Le ciel s’obscurcit et les feuilles chutent à la même cadence que la température. Les américains s’apprêtent à fêter Halloween et nous approchons de la Toussaint. Autant dire que le mois d’octobre est privilégié pour se lancer dans quelques jeux d’horreur. La peur s’articule autour de la narration, qui peut elle-même s’inspirer de faits réels comme de mythes et légendes divers et variés. Mais ce sont les mécaniques de gameplay qui décideront si un jeu est réellement terrifiant ou non. Pour ce faire, il n’y a rien de tel que de rendre les joueurs les plus vulnérables possibles. Au cours de cet article dédié aux jeux d’horreur, je vais vous parler de Among the Sleep (2014), Through the Woods (2016), Remothered : Tormented Fathers (2018) et The Chant (2022).
De l’importance du fantastique
En haut à gauche : Jess découvre l’île de The Chant. Sur les deux autres images, Karen fait face à des apparitions inquiétantes, dans Through the Woods.
L’épouvante peut être installée par des créatures imaginaires comme par des faits réels. Dans les deux cas, elle peut être particulièrement redoutable. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est quand les jeux d’horreur se révèlent fantastiques, au sens strict du terme. Cela signifie que, pendant un temps ou jusqu’à la fin, les joueurs sont amenés à hésiter entre une explication rationnelle et une explication paranormale. C’est de ce doute que naît la plus efficace des peurs.
A mes yeux, il ne laisse pas l’ombre d’un doute que les événements mystiques survenant dans The Chant aient réellement lieu. Dans les années 70, après la mort tragique de sa sœur, Jess décide de se retirer dans la communauté spirituelle d’une île. Or, le groupuscule a des faux airs de secte, et très tôt, des événements inquiétants surviennent sur l’île. Certaines zones semblent tomber dans une dimension parallèle, peuplée de créatures étranges et effrayantes. Jess devra faire preuve d’une force mentale hors du commun pour sauver les autres membres de la communauté. Les questions abordées par l’univers sont occultes, mais à aucun moment l’existence des monstres n’est remise en question. La plupart des créatures sont même cataloguées dans un bestiaire, et c’est peut-être d’ailleurs ce qui rend le jeu assez peu effrayant, en dehors – à la rigueur – d’un ou deux jump scares.
Through the Woods a des points communs avec The Chant, mais l’ambiance est beaucoup mieux menée. Les deux jeux se déroulent sur une île isolée mais Karen, l’héroïne de Through the Woods, ne s’y retrouve pas aussi rapidement. Elle voit son fils Espen se faire enlever par un mystérieux inconnu, dans une barque, ce qui l’incite à rejoindre l’autre rive à la nage. Il est perceptible que Karen emprunte un passage vers un monde différent. Le sentiment d’urgence et la rupture d’ambiance rendent l’île tout de suite inquiétante, tandis que celle de The Chant apparaît tout d’abord comme un endroit idyllique. Contrairement à Jess, qui est d’abord guidée par ses hôtes ; Karen est immédiatement seule et prompte à se perdre.
Les deux jeux ont des sources d’inspiration différentes. The Chant s’inspire de Silent Hill quand Through the Woods emprunte des légendes à la mythologie scandinave. Les deux choix ont du potentiel, et pourtant, Through the Woods effraie davantage. Les créatures sont moins nombreuses et apparaissent avec moins de fréquence. Il y a une économie de leurs apparitions, ce qui les rend si marquantes. D’ailleurs, plusieurs événements et monstres peuvent passer totalement inaperçus, pour les joueurs les moins observateurs. Le souci du détail de Through the Woods rend le paranormal encore plus implicite. Ainsi, même si je ne pense pas que les événements narrés par Karen soient le fruit de son imagination ; la subtilité de la narration la rend plus effrayante. En découvrant des documents, Karen apprend que son fils a été enlevé par un dénommé Erik. Cela peut sembler un prénom banal, or, en Norvège, une vieille légende conte qu’un homme – ou un démon – appelé Erik kidnappe régulièrement les enfants, qui ne réapparaissent plus. Cela soit dit en passant, d’autres créatures interpelleront les amateurs de mythologie nordique ou les joueurs ayant apprécié Bramble : The Mountain King, sorti au moins de juin dernier.
En haut à gauche : la chambre inquiétante d‘Among the Sleep. Sur les autres images, Rosemary doit affronter monsieur Felton, dans Remothered.
Ces deux premiers jeux font réellement intervenir le paranormal, même s’ils le font avec plus ou moins de subtilité. Among the Sleep convient davantage à la définition du fantastique. Les joueurs incarnent un bébé qui, accompagné de son ours en peluche, doit traverser une maison sombre et inquiétante. Or, une créature malveillante le pourchasse. Les joueurs doivent attendre quelques indices, et le dénouement du jeu, pour comprendre quel est l’équivalent de cette créature dans la réalité. Le double sens de lecture est alors très intéressant. Par dessus-tout, l’on se demande si cette terreur nocturne n’est que le fruit de l’imagination fertile du bébé, ou si les événements relatés sont vraiment arrivés. Hélas, Among the Sleep n’est pas un jeu du tout effrayant, mais la faute en revient plutôt à son gameplay, dont nous parlerons plus tard.
Remothered : Tormented Fathers joue également avec les codes du fantastique. Le début du jeu est parfaitement ancré dans le réel. Une jeune femme, Rosemary, enquête sur la disparation d’une fillette. Cela la conduit dans le manoir Felton, où un vieillard vit reclus. L’ambiance m’a fait beaucoup penser au Silence des Agneaux de Jonathan Demme, du fait de la ressemblance entre Rosemary et Clarice, de la métaphore des papillons ou encore de la probable influence de Buffalo Bill, sur l’un des personnages du jeu. Mais alors que Remothered ressemble à un thriller, des événements paranormaux commencent à intervenir dans la maison. Rosemary est-elle en train de perdre la raison ou arrivent-ils réellement ? Pour le coup, bien que les explications finales soient alambiquées, Tormented Fathers parvient à restituer une ambiance fantastique et surtout une tension constante.
La vulnérabilité comme gage de frayeur



A gauche, un aperçu de l’univers d’Among the Sleep. A droite, l’héroïne de The Chant.
Si le lore et la narration sont importants dans un jeu d’épouvante, les mécaniques de gameplay sont plus déterminantes. Or, comme beaucoup de leurs confrères, ces quatre jeux vont tenter de nous rendre vulnérable pour nous effrayer le plus possible.
Malheureusement, The Chant échoue également à ce niveau. Il est plutôt malin de mettre la force mentale de l’héroïne au cœur du gameplay. En effet, si celle-ci est confrontée à quelque chose qui lui fait peur ou si elle reste trop longtemps dans la pénombre, sa santé mentale diminue. Il lui faut alors méditer pour retrouver tous ses esprits. Malheureusement, le gameplay de The Chant n’est guère plus abouti que l’histoire ou les personnages. Jess dispose aussi d’une santé normale et peut venir à bout de ses ennemis par la force, en confectionnant des armes. Cette part d’action rend le jeu tout de suite moins effrayant.
On se sent bien plus vulnérable dans les trois autres jeux, où l’on joue respectivement un bébé et des personnages dépourvus de moyens d’attaquer. Notons d’ailleurs que tous ces personnages sont féminins. Dans les histoires d’horreur, les femmes sont généralement plus réceptives aux ondes paranormales que les hommes.
Bien que l’on incarne un bébé dans Among the Sleep, ce n’est étonnamment pas le jeu où je me suis sentie la plus vulnérable. Pour cause, les chapitres comportent très peu de réelles menaces. Il s’agit davantage d’un jeu d’exploration, dans lequel il faut trouver des objets pour progresser. Il est bien dit qu’une créature nous suit et qu’elle nous éliminera, dès que l’on fera du bruit ; mais je l’ai si peu vue que je ne me suis jamais vraiment sentie inquiète. Et pourtant, je suis généralement aussi discrète qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine ! C’est dommage, car l’idée du monstre stalker était prometteuse.
A gauche, dans Remothered, l’héroïne se cache face à ses ennemis. (Oui, on voit bien les fesses du premier). A droite, les joueurs les plus vigilants peuvent apercevoir la sorcière Pesta, dans Through the woods.
J’ai été parcourue par bien plus de frissons dans Through the Woods, où Karen ne dispose que d’une lampe torche. Il faudra donc faire preuve d’astuce et surtout de discrétion pour fuir les différents ennemis du jeu. Croyez-moi, je n’étais parfois pas tranquille sur l’île. Finalement, ce qui rend le jeu accessible, c’est son archaïsme technique. Bien qu’il ne date que de 2016, les graphismes et le gameplay sont si dépassés que le jeu peinera à effrayer tout à fait.
C’est dans Remothered : Tormented Fathers que la tension restera constante. En effet, Rosemary sera pourchassée par un vrai stalker, dans le manoir. Il est impossible de prévoir où il se trouve et il est ni plus ni moins mortel. Ainsi, même si Rosemary dispose de couteaux de défense, il est préférable d’avancer sans faire de bruit, de se cacher ou de faire diversion, afin d’échapper à l’ennemi. Or, comme dans les premiers Resident Evil, le titre nécessite de faire des allers-retours incessants dans le manoir, pour trouver des objets et résoudre des énigmes. J’ai fait le jeu avec Hauntya mais nous avions fréquemment besoin de la soluce pour savoir quoi faire. A ce titre, l’expérience était presque plus énervante qu’effrayante. Mais ma foi, cela fait partie des codes du survival-horror, et même si l’expérience de Remothered (également dépassé sur le plan technique) n’était pas parfaite ; je n’oublierai pas ce jeu de sitôt !
Conclusion
Si vous souhaitez passer un Halloween peu effrayant, vous pouvez choisir de vous rendre sur l’île de The Chant, ou dans la maison du bébé d‘Among the Sleep. Le premier jeu est original à bien des égards et j’ai été charmée par le double sens de lecture du deuxième. Mais ne nous leurrons pas, il s’agit d’expériences vidéoludiques tout sauf effrayantes, et surtout peu mémorables. J’aurais plus tendance à vous conseiller Remothered : Tormented Fathers. J’ai quelques reproches à faire à son scénario mais le jeu est parvenu à maintenir une tension constante que je n’oublierai pas de sitôt ! J’ai finalement davantage eu un coup de cœur pour Through the Woods, le plus équilibré de tous. Entendons-nous bien, il s’agit presque d’un walking simulator et les graphismes sont datés ; mais j’ai été aussi bien charmée par l’histoire que par l’ambiance du titre. Il faut dire qu’il était plaisant de retrouver le folklore norvégien présent dans Bramble. Ces deux derniers titres devraient vous réserver des sueurs froides ou des surprises malveillantes, pour célébrer un Halloween digne de ce nom.













































































































































