasso à boules : le bola. La progression se fait avec beaucoup de fluidité et de plaisir, si l’on omet un léger manque de maniabilité et des passages – en solo – où le duo manque de cohésion. Il est plus difficile de parler du gameplay de The First Tree, qui est purement contemplatif. En dehors de rares phases de plate-forme, le jeu consiste à chercher des artefacts dissimulés dans de grandes plaines enneigées ou non.

Les directions artistiques des deux jeux sont elles aussi assez contrastées. The First Tree possède une vue à la troisième personne, en 3D. Les couleurs chatoyantes des paysages proposent quelques diaporamas somptueux. Never Alone permet d’avancer de façon linéaire, en 2.5D. Les graphismes s’inspirent cette fois-ci du style artistique des gravures inuites, faites sur les os, les dents ou les défenses de mammifères marins. (Le terme anglophone est scrimshaw).

De l’utilité des collectibles

Enfin, ce qui démarque les deux jeux est leur rapport vis-à-vis des collectibles. Il est assez fastidieux de tous les récupérer dans The First Tree, bien qu’il s’agisse d’une des occupations principales du jeu. Non seulement le trophée nécessitant de tout trouver est capricieux, mais les collectibles ne sont pas particulièrement passionnants. Certes, ils permettent d’étoffer la narration et les étoiles représentent le nombre de caractères que l’on pourra utiliser lorsqu’on écrira un message à l’arbre, à la fin du jeu ; mais tout de même… 150 étoiles, ça fait beaucoup ! L’exploitation des collectibles est beaucoup plus astucieuse et ludique dans Never Alone. Il s’agit de « notions culturelles », autrement dit de petits reportages sur la culture inuite, qu’il faut regarder afin de débloquer tous les trophées. Non seulement cela est intéressant mais aussi très instructif. Or, il s’agit du principal objectif du jeu. Upper One Games est le premier développeur de jeux vidéo appartenant à des autochtones dans l’histoire des États-Unis. Never Alone était consacré à faire connaître la culture inuite et à financer la mission d’éducation du Cook Inlet Tribal Concil, une organisation à but non lucratif.

Somme toute, The First Tree est un beau jeu, contemplatif à souhait et touchant quand il le faut. Il peine toutefois à se distinguer de la multitude d’autres jeux permettant d’incarner un renard mystique, dans une quête de deuil. Je l’ai même quelquefois trouvé très ennuyeux. En revanche, Never Alone fut une excellente surprise. Le renard polaire n’est pas seulement là pour être mignon, mais pour guider Nuna, et pour contribuer au partage de la culture iñupiate. Never Alone apporte une vraie utilité aux collectibles, et permet de mieux connaître les peuples inuits. Le jeu est intentionnellement éducatif, sans pour autant perdre son aspect ludique. Je ne peux donc que le conseiller.

3 réflexions au sujet de « Never Alone & The First Tree | Pourquoi autant de renards dans les jeux vidéo ? »

  1. Excellent article ! Des renards il y en a partout, et je me demande aussi si parfois il n’est pas mis en jeu car c’est un animal qui approche parfois l’humain. Sans compter tous les adjectifs de la ruse qu’on lui accole et qui proviennent du fameux Renart (personnage qui m’a fait remarqué qu’avant on disait « goupil » !) Je pense avoir approché plus de la moitié des jeux que tu cites comportant des renards, comme quoi l’animal est vraiment populaire. On le croise aussi d’ailleurs dans Okami via justement Kyubi, la fameuse divinité renard à multiples queues. Et on ne le voit pas comme un animal, mais il sert aussi de logo à FoxHound, l’unité de mercenaires dans Metal Gear Solid.

    Je vois qu’on a eu les mêmes appréciations concernant The First Tree et Never Alone. Le second m’a beaucoup plu par son aspect instructif sans sombrer dans la niaiserie pédagogique. Au final le jeu s’adresse à tout âge et toute personne curieuse d’approcher une culture qui lui était jusqu’ici inconnue. The First Tree avait de bonnes idées mais il dure peut être trop longtemps pour ce qu’il propose (et l’aspect semi ouvert du monde n’était peut être pas la meilleure option, on tâtonne beaucoup).

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    1. Mon article étant loin d’être exhaustif, je te remercie d’avoir mentionné d’autres titres ! Même le 100% de First Tree est un peu pénible, ahah. Never Alone évite en effet les écueils des jeux pédagogues et se révèle donc beaucoup mieux ! Merci pour ton commentaire

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