Little Nightmares 3 | Analyse d’un jeu orphelin

Si vous connaissez ce blog, vous n’êtes pas sans savoir que je suis une grande amatrice de la saga Little Nightmares. Aussi, c’est avec une certaine fierté que je reprends du service, avec l’analyse du dernier opus de la saga : Little Nightmares 3, édité par Bandai Namco en octobre 2025. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le benjamin de la trilogie fait l’unanimité dans le mauvais sens du terme, tant il est décrié. Ce n’est malheureusement pas étonnant, dans la mesure où le développement n’est plus assuré par Tarsier Studios mais par Supermassive Games, les darons de la très moyenne Dark Pictures Anthology. Nous profiterons de cet article pour rappeler les raisons de ce changement drastique, pour comprendre pourquoi Little Nighmares 3 échoue là où ses prédécesseurs avaient si bien réussi, mais aussi et surtout pour analyser ce que cet opus apporte à l’univers que nous chérissons tant.

Suivez Low et Alone dans une aventure inédite.

Bien que Tarsier Studios soit suédois, et Supermassive Games britannique, les deux studios ont fait leurs armes sur Little Big Planet, ce qui les a sans nul doute formés pour le développement de platformers 2D. Ce n’est pas leur seul point commun, puisque Supermassive Games est connu pour le slasher Until Dawn, suivi d’une série de jeux narratifs d’horreur coopératifs, certes moins réussis. Alors que les deux studios œuvraient pour Bandai Namco depuis quelques années, Tarsier Studios s’est laissé racheter par THQ Nordiq (Biomutant, Alone in the Dark) en 2019. Depuis, THQ Nordiq a lui-même été absorbé par Embracer Group. Or, la franchise Little Nightmares appartient toujours à Bandai Namco. Non seulement Tarsier Studios travaille sur un nouveau titre, baptisé Reanimal ; mais Bandai Namco a dû choisir un autre développeur : Supermassive Games. Le choix est plutôt judicieux sur le papier, mais beaucoup moins quand on a joué à un certain nombre de leurs derniers jeux. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, je n’ai trouvé aucune trace d’un potentiel conflit entre Bandai Namco et Tarsier Studios, qui serait à l’origine de cette division. Et pourtant, Tarsier n’a pas manqué de faire paraître la démo de Reanimal, très peu de temps après la sortie de Little Nightmares 3. Or, la démo en question a été beaucoup mieux reçue que le jeu entier, développé par Supermassive Games. Notons que Reanimal devrait sortir au début de l’année 2026, mais nous ne sommes malheureusement pas là pour parler du prochain (et prometteur) titre de Tarsier.

« Ca va couper, chérie… »

Little Nightmares 3 ne met plus en vedette Six, la fillette enveloppée d’un imperméable jaune ; mais deux nouveaux enfants. Low porte une cape, un masque ressemblant à un corbeau ou même à Pantalon, de la commedia dell’arte. Il est armé d’un arc et de flèches. Alone, qui a le visage entièrement masqué, est quant à elle équipée d’une clé. Little Nightmares 3 se veut innovant, en proposant une aventure entièrement coopérative. Il faut être deux pour progresser au fil des quatre chapitres du jeu, puisque chaque personnage possède une compétence qui lui est propre. Le titre propose même un « friend pass », afin de pouvoir jouer à deux, en ligne, avec un seul jeu acheté. Malheureusement, Little Nightmares 3 ne possède pas de mode multijoueurs local, ce qui est assez ironique quand le jeu est vendu comme une expérience coopérative ; et quand on sait que ce sera le cas de Reanimal. J’ai testé Little Nightmares 3 en coopération avec l’IA, mais aussi en ligne, grâce au Friend pass. Comble du malheur, de nombreux bugs sont apparus quand on jouait à deux, en ligne, comme si le jeu ne supportait pas ce pour quoi il était initialement prévu.

A un moment, je me suis crue dans Toy Story 3

L’aventure de Little Nightmares 3 débute dans une cité située au beau milieu du désert, baptisée la Nécropole. Un cimetière est un premier terrain de jeu intéressant. J’ai tout de suite été frappée par la colorimétrie assez innovante du titre. Les protagonistes, plus colorés que leurs prédécesseurs, progressent dans une zone à l’ambiance dorée. Les défunts de la Nécropole ne sont pas habituels non plus, puisqu’il s’agit d’individus changés en pierre. Une nuée de corbeaux semble par ailleurs avoir élu domicile en ces lieux. On ne peut s’empêcher de se demander si Méduse hante la Nécropole, elle-même surveillée par Odin. Mais la réalité est autre. L’occupant des lieux est un bébé géant. Nous ne sommes pas coutumiers de monstres aussi gigantesques dans la saga. Pourtant, cet antagoniste avait été envisagé par Tarsier Studios par le passé. Ils avaient alors imaginé une créature plus organique, alors que le bébé que nous confrontons est un poupon en mauvais état. Le bébé est fait de plastique ou porcelaine quand l’antagoniste du chapitre 2 se déplace sur un système à roulettes mécanique. C’est un changement honorable, mais qui tend peut-être à rendre les monstres moins terrifiants. Autre fait surprenant, les ennemis de la franchise sont généralement des adultes qui en veulent particulièrement aux enfants. Dans la Nécropole, le bébé est même plus jeune que nos protagonistes. En vérité, il paraît plus malheureux et maladroit que profondément méchant ou agressif. Certains joueurs voient en ce bébé un alter-ego de Low. Ainsi, ce premier antagoniste ne serait que la métaphore d’une enfance brisée et délaissée. Il n’y a, à mon sens, malheureusement pas grand chose d’autre à se mettre sous la dent, niveau analyse. Cet opus – moins cryptique que ses prédécesseurs – semble faire table rase du passé. On retrouve de nombreuses références au symbole de l’œil, qui avait l’habitude de nous épier. Mais ce n’est pas suffisant pour placer Little Nightmares 3 dans l’espace ou dans la chronologie. Ce sont, à mon sens, des références plus malhabiles qu’autre chose. On commence très tôt à craindre que Supermassive Games ait singé Tarsier Studios, sans comprendre la teneur du bijou qu’ils avaient entre les mains. Ainsi, ils n’ont pas réussi à capturer l’âme de Little Nightmares. Le premier chapitre de ce titre est outrageusement simple. Ne vous attendez pas à rencontrer des tableaux glaçants ni des énigmes retorses. Le plus souvent, il sera question d’avancer de manière horizontale, en traversant d’indénombrables trappes ou conduits d’aération. L’introduction de nouvelles mécaniques de gameplay, comme les parapluies permettant de planer, ne change malheureusement rien à la donne. La fin du chapitre nous apprend que Low et Alone se déplacent d’un lieu à l’autre, grâce aux miroirs. Une référence potentielle à Alice au Pays des Merveilles, qui se déplace elle-même de l’autre côté du miroir. Les miroirs ont toujours eu un rôle prépondérant dans la saga. Hélas, ce moyen de transport magique est aussi un prétexte pour nous déplacer entre des lieux, sans cohésion.

On mange ou on se venge ?

Low et Alone se retrouvent dans un endroit bien plus froid et métallique, aux lueurs grises et verdâtres. Il s’agit, tenez-vous bien, d’une usine à bonbons. Pour l’instant, le seul thème commun envisageable est celui de l’enfance. Autant dire que Supermassive Games ne sont pas allés chercher très loin. Comme dit plus tôt, l’antagoniste de ce chapitre est une femme se déplaçant sur des roulettes. Elle occupe le rôle de Superviseuse dans l’usine, et possède de nombreux bras. Plus loin dans le niveau, on réalise que la partie inférieure de son corps est mécanique. Quand elle s’en déleste, la Superviseuse a tout d’une araignée humaine. Malheureusement, elle non plus n’est pas très angoissante, car elle rappelle énormément la Maîtresse de Little Nightmares 2, qui était nettement plus glaçante. On croise aussi la route de nombreux employés de l’usine. Il s’agit d’adultes obèses et abrutis par leur emploi, mais assez inoffensifs. On peut y déceler sans doute une satire du travail à la chaîne. D’aucuns y voient une explication à la solitude de Low, dont les parents auraient pu être brisés par leur travail. Malheureusement, Low n’est pas le seul orphelin, mais le jeu tout entier… D’autres soupçonnent que les bonbons de l’usine sont conçus avec de la chair d’enfants, ce qui ferait sens avec l’univers de la saga. Ce qui me paraît évident, c’est que les bonbons en question sont vendus dans la fête foraine, visitée lors du chapitre 3.

Le meilleur chapitre du jeu, mais il y avait encore mieux à faire dans un tel décor.

Le chapitre 3 est sans doute mon favori du jeu. Il est, tout du moins, le moins lisse de Little Nightmares 3, bien qu’il y ait encore plusieurs occasions manquées. Le niveau, plus long, débute dans un lieu plutôt neutre, où Low et Alone découvrent des pantins, qui s’échappent des vitrines où ils sont exposés. Le chapitre nous permet de retrouver les Nomes, les petits êtres que l’on collectait dans le tout premier Little Nightmares. Un DLC permettait d’ailleurs de comprendre qu’ils avaient été des enfants autrefois. Ce n’est pas la seule référence aux autres jeux de la franchise. Low et Alone pénètrent dans la fête foraine, plus connue sous le nom de Carnaval. Les pantins y vivent et y travaillent. Ils ont la même attitude que les sales gosses, dans Little Nightmares 2. Les clients du Carnaval, adultes et obèses, rappellent ceux de la Dame, dans l’Antre du premier jeu. D’ailleurs, des poupées de la Dame sont dissimulées, ici et là dans le chapitre. On pourrait émettre des théories, mais je crains que – une fois de plus – il s’agit plus d’un lien fragile et maladroit qu’autre chose. On trouve, de manière générale, plusieurs autres références, comme les ballons rouges qui pourraient être un clin d’œil au clown de Ça, imaginé par Stephen King. L’antagoniste du chapitre 3 est – de loin – le plus marquant du jeu. Je devrais d’ailleurs parler de deux ennemis, puisqu’il s’agit d’un marionnettiste et de ce qui lui sert de main droite. L’homme au costume violet est surnommé The Kin, et sa marionnette, Mini Kin. Bien qu’elle agisse comme un animal de compagnie, lorsqu’elle demande à manger ; elle semble plus pensante et agressive. Elle est par ailleurs la seule à voir. The Kin, comme beaucoup d’autres adultes du jeu, est dépourvu d’yeux. Le Carnaval raconte implicitement une histoire. Il rappelle beaucoup la fête foraine du conte Pinocchio, où les enfants sont changés en ânes, puis exploités. Le marionnettiste semble emprisonner les enfants puis les forcer à se donner en spectacle. La rumeur prétend qu’une des affiches décorant le niveau dévoile que Low a lui-même été exploité par The Kin, autrefois. Dans la mesure où l’on a déjà vu le petit garçon cloîtré dans un lit d’hôpital : on peut se demander s’il rêve ou s’il revit les traumatismes de son passé. Cela semble assez logique, puisque, après s’être échappés à l’aide d’une montgolfière, Low et Alone arrivent dans l’Institut.

Le psy garde un œil sur Low.

L’Institut présente un changement radical d’ambiance. La plage qui le borde rappelle étrangement l’entrée de Pale City, dans Little Nightmares 2. Le bâtiment tombe en ruines, mais ne manque pas de végétation. Les chambres d’asile laissent deviner que Low a déjà séjourné ici. De toute évidence, les enfants qui y sont restés sont décédés, puisque des fantômes sont dissimulés, ici et là, dans le chapitre. Ce dernier introduit une nouvelle mécanique de jeu intéressante car Low retrouve, dans son ancienne chambre, une poupée à l’effigie d’Alone. Cette peluche permet de raviver le passé, puisque sa lueur rend les lieux comme ils étaient avant de s’effondrer. On comprend, par la même occasion, qu’Alone n’est sans doute que le fruit de l’imagination de Low. Les adversaires basiques sont moins innovants. Le personnel de l’Institut essaie de proposer une scène plongée dans la pénombre, aussi effrayante que celle des Mannequins dans l’hôpital de Little Nightmares 2, sans succès… Le boss final du jeu n’est pas un serpent, comme on le penserait de prime abord, mais un psy au bras long. Cet antagoniste, surnommé L’Hypnotiseur est si gigantesque, qu’il semble condamné à se faufiler dans les ruines de l’Institut. Ses jambes et ses bras sont disproportionnés et son visage est – sans surprise – dénué d’yeux. C’est quand il ouvre ses mains que l’on découvre que les yeux de l’Hypnotiseur sont placés dans ses paumes. Il s’agit probablement d’une référence au Pale Man, dans le génialissime Labyrinthe de Pan, de Guillermo Del Toro. Pour se débarrasser de ce boss, il faut notamment frapper sur un Gong, à l’aide de la clé d’Alone. C’est là le signe qu’il est temps pour Low de se réveiller. Pourtant, on sent qu’Alone est réticente à l’idée de traverser le dernier miroir. Elle sait sans doute que si Low se réveille, elle disparaîtra, puisqu’elle n’est que son amie imaginaire. D’un certain côté, elle n’a plus de raison d’être, puisqu’elle a aidé Low à échapper à ses traumatismes. On peut aussi se demander si, à l’issue du jeu, Low arrivera vraiment dans un meilleur endroit. Oui. C’est là le plot twist de Little Nightmares 3. Low a fait des cauchemars tangibles et Alone n’était que le fruit de son imagination. Outre le fait que cette révélation est has been depuis des décennies, c’est, à mon sens, une insulte à notre intelligence. Supermassive Games a pris au pied de la lettre le titre du jeu, quitte à mettre en péril tout ce qui avait été bâti par Tarsier Studios. On peut, après tout, désormais douter de la réalité de l’Antre ou de Pale City…

Alone a été vidée de son essence, comme le jeu tout entier…

Little Nightmares 3 est, a posteriori, un peu moins vide qu’il ne le laissait paraître. Mon analyse du jeu est plus longue que je ne le présageais. Il n’y a toutefois rien de bien croustillant à se mettre sous la dent, surtout si on compare cet article au dossier complet que j’avais pu faire sur Little Nightmares 1 et 2. Ce dernier opus est une déception, en terme de narration, comme de gameplay. Non seulement, on n’est pas mal à l’aise, mais en plus, on s’ennuie. Le titre manque de mystères, de dangers et de véritables innovations. Il va même à reculons puisqu’il présente des problèmes de profondeur, ou de saut, qui avaient déjà été corrigés dans Little Nightmares 2. Le jeu est très court. Si vous êtes restés sur votre faim, il faudra attendre l’été et l’hiver 2026 pour avoir accès aux deux chapitres du DLC nommé : Les secrets de la spirale. En attendant, si vous êtes curieux d’en apprendre plus sur l’univers instauré par Little Nightmares 3, il existe des produits dérivés, à commencer par un Podcast, notamment disponible sur Deezer. Le bruit des cauchemars est une conversation entre une fillette appelée Nonne et le docteur Otto. Nonne parle de ses mauvais rêves, dont l’un se déroule dans le Carnaval du chapitre 3. Étonnamment, les cauchemars de la patiente éveillent des souvenirs douloureux au psychologue, qui a perdu sa petite sœur autrefois. On peut par ailleurs se demander si Otto et l’Hypnotiseur ne font qu’un…

https://www.micromania.fr/fanzone/littlenightmaresIII-changementdevs.html?srsltid=AfmBOopRBeByIUjxAAQvq1sMTnPJDVYmT1Yr5iZdd6DI6N8LTy0p0HE2
https://www.reddit.com/r/LittleNightmares/comments/1o4k6hh/hot_take_little_nightmares_3s_story_isnt_messy_or/?tl=fr&captcha=1
https://www.reddit.com/r/LittleNightmares/comments/1o4a0vy/my_interpretation_of_little_nightmares_iii_the/?tl=fr
https://www.moyens.net/gaming/guide/little-nightmares-3-histoire-fin-expliquees-en-detail/

Dossier #6 : Analyse et Compendium de Silent Hill 2

Silent Hill 2 sortait sur PlayStation 2 en 2001. Ce survival horror, rival historique de Resident Evil, est aujourd’hui considéré comme un classique. C’est pourquoi le remake du studio polonais Bloober Team, sorti en 2024, fut accueilli avec méfiance. Rassurons-nous, Silent Hill 2 Remake témoigne d’une fidélité à toute épreuve envers l’opus original, tout en proposant des nouveautés qui, mécontentes de moderniser le titre, parviennent à surprendre les fans. Il était à craindre que le passage à une caméra libre rende le jeu moins terrifiant, mais c’était sans compter sur l’ambiance générale, ou la fâcheuse tendance des créatures, à se cacher dans des endroits différents de la pièce, une fois la partie rechargée. Silent Hill 2 ne marque pas seulement les esprits par son esthétique ou son gameplay. Le scénario, jonché de non-dits, plonge les joueurs et joueuses dans une odyssée aussi morbide que fascinante. Contrairement à Resident Evil, Silent Hill 2 relève de l’horreur psychologique, comme le définissent si bien Damien Mecheri et Bruno Provezza dans l’analyse éditée par Third Edition, Bienvenue à Silent Hill : « Dans les œuvres d’horreur psychologique, ce sont les personnages eux-mêmes qui sont la source du « mal », ou qui gravitent autour. Leur quête est alors celle d’une introspection, un voyage dans leurs propres cauchemars qui peuvent se matérialiser ou se manifester sous diverses formes. Ce sont des œuvres qui cultivent l’ambiguïté, le doute, et qui nécessitent de la part des personnages une prise de conscience s’ils veulent sortir du labyrinthe. » Vous l’aurez compris, Silent Hill 2 est une œuvre particulièrement cryptique. N’ayant jamais joué qu’à la démo P. T. et au Remake, j’ai conscience d’être assez profane en la matière. Je n’ai pourtant pas pu m’empêcher de relever ce défi fou : proposer une analyse de Silent Hill 2. Pour ce faire, munissez-vous de votre radio et votre lampe torche ; car nous allons partir dans un voyage à la fois linéaire et jonché de spoilers. (Attention, il y a 3 pages !)

L’histoire de Silent Hill 2 est indépendante du reste de la saga, (hormis un léger lien avec le 4, puisqu’on y trouve en personnage très secondaire le père de James, gérant d’un immeuble, et n’ayant pas eu de nouvelles de son fils depuis longtemps). C’est l’histoire de James Sunderland, un homme ordinaire, qui vient en voiture jusqu’à Silent Hill, pour y retrouver sa femme. Or, Mary est décédée. De nombreuses interrogations fleurissent au sujet de la mort de Mary. Est-elle décédée trois ans plus tôt, ou récemment ? J’aime à croire que Mary est morte depuis peu, dans la mesure où James semble avoir transporté son corps avec lui. Les joueurs les plus attentifs apercevront un fatras de draps blancs, à l’arrière de la voiture.

Les spéculations sont elles aussi nombreuses, sur les causes du décès de Mary. Il est indéniable que James a étouffé sa femme, avec un oreiller, avant de refouler le souvenir. Ce meurtre peut toutefois être considéré comme une euthanasie, dans la mesure où Mary était malade depuis sans doute trois ans. Mais de quelle maladie souffrait-elle ? Cela n’est jamais dit explicitement, même si l’on comprend que Mary était affaiblie par la maladie en question, mais aussi par son traitement. Le ticket de caisse laissé sur le comptoir de la pharmacie Green indique des noms inexacts de médicaments, ressemblant pourtant à une prescription contre l’anxiété et le… cancer. Une vidéaste, baptisée L’éternelle Noob, a également émis une théorie intéressante sur Tik Tok. Silent Hill 2 Remake est sorti en 2024, et mentionne une maladie ayant frappé Mary trois ans plus tôt, soit en 2021. Il est difficile de ne pas faire le lien avec le COVID-19. Étant donné l’aspect des téléviseurs ou la présence de cabines téléphoniques, le remake semble se passer, tout comme le titre original, entre 1982 et 1992 ; mais la théorie témoigne du caractère intemporel de l’histoire du jeu. Le site Silent Hill Wiki ne semble pas avoir d’avis arrêté sur le sujet : « Il n’est jamais explicitement indiqué de quelle maladie Marie était atteinte ou comment elle l’a contractée. Il était connu pour provoquer des bosses sur sa peau et une perte de cheveux. On a supposé qu’il s’agissait d’une forme de cancer ou de lèpre. […] Silent Hill a des antécédents de maladie, car l’hôpital de Brookhaven a été construit en réponse aux épidémies. Il est probable que Mary ait contracté sa maladie avant ou pendant ses vacances à Silent Hill, car on la voit tousser à l’hôtel Lakeview. ».

Mais retournons au début du jeu, si vous le voulez bien. James arrive donc à Silent Hill, une ville touristique dans laquelle il a passé des moments merveilleux avec son épouse, par le passé. Il s’arrête dans les toilettes publiques, où il contemple son reflet dans le miroir. Cette cinématique est aujourd’hui iconique. D’après Silent Hill Wiki, « la raison pour laquelle James passe sa main devant son visage au début du jeu est de « vérifier s’il est dans la réalité ou s’il rêve ». […] Ceux qui luttent contre les périodes de dissociation, en particulier la déréalisation, peuvent se couper ou se blesser, sentir leur corps ou toucher leur visage pour essayer de les aider à se sentir « réels ». » Ce plan permet aussi de nous familiariser avec l’avatar que nous allons incarner, au cœur des ténèbres. James est un homme aux cheveux blonds, qui, contrairement aux rumeurs, n’a pas de lien de parenté avec Leon S. Kennedy. (« Aucun lien, fils unique »). Il porte la même veste que Jacob Singer, un personnage incarné par Tim Robbins, dans le film L’échelle de Jacob, réalisé par Adrian Lyne, en 1990. Ce n’est pas le seul point commun entre les deux protagonistes, puisqu’ils partagent les mêmes initiales et que l’ambiance de Silent Hill est profondément inspirée de l’atmosphère du métrage. L’échelle de Jacob est un film d’horreur psychologique dans lequel un vétéran du Vietnam souffre de stress post-traumatique et de ce que l’on peut supposer être des hallucinations. Les lieux et les individus présentent des étrangetés oppressantes, qui rendent le quotidien de plus en plus infernal. Jacob Singer n’est pas la seule source d’inspiration de James. D’après l’ouvrage Bienvenue à Silent Hill, le protagoniste avait, dans le premier jet du scénario, deux personnalités. L’une s’appelait James et l’autre Joseph, en référence à Joseph Silver, l’un des hommes suspectés d’être Jack l’éventreur. Or, Mary est ainsi nommée en hommage à Mary Kelly, une des victimes du tueur en série. Le nom de famille de James, Sunderland, signifierait quant à lui « terre scindée en deux ». La dualité du personnage n’a jamais été totalement abandonnée, loin de là. Non seulement on peut mentionner la présence d’un certain Pyramid Head, mais Mary possède elle aussi un double irréel : Maria.

Pour finir, j’aimerais mentionner Laura. Laura est une fillette de 8 ans qui explore Silent Hill, seule. Elle paraît si inconsciente du danger qu’on en vient à douter de son existence. Il semblerait pourtant qu’elle soit réelle. Laura est une orpheline qui tenait compagnie à Mary, lorsque celle-ci était hospitalisée. La petite fille sait que James ne rendait pas visite à sa femme, c’est pourquoi elle a une dent contre lui, dès le début du jeu. Notons que les tenues de Mary et Laura sont inspirées d’une mère et de sa fille, dans Les ailes de l’enfer, un film d’action de 97. Il s’agit de l’épouse et de l’enfant du personnage incarné par Nicolas Cage. Ce dernier est un détenu, en voie d’être libéré, qui essaie d’empêcher les autres prisonniers de détourner l’avion dans lequel ils sont transportés. L’hommage a-t-il une réelle signification ou le développeur japonais de l’époque, Konami, avait-il simplement besoin de références, afin d’imiter le mode de vie américain ? En tout cas, Mary n’ayant pas d’enfant, elle s’était prise d’affection pour l’orpheline et avait émis le souhait de l’adopter si elle se rétablissait.

Il n’est pas étonnant que le voyage de James débute par le cimetière, puisqu’il est bloqué dans la deuxième étape de son deuil : le déni. James s’apprête à pénétrer dans l’enfer symbolisé par Silent Hill. Son cheminement fait après tout écho à l’histoire d’Orphée et Eurydice. Dans la mythologie grecque, Orphée a l’opportunité de libérer sa bien-aimée des enfers, à condition de ne jamais la regarder. Or, alors qu’ils s’apprêtent à retrouver le monde des vivants, Orphée ne peut s’empêcher de se tourner vers elle. Malheureusement pour James, son cheminement risque aussi de se solder par une fin malheureuse. Au cimetière, James fait la rencontre d’Angela, une autre âme en peine. Après un bref échange avec elle, le protagoniste poursuit son chemin et se retrouve dans South Vale Est. Il est difficile de distinguer quoique ce soit, à cause du brouillard. Ce paysage opaque est inspiré d’une nouvelle de Stephen King, intitulée Brume. Vous avez peut-être vu The Mist, réalisé par Frank Darabont, en 2007. Les habitants d’une ville située dans le Maine sont contraints de se réfugier dans un centre commercial, lorsqu’un brouillard épais envahit la ville. Ils courent un grand péril car la brume est peuplée de créatures dangereuses.

James distingue néanmoins une traînée de sang, sur le bitume, et il décide de la suivre. Quelques instants plus tard, il met la main sur une radio qui se met à grésiller, lorsque le premier monstre du jeu, l’attaque. Il s’agit de Lying Figure, une créature dénuée de visage et de bras, comme si elle portrait une camisole de force. Elle semble porter des talons hauts et elle n’hésite pas à projeter du vomi sur ses ennemis. Quand elle perd l’équilibre, la créature se met à ramper sur le sol. Lying Figure est inspirée du tableau éponyme, peint par Francis Bacon, en 1961. La camisole de force pourrait symboliser la folie de James. Néanmoins, le bestiaire de Silent Hill 2 fait généralement écho à Mary, qui hante les pensées de son mari. En ce sens, la camisole de Lying Figure pourrait représenter la maladie de Mary, qui l’a forcée à s’aliter. Le vomi est peut-être un écho aux violences verbales que Mary avait à l’encontre de James, lorsqu’elle allait au plus mal…

La première énigme de Silent Hill 2 est celle du jukebox, au Neely’s bar. James doit trouver le bouton manquant mais aussi réparer un vinyle. La musique apparaît, en filigrane, tout au long du jeu. Il n’est pas rare de trouver des partitions de musique, sans oublier que Laura appuie sur les touches d’un piano, pour surprendre James, dans l’hôtel Lakeview. D’ailleurs, l’énigme principale de l’hôtel s’articule autour d’une boîte à musique géante. Pour en revenir à l’énigme du jukebox, elle permet de se familiariser avec les mécaniques de gameplay, tout en commençant à explorer la ville. Or, celle-ci foisonne de références. Par exemple, les noms des bières du Texas Café font allusion aux films ayant inspiré Silent Hill, comme Jacob’s Ladder (L’échelle de Jacob) ou Red Velvet (Blue Velvet, de David Lynch). Il y aurait aussi des hommages au jeu d’horreur Layers of Fear, développé par Bloober Team en 2016, comme la présence d’un jouet en forme de chat, ou d’une machine à écrire, dans certains appartements. (Pour en savoir plus, je vous renvoie à la vidéo de SNIR).

James va effectivement fouiller de nombreux appartements, au cours de son périple. La véritable exploration débute par le labyrinthique bâtiment Wood Side. Alors qu’il accède à la lampe de poche, James rencontre le deuxième monstre du jeu. Il s’agit du Mannequin, une créature composée de deux paires de jambes, soudées les unes aux autres. Il s’agit de l’un des pires ennemis du jeu, dans la mesure où les Mannequins se tapissent dans les coins les plus insoupçonnés avant de nous bondir dessus. Ils sont même capables de se mouvoir sur les murs et plafonds, comme des araignées, par la suite. Les Mannequins seraient inspirés des sculptures de l’artiste franco-allemand Hans Bellmer. Leurs jambes sont clairement féminines et ils poussent des soupirs sexualisés, quand on les blesse. Cela renvoie à la frustration sexuelle que James a éprouvée, tout au long de la maladie de son épouse.

La résidence Wood Side regorge de références, comme la tenue de Mary, que l’on peut trouver dans l’un des appartements. Une robe blanche est suspendue dans le placard avec la pomme dorée. Elle ressemble étrangement à la tenue d’Incubator, le boss final du tout premier Silent Hill. L’on peut aussi se questionner sur le symbolisme des trois pièces de l’énigme du coffre, au rez-de-chaussée de la résidence. James trouve la pièce de l’Homme dans un coffre-fort, lui-même dissimulé dans une salle noire et secrète ; ce qui pourrait faire allusion au déni dans lequel il vit. La pièce de la femme échoue dans la cour, après qu’on ait débloqué le vide-ordures ; une place peu reluisante, pouvant faire référence à la manière dont James a délaissé sa femme avant de la tuer. (Angela aussi a été maltraitée par des hommes). Enfin, la pièce du serpent se trouve dans le berceau, au centre de la piscine vide. Cela pourrait faire allusion au fait que James et Mary n’aient pas pu avoir d’enfant, à moins que cela ne mette en garde contre les faux-semblants.

En parlant d’enfant piégeux, la première rencontre avec Laura annonce son caractère bien trempé. La fillette n’hésite pas à marcher sur la main de James, tandis qu’il tente de récupérer des clés, à travers une grille. J’ai trouvé Laura particulièrement diabolique, lorsqu’elle décide, plus tard de le jeu, d’enfermer James dans la pièce de l’hôpital où on affronte un boss. J’ai été rassurée d’apprendre que Laura ne voyait aucun monstre, à Silent Hill. Cela explique pourquoi elle semble si insouciante. Voyez-vous, la fillette n’est pas arrivée en ville à cause de ses péchés, mais avec l’espoir de revoir Mary. Cela en fait un être pur. D’après l’analyse de Third Edition, elle pourrait même incarner le fil d’Ariane, dans le vaste dédale où se retrouve piégé James. En effet, c’est souvent en pourchassant Laura que James parvient à continuer sa route. Or, qui dit dédale, dit Minotaure, et le labyrinthe de Silent Hill abrite en effet un monstre redoutable. La première fois que James aperçoit Pyramid Head, c’est derrière des grilles, et enveloppé d’un halo rouge. Le bourreau l’observe, figé et imperturbable. Cette immobilité est angoissante car l’on se demande à quel moment la bête va être libérée de ses chaînes et attaquer James. Mais nous y reviendrons plus tard.

Le protagoniste fait d’autres découvertes dans la résidence Wood Side. Il rencontre Eddie dans un appartement, près de la piscine, alors qu’il est en train de vomir. On apprendra, plus tard, qu’Eddie est arrivé à Silent Hill après avoir tiré sur le genou de son harceleur, un sportif de haut niveau. Il a en outre assassiné le chien de ce dernier. Eddie a souffert du regard des autres, toute sa vie, probablement à cause de son obésité. Peut-être est-ce pour cela qu’on le voit s’empiffrer de manière peu ragoûtante, au cinéma, ou qu’il y a un cadavre encastré dans le frigo, dans l’appartement où on le rencontre. A Wood Side, James débloque le revolver, posé dans un caddie, au sein d’un habitat où quelqu’un semble s’être entraîné à tirer. Après cette découverte, il tombe sur un cadavre, assis devant la télévision. Non seulement ce corps n’était pas là lors de notre premier passage dans la pièce, mais il ressemble étrangement à James lui-même. Ces similitudes, associées au fait qu’il semblait visionner une VHS, sont annonciatrices de la fin funeste du jeu.

L’exploration de la résidence Wood Side se termine avec l’appartement 201. En entrant dans la chambre, plusieurs joueurs auraient entendu un soupir. Or, la pièce ressemble à celle où James a tué sa femme. Le soupir pourrait donc être celui de Mary, au moment où elle expire. Mais l’on retient surtout l’appartement 201 comme le théâtre de la première véritable intervention de Pyramid Head. Celui-ci semble brutaliser voire violer d’autres créatures du jeu, tandis que James observe cela, dissimulé dans le placard. Pyramid Head incarne toutes les pulsions refoulées du héros, y compris sexuelles. James ressemble quant à lui à un voyeur, dans un plan inspiré du film Blue Velvet, mentionné plus tôt. Étrangement, Pyramid Head s’approche du placard, mais ne s’en prend pas à l’intrus. Après cette cinématique glaçante, James franchit une brèche et se retrouve dans une version altérée de l’appartement. L’ambiance y est très différente. Nous ne sommes plus prisonniers de la dimension du brouillard, mais de celle du cauchemar. D’ailleurs, dans ce monde, le placard où James s’est réfugié a été éventré par une lame gigantesque. Sans le savoir, nous nous retrouvons plongé(e)s dans une autre résidence, du nom de Blue Creek.

Final Fantasy VII Rebirth | De la nostalgie au renouveau

C’est en 1997 que Final Fantasy 7 apporta sa contribution à la révolution du jeu vidéo. Ce premier épisode de la franchise en 3D promit un avenir florissant à la PlayStation. Les joueurs et les joueuses découvraient ainsi l’ancien Soldat Cloud Strife, mais aussi un antagoniste de légende : Sephiroth. Je ne suis moi-même initialement pas une grande fan de Final Fantasy 7, qui est devenu si populaire et omniprésent dans le paysage de la saga, qu’il fait injustement de l’ombre à d’autres opus qui me sont chers. Amatrice de Square Enix depuis toujours, j’ai tout de même joué à la première partie du Remake, sortie en 2020 sur PlayStation 4. Cette introduction à la trilogie promise par Square Enix m’avait semblé plaisante, mais tout de même fleurie de défauts, comme je le disais dans un précédent article. Elle m’avait pourtant laissé un sentiment suffisant de curiosité pour me lancer dans Final Fantasy 7 Rebirth, paru sur PlayStation 5, en février 2024. Il y a quatre ans, je me demandais si Square Enix avait trouvé la recette du bon remake. Si certains ingrédients me semblaient appropriés, d’autres m’avaient laissé un goût plus amer dans le palais. Il est maintenant temps de constater quelle est la direction empruntée et confirmée par Rebirth, dans une analyse qui pourrait comporter quelques spoilers (si l’on omet le fait que le fil rouge de l’intrigue date de 97…).

Pour les quelques élèves du fond qui liraient l’article sans rien connaître à l’univers, une petite piqûre de Mako s’impose. Final Fantasy 7 Remake proposait une histoire plutôt linéaire qui se déroulait exclusivement dans la ville de Midgar. Il s’agit d’une cité industrielle et cyberpunk. Là-bas, Cloud, un ancien Soldat souffrant quelque peu d’amnésie, rejoignait un groupe écoterroriste baptisé Avalanche, afin de se rebeller contre une organisation surexploitant l’énergie vitale de la planète : la Shinra. A cela s’ajoutait la menace du tout-puissant Sephiroth, mais aussi l’introduction d’éléments nouveaux, comme les Fileurs, incarnant les gardiens du destin, dans un remake qui s’apparentait plus à une réécriture. Le jeu vidéo se terminait par la fuite des personnages jouables (Cloud, Tifa, Barrett et Aerith), mais aussi de Red XIII, en dehors des murs de Midgar. Rebirth constituait ainsi la promesse d’un univers nouveau et surtout beaucoup plus ouvert.

Nous allons faire la comparaison entre le cheminement de Final Fantasy 7 (1997) et celui de Rebirth, afin de mettre en exergue leurs similarités, les approfondissements ou les éléments inédits imaginés par Square Enix. A l’image de Rebirth, l’article ne sera pas tout à fait linéaire puisque je profiterai de certains chapitres appropriés pour glisser des parenthèses sur des points essentiels à aborder. Final Fantasy 7 Rebirth est constitué de 14 chapitres narratifs, bien que sa durée de vie soit largement gonflée par l’exploration permise au fil des différentes régions. J’ai moi-même passé plus de 100 heures sur le titre, sans pour autant être parvenue à le platiner. Le dénouement de Rebirth correspond à la fin du premier disque du jeu original. (Celui-ci contenait trois disques, mais le dernier ne comportait que la conclusion). Vous l’aurez compris, le jeu de 2024 est extrêmement généreux, mais n’est-ce pas au risque de se perdre en chemin ?

Dans le jeu original, après avoir quitté Midgar, Cloud et son équipe allaient faire une halte dans la ville la plus proche : Kalm. Le protagoniste en profitait pour évoquer son passé, et plus particulièrement le moment où il a vu Sephiroth basculer dans la folie. C’est au cours d’une mission à Nibelheim que Sephiroth réalisa qu’il était le fruit d’une expérience faite à partir des gènes d’une créature ancestrale baptisée Jénova. L’homme aux cheveux d’argent se vengea sur Nibelheim et ses habitants. Il en résultat la mort du père de la jeune Tifa, mais aussi la cinématique cultissime dans laquelle Sephiroth se tourne vers Cloud, au milieu de flammes dansantes. Ce flash-back correspond au prologue de Rebirth, où il est étiré, mais où le manque de fiabilité d’un narrateur comme Cloud se confirme.

Après cette introduction, Cloud et ses amis devaient trouver un moyen de traverser un marécage défendu par un serpent géant : Midgardsormr. Il s’agissait d’une phase d’exploration relativement courte dans le jeu original, qui constitue pourtant l’intégralité du chapitre 2. Dans le premier Remake, j’avais régulièrement le sentiment que le beurre était étalé sur une tartine trop grande. Ce n’est pas le cas dans Rebirth, probablement grâce au sentiment de liberté conféré par le monde ouvert. Pour tout dire, les graphismes sont tellement beaux et il y a tant de choses à faire, qu’il devient difficile de lâcher la manette. Pour leur plus grand bonheur (ou malheur), les joueurs et joueuses retrouveront Chadley, un garçon artificiel introduit dans le Remake. Il permet de faire le point sur les différents rapports d’exploration à compléter. Si on garde l’exemple de la Prairie, qui constitue la première région explorable, il est préférable de commencer par attraper un Chocobo avant de déverrouiller les différentes Tours de transmission, permettant d’éclaircir les points d’intérêt de la map. Ce système d’exploration a été assez décrié dans la mesure où il devient usé et usant, pour ne pas dire archaïque. Je pourrais aisément me faire l’avocate du diable, en affirmant que Rebirth fait de toute façon tout pour nous rendre nostalgiques ; mais ne nous leurrons pas… Square Enix a beau nous offrir des panoramas magnifiques, ils se sont montrés au mieux, retardataires, et au pire, paresseux, concernant les mécaniques d’exploration. En ce sens, je pense que les quêtes secondaires – heureusement peu nombreuses – sont indéfendables. Elles n’ont strictement aucun intérêt, tant en terme de narration que de gameplay. Certaines sont même pénibles ou ennuyantes. Sérieusement, Cloud a pour mission de traquer Sephiroth et de sauver la planète, et il perd du temps en partant à la recherche d’un chat nommé Bouboule ?! Heureusement, les joueurs et joueuses auront à boire et à manger au cours de l’exploration. Les régions sont très diversifiées, ce qui nécessite le dressage de chocobos aux couleurs et surtout aux aptitudes différentes, qu’il s’agisse d’escalader ou de planer. Parmi de nombreux collectibles, Cloud recherche notamment des protoreliques, déblocables en terminant des mini-jeux variant en fonction des régions. Certains sont plus sympathiques que d’autres, mais ils sont généralement marquants car ils permettent de rendre hommage à différents pans de la saga Final Fantasy. Ainsi, le mini-jeu accessible grâce au plateau de Fort Condor fait apparaître les héros en polygones, tels qu’ils étaient représentés en 1997. Un autre mini-jeu met en valeur des créatures emblématiques de la franchise : les Pampas. On peut aussi rencontrer des Mogs au sein de villages cachés, bien que leur apparence ait mystérieusement changé par rapport à d’habitude. Quoiqu’il en soit, j’adore les références faites à d’autres opus de la franchise, comme des passages où Cloud se retrouve transformé en grenouille ou en Mog, pas seulement au sein d’un combat, mais aussi pour les besoins d’un mini-jeu ou au cours d’une cinématique. Pour en revenir aux protoreliques, elles permettent – à terme – d’affronter un boss secret : Gilgamesh. Ce personnage inspiré de la mythologie mésopotamienne est récurrent dans la franchise. Il retrouve son caractère fantasque et décalé propre aux premiers jeux de la saga. Non seulement Rebirth rend hommage à Final Fantasy 7, mais aussi à la franchise entière.

Mais revenons à la chronologie, si vous le voulez bien. Le chapitre 3 de Rebirth correspond à une longue traversée de mine, qui devait constituer un donjon beaucoup plus bref dans le jeu initial. Comme ce sera le cas à de nombreuses reprises dans l’histoire, l’équipe de Cloud y croisera la route des Turks, engagés par Rufus Shinra. C’est le moment de pointer du doigt un défaut de Rebirth. Le jeu original présentait lui aussi un monde ouvert. Les joueurs et joueuses étaient orientés de manière intelligente et subtile vers la suite de l’histoire, en débloquant une monture ou en lisant certaines lignes de dialogues. Or, il semble mal vu de réfléchir trop longtemps dans les jeux vidéo, en 2024. Rebirth se sert donc de mécaniques beaucoup plus grossières pour expliquer où se rendre. Si les rêves intégrant Sephiroth sont – à mon regret – toujours omniprésents, le monde est littéralement envahi de Manteaux Noirs déambulant comme des zombies. Et bien sûr, il faut les suivre aveuglément, car ils montrent le chemin ! Je suis un peu de mauvaise foi car Rebirth s’efforce de proposer des explications, mais on peut difficilement nier combien l’intrigue est parfois cousue de fils blancs.

C’est au cours du Chapitre 4 que l’on commence à constater des modifications intéressantes. Nous ne pouvons alors incarner que Cloud, Tifa, Aerith, Barrett et Red XIII. Dans le premier jeu, la jeune ninja Yuffie était un personnage jouable secret et optionnel, que l’on débloquait en explorant une petite forêt. La voleuse de matérias devenant un personnage obligatoire, il fallait trouver un moyen de l’intégrer plus naturellement au scénario. Ainsi, elle prend la place de la petite fille que Cloud sauve d’un monstre marin, en arrivant dans la ville sous Junon. Ce changement passé, le chapitre 4 de Rebirth s’avère tout à fait fidèle à la séquence de Junon, dans Final Fantasy 7. Aussi étonnant que cela puisse sembler, Cloud utilise toujours Monsieur Dauphin pour sauter et gagner les hauteurs de la ville. Les héros y dérobent des uniformes de Soldats pour s’infiltrer dans la Fanfare organisée en l’honneur de Rufus Shinra. Tout est fidèle, si ce n’est que l’intrigue, les personnages et le gameplay sont mieux développés. On notera aussi le retour d’un antagoniste introduit par le premier remake : Rochey.

Cloud et ses amis devaient ensuite traverser l’océan. Dans le premier jeu, ils infiltraient un bateau trop rouillé pour être véritablement accueillant. Cet environnement était presque inquiétant, notamment grâce à la caméra fixe. La traversée n’était d’ailleurs pas de tout repos puisque Cloud finissait par découvrir des corps à bord, avant d’être frappé par une vision de Sephiroth et de devoir affronter une incarnation de Jénova. Je ne dirais pas que cela m’a gênée, mais la modernisation de ce passage, dans le Chapitre 5 de Rebirth, le rend fortement édulcoré. Le navire rouillé devient littéralement un bateau de croisière, où Cloud pousse le vice jusqu’à participer à un concours de cartes. Cela soit dit en passant, le Queen’s Blood est un mini-jeu non seulement très réussi mais aussi addictif. Bref, je me suis bien amusée. J’avais l’impression d’être en vacances. Je dirais même que j’ai passé un très agréable moment. Mais avec le recul, je réalise que Rebirth nous donne trop l’impression d’être à Disneyland, alors que le premier jeu était plus austère et grave. Certes, il intégrait déjà des mini-jeux, mais ça n’avait rien de comparable à la quantité astronomique de ceux présents dans Rebirth. C’est bien simple, les mini-jeux remplacent les quêtes secondaires, si bien que beaucoup sont obligatoires pour avancer dans l’intrigue.

La ville où le bateau débarque, dans la chapitre 6 : Costa del Sol, en est un parfait exemple. Dans le jeu initial, Cloud croisait le déjanté professeur Hojo sur la plage, où il faisait bronzette. C’est ainsi que l’on comprenait qu’il fallait prendre la direction de l’ouest. Dans Rebirth, il faut réussir une quantité non négligeable de mini-jeux pour seulement accéder à la plage en question. Les protagonistes croisent ainsi la route de Johnny (un personnage du Remake) et prennent le temps de débloquer des maillots de bain, avant de poursuivre l’aventure. De manière générale, je n’exagère pas en affirmant que les mini-jeux, certes très variés, sont omniprésents. Je n’ai pas détesté cela, bien au contraire, car la plupart étaient diablement plus intéressants que les quêtes annexes traditionnelles. A vrai dire, la sensation de se trouver dans un parc d’attraction géant (même en dehors des cloisons du Gold Saucer) rend le jeu addictif. On peut même y percevoir un hommage à l’insouciance des années 90. Ceci étant dit, il ne faut pas réfléchir longtemps pour comprendre que cette vision des années 90 est purement fantasmée par la nostalgie. Le jeu original avait dans l’ensemble une ambiance bien plus poisseuse et oppressante.

Dans le chapitre 7 de Rebirth, Cloud et ses amis explorent un nouveau réacteur, alors qu’ils se dirigent vers Corel, la ville désertique dont est originaire Barrett. Sans surprise, Rebirth approfondira le passé de Barrett, sans pour autant trahir le matériau original. C’est avec un plaisir non dissimulé que l’on voit le personnage gagner en gravité.

Mais il est temps d’évoquer l’un des lieux les plus emblématiques et attendus de l’univers : le Gold Saucer, auquel nous avons accès au cours du huitième chapitre. Les événements sont une fois encore assez similaires dans les deux jeux. Les héros profitent du parc d’attraction avant que Barrett n’y soit accusé de meurtres. C’est ainsi qu’ils sont envoyés dans la prison de Corel. A partir de là, Barrett devra régler ses comptes avec Dayne (le second homme ayant une arme greffée à la place du bras) et Cloud devra commencer à participer à des courses de chocobos. C’est aussi le moment où l’équipe intègre un nouveau personnage : Cait Sith. Il s’agit d’un chat liseur de bonne aventure. Il a pour monture un robot ayant l’apparence d’une peluche de grand Mog. Enfin, Palmer, un directeur de la Shinra (n’apparaissant que plus tard, dans le jeu original) ; est déjà intégré dans le Gold Saucer.

Dans le premier Final Fantasy 7, les personnages vont ensuite explorer un réacteur qui se situe dans la région de Gongaga. Ils visitent un village où Aerith rencontre les parents de son ancien et premier amour : Zack Fair. Zack est… un personnage important certes, mais normalement plutôt invisible. Or, il a fortement gagné en popularité grâce à l’univers étendu de Final Fantasy 7. Au lieu de rester une ombre planant sur Cloud, Zack devient très présent. Cela se traduit par des phases entière où l’on peut l’incarner, entre différents chapitres, ; mais aussi par sa présence sur la jaquette du jeu. En deux mots, Zack souffre du syndrome de Sephiroth, dans le remake. A mon sens, ces personnages sont devenus légendaires grâce à leur part de mystère. Or, le remake sacrifie leur figure d’arlésienne au profit du sensationnel et du fan-service. Certes, cela peut s’expliquer par le fait que la trilogie est plus une réécriture qu’autre chose. Rebirth et son prédécesseur apportent après-tout un sous-texte inédit, où l’on se demande s’il est possible de changer le destin. C’est une question très pertinente car cela ajoute du suspense à une histoire que l’on connaît depuis 1997. Il est naturel de vouloir explorer des timelines alternatives. Au demeurant, je ne peux m’empêcher de penser que Zack et Sephiroth souffrent de leur popularité. Pour en revenir au Chapitre 9, celui-ci propose un autre passage inédit, où Tifa manque de mourir et mène une expérience mystique dans la rivière de la vie. C’est un passage très joli, mais qui contribue à rendre l’histoire encore plus dense qu’elle ne l’était déjà. Je ne suis personnellement pas perturbée par toutes ces bizarreries qui n’arrivent pas à la cheville de l’univers de Kingdom Hearts, mais cela peut sans doute rendre le scénario encore moins lisible. Pour finir, une autre rencontre se déroule plus tôt que prévue : celle de Cid. Le pilote permet de se déplacer plus loin, ou de débloquer certains points de voyage rapide. Les fans du personnage seront néanmoins déçus car il n’est pas encore jouable.

Dans Final Fantasy 7, l’équipe prenait alors la route de Cosmo Canyon, où a grandi Red XIII, qui s’appelle en vérité Nanaki. Celui-ci y retrouve son grand-père, une vieillard déambulant sur une boule de voyance, et étudiant la planétologie. Cette séquence du jeu original est elle aussi cultissime puisque nous en apprenons davantage sur le péril qui menace la planète, tandis que Cloud et ses amis contemplent une carte holographique de l’univers. Ce n’est pas tout, car Nanaki apprend que son père s’est sacrifié pour combattre la tribu des Gi. En découvrant le corps pétrifié de son père, Seto, au sommet d’un rocher ; Red XIII hurle à la lune, dans une séquence d’anthologie qui arrache des larmes non seulement à celui ayant été réduit en statue de pierre, mais aussi aux joueurs et joueuses. Ce passage est – sans surprise – développé dans le dixième chapitre de Rebirth. Nous sommes amenés à explorer l’endroit où sont reclus les spectres de Gi, dans une séquence certainement inspirée de la mythologie grecque.

En 1997, Cloud retournait ensuite dans son village natal : Nibelheim. Le manoir Shinra qui s’y trouve est un lieu emblématique, ayant des faux airs du Manoir Spencer, dans Resident Evil. Autant dire qu’il est ancien, lugubre et inquiétant. C’est, de fait, l’endroit rêvé pour y rencontrer Vincent, un personnage mystérieux dormant dans un cercueil, tel un vampire. Comme Yuffie, Vincent était un personnage secret et optionnel du jeu original. Dans Rebirth, Vincent rejoint l’équipe d’office, même s’il n’est pas encore jouable. Je regrette que les sous-sols du manoir ressemblent à des laboratoires futuristes et de haute technologique. Même si c’est raccord avec l’ère du temps, où les expérimentations du professeur Hojo, c’est un peu moins charismatique et inquiétant ; sans compter que Vincent détonne vraiment avec le reste de l’environnement. La plus-value qu’on appréciera, c’est le combat inédit contre le vampire, qui montre par ailleurs un visage autrement plus menaçant. Maintenant que nous avons rencontré le dernier personnage de l’équipe, il me faut souligner combien celle-ci est bien gérée dans Rebirth. Pour rappel, sept membres sont jouables : Cloud, Tifa, Aerith, Barrett, Yuffie, Cait Sith et Red XIII. Malgré ce chiffre important et la possibilité de ne combattre qu’à trois (comme dans le jeu original) ; Rebirth ne néglige aucun de ses protagonistes. Bien que le remake laisse de grandes libertés, il impose des passages où l’équipe ne peut être modifiée. Cela nous amène à jouer avec tous les personnages et à tester des combinaisons différentes. C’est essentiel pour se familiariser avec leurs compétences ainsi que les mécaniques de gameplay. Les combats sont en temps réel, certes, mais les personnages doivent remplir une jauge ATB pour lancer un sort ou déclencher une compétence. On peut contrôler un membre de l’équipe ou un autre, et tous peuvent apprendre et déclencher des techniques synchronisées. On peut équiper bon nombre d’armes et de matérias aux personnages. Chaque matéria confère la maîtrise d’un sort, d’un avantage ou d’une compétence. Certaines permettent même d’invoquer des Espers, comme Shiva ou Ifrit. D’autres techniques s’assimilent en complétant un sphérier ressemblant, à s’y méprendre, à celui de Final Fantasy 10. Au-delà du gameplay de combat, les personnages ont aussi des compétences différentes, aux moments (ponctuels) de les incarner sur la map. Par exemple, Red XIII peut grimper sur les parois des murs et Yuffie peut utiliser son grappin. Pour en revenir au chapitre 11, tandis que l’équipe de Cloud se dirige vers le Mont Nibel, l’équipe de Cait Sith tâche d’infiltrer le manoir Shinra. On réalise alors que la peluche de grand Mog peut déplacer des charges lourdes. J’ai beaucoup aimé le fait que chaque membre de l’équipe ait son instant de gloire, au cours du scénario. Non seulement cela diversifie le gameplay, mais ceci les rend tous plus attachants les uns que les autres. A ce propos, ils volent pratiquement la vedette à Cloud, que d’aucuns décriraient comme un protagoniste peu captivant. Personnellement, j’apprécie son côté taciturne et tout simplement brisé. Sephiroth le décrit lui-même comme un pantin, et au fond, n’est-ce pas ce qu’il est ? En digne héritier des héros de J-RPG, Cloud a été pensé comme un avatar assez impersonnel pour que les joueurs et joueuses puissent en interpréter les pensées. D’une certaine façon, il s’en sort mieux qu’un héros de Dragon Quest, qui n’est même pas vraiment doué de parole. D’un autre côté, cela le rend en effet moins approfondi que d’autres protagonistes iconiques du jeu vidéo.

Je n’aurais jamais cru écrire cela un jour, mais tout un passage du jeu original disparaît de Rebirth. Il s’agit de l’épisode de la vieille fusée, se trouvant près de Nibelheim. Cloud y rencontrait initialement Cid, un pilote frustré à l’idée de ne pas s’être rendu dans l’Espace. Celui-ci traitait son assistante, Shera, de façon rude, pour ne pas dire sexiste. C’est peut-être pour cela que la jeune femme disparaît totalement de Rebirth. Ainsi, l’équipe intégrait Cid et affrontait Palmer, (précédemment évoqué), afin de dérober un nouveau véhicule. L’épisode ayant été supprimé, les détails importants ont été intégrés à d’autres moments de Rebirth.

Maintenant que l’équipe a appris qu’il lui faut une pierre-clé pour accéder au Temple des Anciens, où se trouve une dangereuse matéria noire ; elle a besoin de retourner voir Dio, le directeur du Gold Saucer. Le chapitre 12 propose donc un retour dans le célèbre parc d’attraction, qui reprend le fil rouge de l’intrigue originale, avec quelques modifications à l’appui. Cloud doit maintenant se battre contre une vieille connaissance, le méprisable Don Cornéo, dans l’arène du Gold Saucer, pour que Dio consente à lui donner la pierre-clé. On retrouve la pièce de théâtre du jeu original, bien que les personnages la regardent avec un casque virtuel. Le spectacle débute désormais par une chanson interprétée par Aerith, ce qui rend peut-être hommage à la performance de Terra, dans l’opéra de Final Fantasy 6. La soirée fait aussi l’objet d’un rendez-vous galant, dans la Grande Roue du Gold Saucer. Comme en 97, Cloud peut obtenir ce rendez-vous avec un personnage différent, (y compris Barrett !) selon les affinités développées avec les membres de l’équipe. Je me suis personnellement retrouvée en tête-à-tête avec Aerith (même si j’aurais préféré Barrett) ! Pour clouer le spectacle, Cait Sith révèle être un espion en dérobant la pierre-clé et en s’enfuyant, trahissant ainsi le groupe…

Le chapitre 13 est lui aussi très fidèle à l’histoire originale, tout en la sublimant. L’équipe atteint un point de non-retour en se rendant dans le nord, au Temple des Anciens. C’est un donjon très particulier car l’équipe de Cloud doit jouer avec la gravité, pour explorer le Temple sous tous les angles. Aerith est séparée de l’ancien Soldat et mène sa propre équipe. Nous pouvons donc l’incarner. Son héritage de Cétra est mis à l’honneur puisqu’elle peu utiliser l’énergie présente dans le Temple pour inverser le temps et réparer une partie des ruines, ce qui permet de progresser dans le dédale. Les épreuves finales sont plus psychologiques, car chaque personnage revit un souvenir éprouvant. On retrouve par ailleurs des combats de boss, notamment contre un ennemi classique de la licence : le mur démoniaque. Comme dans le jeu original, Cloud finit par perdre l’esprit et, manipulé par Sephiroth, il lui livre la matéria noire trouvée dans le Temple, au prix du sacrifice de Cait Sith. En effet, le félin n’hésite pas à utiliser son Mog pour tenter de ralentir l’effondrement du Temple, pendant que ses anciens alliés s’enfuient. Cait Sith accède à la rédemption, dans une scène tout aussi émouvante que le sacrifice des jumeaux, dans Final Fantasy 4. Cette séquence est mieux mise en scène qu’en 97, pas seulement à cause de la qualité des graphismes, mais aussi parce qu’elle adopte un ton plus grave et que le suspense y est mieux mené. Mais fort heureusement, Cait Sith est un jouet ayant des corps de rechange !

Le premier disque de Final Fantasy 7, sur PlayStation, se terminait à l’autel des prières, où s’est réfugiée Aerith. En 1997, Cloud retrouve sa bien-aimée trop tard. Sephiroth semble tomber du ciel et plonge son katana dans le cœur de la jeune femme. La cinématique où Cloud dépose le corps de sa bien-aimée dans la rivière de la vie, est l’un des moments les plus cultes et touchants de l’histoire du jeu vidéo. Or… Aussi étonnant que cela puisse sembler, cette cinématique n’apparaît pas dans Rebirth. On pourrait crier au scandale, mais je trouve le final de la version 2024, extrêmement intelligent. Quand Aerith est séparée du reste du groupe, nous savons toutes et tous comment cela va finir. Le jeu laisse pourtant planer le suspense en ajoutant des passages oniriques, mais on reste à peu près certain(e)s du dénouement. Pourtant, lorsque Cloud se démène contre les Fileurs, lesquels tentent de protéger le cours du destin ; on se surprend à se demander si Rebirth va rester fidèle à l’histoire originale ou la contredire. Cette fois-ci, Cloud arrivera-t-il à temps pour sauver la femme qu’il aime ? La mise en scène de Rebirth est très maligne car elle nous met le doute et joue avec nos nerfs. J’en étais au point où je ne savais plus ce que je voulais. Une part de moi crierait au scandale si Aerith sortait indemne de cette scène ; après tout, si le meurtre d’Aerith a tant marqué l’histoire du jeu vidéo, c’est parce qu’il était choquant et irrévocable. Une autre partie de moi s’était attachée au personnage et ne voulait pas la voir mourir de nouveau. Rebirth pousse le vice jusqu’à ne pas montrer directement le blessure d’Aerith. Ce n’est qu’au bout de quelques secondes que le sang commence à s’échapper de la plaie. Par ailleurs, après le combat contre le boss final ; Cloud ne fait pas ce que nous attendions. Il ne dépose pas le corps d’Aerith dans la rivière de la vie. C’est assez frustrant, néanmoins, j’aime la fin choisie par Rebirth. L’équipe de Cloud quitte l’autel des prières, visiblement prête à reprendre le voyage, à la poursuite de Sephiroth. D’ailleurs, l’un des personnages chantonne discrètement les premières notes du thème principal de Final Fantasy 1, ce qui m’a presque émue aux larmes. Tous nos héros semblent abattus à l’exception de Cloud. Pourquoi ? Parce que celui-ci a encore l’impression qu’Aerith est auprès d’eux. Cloud souffre de problèmes de lucidité et n’est pas un narrateur fiable. Il n’est pas impossible qu’il soit dans le déni vis-à-vis de la mort d’Aerith, au point d’avoir oublié le moment où il dépose le corps dans l’eau. Il me semble fort probable qu’Aerith devienne un fantôme protecteur dans le dernier épisode de la trilogie, et que la fameuse cinématique n’apparaisse que plus tard, quand Cloud sera prêt à accepter la douloureuse vérité.

Somme toute, Rebirth est fidèle au jeu original. Et même très fidèle. En dehors d’un passage occulté, et ce de manière intelligente, il adapte les différents arcs de l’histoire, en parvenant à les développer ou à les sublimer. Je regrette que l’univers semble plus édulcoré que dans le jeu de base, ou que Sephiroth et Zack soient à ce point présents ; mais j’ai vécu une aventure à la fois rythmée et excellente. Malgré son esprit bon-enfant, gorgé de mini-jeux, Final Fantasy 7 Rebirth manie les moments d’émotions avec une main de maître. Il y parvient car chaque personnage de l’équipe est développé et terriblement attachant. Il me faut aussi souligner la qualité de la bande-originale ; Rebirth rend même hommage à certains thèmes musicaux, en proposant de les interpréter dans un mini-jeu de piano. Les graphismes ne sont pas en reste. En dehors de quelques arrières plans ou de changements brutaux d’éclairage à certains endroits, le jeu est un véritable délice pour la rétine. Cela ne rend l’open-world que plus attrayant, en dépit de ses défauts. Non seulement Rebirth m’a réconciliée avec l’univers de Final Fantasy 7, mais il me donne terriblement envie de découvrir le futur et dernier épisode de la trilogie. Rebirth a évité certains écueils de son prédécesseur, et si sa suite continue ainsi à se bonifier, l’ensemble pourrait peut-être bien atteindre le rang de chef-d’œuvre.

INDIKA | Quand le jeu vidéo dénonce et dérange

Je n’avais jamais incarné une nonne dans un jeu vidéo. Force est de constater que ça ne m’attirait pas particulièrement. Pourtant, je fus rapidement intriguée, puis conquise, par les aperçus d’INDIKA, ou les échos que je pouvais en avoir, certains allant même qualifier l’expérience aussi troublante que celle proposée par Hellblade. Pour celles et ceux qui l’ignoreraient, INDIKA est un jeu indépendant russe sorti le 2 mai 2024. Est-il aussi troublant et unique que le prétend sa réputation ? C’est ce que nous allons découvrir ensemble. Rassurez-vous, si vous n’avez pas encore eu la… foi de l’essayer, cet article ne contiendra que très peu de spoilers.

INDIKA est une nonne vivant dans un monastère qui se situe dans une Russie alternative, à la fin du dix-neuvième siècle. Si aucune religieuse n’y semble particulièrement guillerette, INDIKA est particulièrement rudoyée en ces lieux. Dès l’introduction, les théories se bousculent dans notre esprit. La jeune femme a-t-elle commis quelque chose d’irréparable, par le passé ? Sa réputation est-elle due à la voix-off qui envahit chaque scène, comme si INDIKA entendait elle-même des voix ? Est-elle possédée par le Diable ? Souffre-t-elle de schizophrénie ? On se rendra vite compte que la voix intérieure – et masculine – d’INDIKA commente chaque fait et geste de son voyage, avec beaucoup d’ironie. Cela m’a d’ailleurs rappelé, à certains égards, le marionnettiste dans le fort sympathique A Juggler’s Tale. La nonne semble bel et bien livrer un combat interne contre le mal. Ce dilemme moral sera d’autant plus mis à l’épreuve lorsqu’elle sera invitée à sortir du couvent, afin de livrer une lettre dans un monastère. Or, sa route croisera celle d’un fugitif appelé Ilyia, qui l’entraînera vers d’autres péripéties. Pour finir, notons que la narration linéaire est entrecoupée d’analepses, permettant d’explorer le passé d’INDIKA, en… pixel art.

Il est inconcevable de parler d’INDIKA sans mentionner l’histoire du petit studio russe à l’origine du projet : Odd Meter. N’en déplaise à certain(e)s, un véritable enjeu politique se cache derrière cette expérience vidéoludique. En février 2022, au début de la guerre en Ukraine, dix des quatorze développeurs ont décidé de quitter la Russie. En effet, d’après rtbf, le fondateur d’Odd Meter, Dmitry Svetlow ne se sentait plus en sécurité après avoir imaginé un jeu satirique vis-à-vis de l’église orthodoxe russe, et de ce fait, du gouvernement et de ses décisions : « L’église orthodoxe russe est l’une des armes de la propagande russe. Depuis l’église, ils disent aux gens : ‘Vous devriez aller en Ukraine et les tuer, mourir pour votre pays », explique-t-il avec indignation, avant d’ajouter : « Après mes déclarations, il vaut mieux ne pas revenir. » Vous l’aurez compris, ce n’est pas parce qu’INDIKA permet d’incarner une nonne qu’il fait l’apologie de la religion, bien au contraire. Passer à travers la dimension satirique et la dénonciation politique du jeu serait un sacré contre-sens. Ce serait d’autant plus dommage que les développeurs et développeuses d’Odd Meter ont fait preuve de courage, en concevant une œuvre au sous-texte si contemporain, et qui aurait très bien pu ne jamais voir le jour.

J’ai mentionné, plus tôt, la présence de séquences en pixel art, rendant hommage à différentes mécaniques de gameplay traditionnelles dans le rétrogaming. Il nous faut effectivement saluer INDIKA pour sa direction artistique si atypique. Le jeu dispose d’une ambiance très cinématographique et particulière ; d’autant plus paradoxale que les graphismes réalistes sont régulièrement ponctués de thèmes musicaux appartenant au genre de l’électro, en écho aux phases en pixel art. La jeu est constitué de décisions de mise en scène et de paysages tout autant paradoxaux. Si la première partie de l’aventure se déroule dans des espaces ouverts, enneigés et de fait, blancs ; les chapitres suivants entraînent INDIKA et Ilyia dans des endroits plus sombres et renfermés. Je pense notamment à l’usine de poissons, où tout paraît d’ailleurs si gigantesque que les personnages semblent presque aussi minuscules que ceux de Little Nightmares. Le titre est à la fois beau, comme en témoignent ses effets de lumière jonglant entre le clair et l’obscur, et perturbant. Je pense notamment au chien sauvage qui traque INDIKA et Ilyia à travers le moulin. Son chara design est tel qu’on en vient à se demander s’il est réel ou s’il s’agit d’une créature chimérique et démoniaque. L’animal, d’abord menaçant, devient étrangement ridicule quand on en vient à bout. La mise en scène rend délibérément certaines scènes absurdes ou dérangeantes, par le biais des visions d’INDIKA ou simplement de choix de cadrage volontairement douteux. Tout cela, mis bout à bout, rend l’expérience d’autant plus troublante et surréaliste. Cet étrange mélange est pourtant moins étonnant quand on apprend, grâce à GamerGen, qu’Odd Meter s’est inspiré de réalisateurs comme Yorgos Lanthimos (Pauvres créatures), Ari Aster (Midsommar) ou Darren Aronofsky (The Whale) pour imaginer l’ambiance d’INDIKA.

Naturellement, cette direction artistique convient aux thématiques et aux dimensions satiriques d‘INDIKA. La nonne elle-même est tiraillée entre le bien et le mal, tout en se demandant si le monde est vraiment si manichéen, voire métaphysique que cela. Comme mentionné plus haut, INDIKA est une œuvre délicieusement satirique vis-à-vis de l’église orthodoxe, ce qui implique des dialogues philosophiques finement écrits, nommément entre les deux protagonistes. C’est au final à travers des détails faussement insignifiants que le jeu est le plus dénonciateur. INDIKA possède tout un système de points, lui aussi emprunté au rétrogaming. Les pièces accumulées incarnent visiblement la foi ou la vertu d’INDIKA, et se gagnent en allumant des cierges ou en trouvant des artefacts religieux, dissimulés ici et là. Les écrans de chargement nous mettent très tôt en garde avec la phrase suivante : « Ne perds pas ton temps à collecter des points, ils ne valent rien. » En dépit de cette réplique provocatrice, je me suis naturellement entêtée à engranger des pièces de vertu, peut-être dans l’espoir que cela finisse par avoir un impact sur le scénario. Mais il n’en est rien. (Cela ne permet même pas de débloquer des trophées). On finit même par perdre tous ces points, puis par en regagner plus encore, de façon tout à fait discutable. Je trouve cela extrêmement fort, pour deux raisons. Non seulement cette mécanique de jeu confirme qu’il ne servait à rien de se montrer vertueuse, puisqu’INDIKA sera amenée à prendre des décisions ou à commettre des actes relativement discutables, par la force des choses. Mais cela nous ridiculise aussi en tant que joueurs et joueuses, qui avons été tellement gavé(e)s de collectibles et de récompenses, jusqu’à présent, que nous gardons le réflexe de collecter ceux-ci, en dépit des mises en garde et de tout bon sens. Ainsi, notre foi de gameur est elle aussi questionnée. Cette remise en question était annoncée dès le début du jeu, au sein du monastère, où INDIKA est contrainte de remplir un bidon entier, en allant chercher de l’eau dans le puits. Cela nécessite de remplir plusieurs seaux et de faire des allers-retours pénibles. Or, la nonne supérieure finit par renverser l’eau récoltée par INDIKA sur le sol. Cela annonce le message presque nihiliste du jeu tout en dénonçant, par la même occasion, la vanité des quêtes Fedex, que nous persistons à faire, malgré toutes les plaintes que l’on peut émettre à leur sujet. INDIKA est assurément un jeu intelligent et très intéressant. Malgré tout, je regrette qu’il ne se montre pas plus subversif encore, en osant des provocations moins timides ou en rendant les éléments les plus perturbants de son contenu, plus présents. Sans mauvais jeu de mots, le jeu pèche par cela, mais aussi par plusieurs faiblesses techniques.

On peut qualifier INDIKA d’aventure linéaire à la troisième personne, essentiellement constituée de phases de plate-formes et d’énigmes. Les puzzles sont variés et certains poussent à réfléchir un moment, avant de pouvoir progresser. Bien que certaines énigmes paraissent un peu grosses en terme de cohérence, on ne peut donc que saluer le jeu pour l’originalité de ses puzzles. La mécanique de gameplay la plus intéressante et pertinente à la fois consiste à voir le monde se déchirer, lorsque la voix démoniaque prend le dessus. Le level design devient alors écarlate et chaotique, tout en ouvrant – paradoxalement – de nouveaux chemins. INDIKA doit prier pour retrouver la sérénité et le décor, tel qu’il était auparavant. Il faudra donc alterner entre deux dimensions du même environnement et deux états d’esprit, très différents, pour avancer. Malheureusement, cette mécanique est utilisée très peu de fois. D’autres passages s’avéreront moins passionnants, comme des séquences entières où INDIKA se contente de suivre Ilyia à travers quelques dédales, le tout étant heureusement secouru par des dialogues captivants. Par ailleurs, bien que les personnages soient réussis, je n’ai pas jugé les décors particulièrement bluffants. J’ai même trouvé le jeu assez faible techniquement, à cause de saccades, d’écrans noirs ou de temps de chargement, dont je n’ai décidément plus l’habitude, sur PlayStation 5. Enfin, bien que cela ne me gêne pas personnellement, attendez-vous à une aventure qui n’excédera pas 4h. INDIKA est une expérience qui mérite d’être connue et d’être testée, mais elle est – selon moi – trop timide et pas assez aboutie, pour véritablement marquer le microcosme du jeu vidéo.

INDIKA permet d’incarner une nonne, qui fait littéralement face à ses démons. Le titre mérite d’être connu, d’autant plus lorsqu’on a conscience du contexte dans lequel il a été développé par le studio russe Odd Meter. La direction artistique d’INDIKA est à la fois intéressante et perturbante. Si le jeu s’avère aussi satirique qu’il le désirait, j’aurais toutefois aimé qu’il soit moins timide et plus subversif. De plus, en dépit de quelques puzzles et mécaniques de gameplay bien trouvés, le jeu demeure faible, sur certains aspects techniques. INDIKA m’a moins marquée que je l’espérais. Il propose toutefois une aventure aussi bien enrichissante que ludique. Je le conseillerais donc sans réserve, à toutes celles et tous ceux qui souhaiteraient expérimenter une œuvre peu ordinaire.

The Gardens Between | Des casse-têtes tout en douceur

The Gardens Between est un jeu indépendant australien, développé par The Voxel Agents et sorti en 2018. Ce puzzle game met en scène l’amitié des jeunes Arina et Frendt, deux voisins qui se rejoignent dans leur cabane haut perchée, afin de se remémorer les bons moments passés ensemble. Or, le ciel est traversé par un éclair, qui bouleverse la boussole du temps. Cet événement les amène à explorer plusieurs archipels, symbolisant leurs nombreux souvenirs communs. Les différentes îles, tantôt pleines de couleurs, tantôt plus sombres, sont gorgées de références propres à l’imaginaire et à l’enfance, de celle abritant un jeu ressemblant – à s’y méprendre – à Mario, à celle servant de refuge à un squelette entier de dinosaure. The Gardens Between est la promesse d’un voyage à la fois doux et onirique.

La représentation des îles fait penser, à s’y méprendre, à des casse-têtes sophistiqués qu’il faut tourner dans tous les sens, pour comprendre la démarche à suivre. Certaines sont esthétiques ou proposent un level design sympathique. Cependant, The Gardens Between sort de l’ordinaire par le biais de son gameplay, qui ne permet pas de contrôler directement les deux protagonistes, mais ni plus ni moins le flux du temps. Ainsi, il est possible de le faire aller en arrière, en avant et – à la rigueur – d’interagir avec certains objets. D’ailleurs, les deux personnages ne peuvent pas réaliser les mêmes actions. Je dois bien admettre que, au début, j’ai redouté que le gameplay se révèle trop simple et répétitif. Contre toute attente, les mécaniques de jeu parviennent à proposer des énigmes assez variées, durant les quelques heures de durée de vie. Je suis loin d’être une grande adepte du puzzle game en général, mais The Gardens Between est tout à fait abordable, en dehors de deux ou trois passages s’étant avérés plus retors. Ce qui est appréciable, c’est que le jeu exploite les capacités du temps de toutes les façons possibles, à travers les huit archipels à traverser.

The Gardens Between est – dans l’ensemble – un jeu chill et apaisant. Il m’a, à certains égards, rappelé d’autres jeux indépendants que j’ai eu l’occasion de terminer par le passé. Je pense tout d’abord à Brothers : A tale of two sons (2013), où deux personnages doivent aussi s’aider l’un, l’autre, afin de pouvoir avancer. En revanche, les deux frères sont directement contrôlés par le même joueur et certains passages demandent bien plus de dextérité. Je pense aussi, moins directement, à My Brother Rabbit, un autre puzzle game sorti en 2018. Il s’agit d’un point and click traditionnel, qui nous transporte dans le monde onirique de l’enfance, abritant pourtant une réalité plus triste. Enfin, The Gardens Between peut être mis en relation avec Arise : A simple story (2019). Ce jeu ne permet pas seulement d’incarner un vieillard en deuil mais aussi les éléments temporels autour de lui, un peu de la même façon que le temps, dans The Gardens Between. Il s’agit d’une histoire très poignante et poétique, dotée de niveaux variés.

Somme toute, The Gardens Between est un jeu sympathique, ayant le mérite de proposer une atmosphère et un gameplay originaux, mais loin d’être inédits. Il n’entrera pas dans le panthéon de mes jeux indépendants favoris, mais il a le mérite de nous occuper quelques heures et de nous permettre de glaner un trophée Platine aisé. Par-dessus tout, il me sert de passerelle pour vous rappeler l’existence d’autres jeux indépendants valant le détour.

Héros ou vilain ? Quand le jeu vidéo brouille les pistes…

Dans l’univers du jeu vidéo, un phénomène m’interpelle et me captive, depuis quelques années. Les frontières se brouillent de plus en plus entre le protagoniste et l’antagoniste, ce qui met fin à tout manichéisme. Le temps est loin où le gentil se devait simplement d’affronter les adversaires. Pour rappel, le protagoniste est un personnage permettant de faire avancer l’intrigue. Au contraire, l’antagoniste pose des obstacles, bloquant le dénouement. Bien sûr, tout n’est affaire que de point de vue, dans certains jeux vidéo, depuis longtemps. Prenons en exemple un jeu de combat, comme Tekken, dont le premier opus est sorti sur PlayStation en 1994. Fort naturellement, selon le personnage que l’on incarne, l’ennemi à abattre ne sera pas le même. Au demeurant, ma pensée se tourne vers des jeux plus narratifs, dans lesquels ce changement de perspective a un réel impact sur l’histoire et sur le gameplay. Si vous y avez joué, vous allez certainement tout de suite penser à The Last of Us Part II, paru en 2020. Il est vrai que ce titre est assez révolutionnaire à ce niveau, et a marqué un tournant dans l’histoire du jeu vidéo. S’il n’est pas le dernier à brouiller les pistes entre protagoniste et antagoniste, il n’est pourtant pas le premier non plus. Je vais aborder dix jeux qui effleurent cette question, sous des angles différents. Il s’agit bien sûr d’un choix personnel et non exhaustif. Si vous n’avez pas fait certains de ces jeux, vous pouvez tout simplement sauter le paragraphe qui leur est consacré, pour éviter des spoilers.

Star Wars KOTOR est un jeu de rôle développé par BioWare et sorti initialement sur PC en 2003. L’histoire se déroule quatre millénaires avant le règne de l’Empire Galactique. En ces temps reculés, de nombreux Jedi affrontent les Sith, alors innombrables. Le plus célèbre et le plus craint d’entre eux est un dénommé Dark Revan, récemment trahi par son apprenti, Dark Malak. Vous vous réveillez dans la peau d’un personnage masculin ou féminin, que vous aurez pu personnaliser. Malgré votre amnésie, vous deviendrez un Jedi talentueux, avant de parcourir la galaxie, à bord de votre propre vaisseau. Vous explorerez bien des planètes, tant pour régler leurs problèmes internes, que pour trouver des indices sur le plan fomenté par les Sith. KOTOR est un jeu de rôle à l’ancienne, doté de combats au tour par tour et où vos décisions peuvent changer le cours des événements. Non seulement vous pouvez apprendre à mieux connaître les membres de votre équipe, mais vous pouvez aussi basculer du côté lumineux ou obscur de la Force. Or, à un point culminant du jeu, vous apprenez que l’ennemi juré des Jedi, Dark Revan, n’est pas mort. Il s’agit de vous-même, avant que votre apprenti ne vous trahisse et que les Jedi choisissent de remanier votre esprit. Je me souviens encore du choc que j’ai éprouvé en assistant à cette révélation pour la première fois. Il s’agit de l’un des meilleurs twists de l’histoire du jeu vidéo. Ainsi, j’incarnais le « méchant » depuis le début. Et pourtant, le jeu ne s’arrête pas là. J’ai alors encore le choix entre rester du côté des Jedi, ou, au contraire, embrasser pleinement le côté obscur afin de me venger. KOTOR dispose ainsi de plusieurs fins, et j’ai toujours exploré celle du côté obscur, tant elle est déchirante. En décidant de redevenir Dark Revan, vous êtes en effet amené(e) à tuer plusieurs de vos amis. Il s’agit de personnages qui vous ont accompagné(e) tout au long de l’aventure, que vous avez aussi incarnés et entraînés. Le jeu, par sa narration et son gameplay, nous contraint à faire des choix qui nous impliquent émotionnellement et qui nous forcent à agir, nous frappant en plein cœur. Un grand jeu.

>L’article complet sur le jeu<

Kingdom Hearts II est un action-RPG développé par Square Enix et sorti sur PlayStation 2 en 2005. Il s’agit de la suite des aventures de Sora, un garçon qui explore les différents univers Disney, en rencontrant parfois des personnages de la franchise Final Fantasy. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, en lançant le deuxième opus, je n’incarnais plus Sora, mais Roxas. La franchise m’avait projetée dans la peau d’un nouveau protagoniste, sans me prévenir. Roxas est un garçon aux cheveux dorés, portant une veste blanche avec des motifs de damier. Il vit dans la Cité du Crépuscule et profite des derniers jours des vacances d’été, en compagnie de ses amis. Or, d’étranges phénomènes se déroulent dans la ville, les amenant à enquêter. Roxas finit alors par apprendre qu’il n’existe pas vraiment. Il n’est que le Simili de Sora, un reflet ayant pris forme lorsque le porteur de la Keyblade est momentanément devenu un Sans-cœur, à la fin du premier jeu. Cette révélation est déchirante pour Roxas, comme pour les joueurs. En effet, la fin des vacances ne rime pas seulement avec la rentrée des classes. Tout n’était qu’illusion dans cette Cité et Roxas est bel et bien au crépuscule de sa vie. Il lui faut s’endormir pour toujours afin de laisser sa place à Sora. Suite à cette introduction riche en émotions, nous incarnons de nouveau Sora, accompagné de Donald et Dingo. Nous continuons à explorer des mondes Disney, pourchassés par la lugubre Organisation XIII. Mais, à la fin du jeu, dans son palais mental ; Sora doit affronter un adversaire auquel il ne s’attendait pas. Il est encapuchonné de noir et il porte deux Keyblades. C’est un adversaire particulièrement difficile à vaincre, au sein d’un combat de boss mémorable. Il s’agit bien sûr de Roxas.

Heavy Rain est un thriller interactif développé par Quantic Dream et sorti sur PlayStation 3 en 2010. Vous êtes amené(e)s à incarner quatre personnages, enquêtant, à leur manière, sur un tueur en série. Le tueur aux origamis s’en prend aux jeunes garçons, que l’on retrouve noyés cinq jours après leur enlèvement. Après la disparition de Shaun Mars, son père Ethan décide de tout faire pour le récupérer. C’est aussi le cas de la journaliste Madison Paige, du profiler du FBI Norman Jayden et du détective privé Scott Shelby. Il s’agit d’une expérience très narrative et cinématographique. Malgré quelques mécaniques de gameplay, le jeu se repose essentiellement sur les choix que vous allez être amené(e)s à faire. Il est délicat de parler du dénouement de Heavy Rain dans la mesure où il existe plusieurs fins possibles. Ce qui est certain, c’est que l’on finit par apprendre que le tueur en série que nous recherchions n’est autre que Scott Shelby. Ainsi, nous l’incarnions sans nous douter de rien. Nous étions l’ennemi mortel du jeu, depuis le départ. Les différents personnages que nous contrôlons sont amenés à s’affronter les uns les autres, et cela peut devenir mortel. C’est une expérience assez unique et intéressante, que l’on ne peut retrouver que dans ce genre de jeux narratifs. J’aurais aussi pu parler de Detroit : Become Human (2018). Mais je trouve Heavy Rain beaucoup plus fort, pour ce sujet, tant il a su me duper.

On aborde un autre jeu narratif, développé par Telltale Games, cette fois-ci. Initialement sorti en 2013, il s’agit de la suite des aventures de Clémentine, une jeune fille qui essaie de survivre dans un monde infesté de rôdeurs. Ce jeu a la particularité d’être composé de cinq épisodes. Comme son genre vidéoludique l’exige, malgré quelques mécaniques de gameplay, le jeu se focalise avant tout sur les dialogues et les choix qui vont impacter la suite des événements, ainsi que la fin. Cette série Telltale est réputée pour être particulièrement prenante et émouvante. Dans la première saison, nous incarnions Lee, qui devenait un père de substitution pour la jeune Clémentine. Dans la deuxième saison, Clémentine a bien grandi et se débrouille par ses propres moyens. Elle n’est malgré tout qu’une adolescente qui sera amenée à hésiter entre l’influence de deux mentors : une survivante aguerrie nommée Jane ou bien un homme que Clémentine connaît depuis la première saison, Kenny. Bien que nous n’ayons jamais incarné directement ce personnage, il est de notre côté depuis le début, nous pourrions donc être incité(e)s à nous tourner vers lui. Or, Kenny perd de plus en plus la raison, au point de devenir dangereux même pour ceux et celles qu’il aime. Au cours du dernier épisode, une dispute virulente concernant AJ, le bébé qu’ils ont pris sous leur aile, amène Jane et Kenny à se battre. Dans la peau de Clémentine, vous pouvez alors choisir de laisser mourir Jane, de tuer Kenny, ou encore de vous retrouver seule avec le bébé. C’est un choix très déchirant car les adversaires finaux sont des personnages que l’on a appris à suivre et à aimer au cours des épisodes, voire des saisons précédentes. De mon côté, je n’ai jamais pu me résoudre à abandonner Kenny.

>L’article complet sur le jeu<

A Way Out est un jeu d’aventure et de coopération, développé par Hazelight Studios. Ce jeu imaginé par Josef Fares est sorti en 2018. Il est très particulier dans la mesure où vous être forcé(e) d’y jouer avec un(e) ami(e), en local ou en ligne. En effet, chaque joueur est amené à incarner l’un des deux protagonistes : Leo Caruso, le sanguin, ou Vincent Moretti, le plus réfléchi. Il s’agit de deux prisonniers qui tentent de s’évader de prison. Le jeu est très cinématographique, tant au niveau de sa mise en scène que de ses références au septième art. Les mécaniques de gameplay évoluent aussi beaucoup. Ce qui rend le jeu si unique, c’est le lien d’amitié voire de fraternité qui naît entre Leo et Vincent. Cette relation est renforcée par le fait que vous jouiez – a priori – avec quelqu’un que vous appréciez-vous même. Vous devrez faire preuve de beaucoup de solidarité et de coopération pour venir à bout de l’histoire du jeu. Malheureusement, après une cavale pleine de péripéties, Leo apprend que Vincent était un policier infiltré. Il est difficile de ne pas se sentir trahi(e) par ce frère d’arme, qui devient tout à coup un ennemi. Lors du dénouement, les deux hommes sont amenés à s’entre-tuer, dans une scène rendant hommage au film Heat (1995). Alors qu’on avait l’habitude de coopérer avec son ami(e), cette personne devient tout à coup notre adversaire. C’est très déstabilisant et forcément émouvant. La narration et le gameplay brouillent plus que jamais la frontière entre protagonistes et antagonistes, et ce avec une grande virtuosité.

>L’article complet sur le jeu<

Death Stranding est un jeu développé par Kojima Productions et sorti sur PlayStation 4 en 2019. Le titre est réputé pour son univers très spécial et ses graphismes réalistes, accomplis par la capture de mouvements, à partir de plusieurs acteurs et actrices de renom. Il est difficile de décrire l’intrigue de Death Stranding. On se contentera de dire que Sam Porter (Norman Reedus) arpente un monde post-apocalyptique, en essayant d’échapper aux défis environnementaux et aux échoués, afin de créer de nouvelles connexions entre les différents individus d’une humanité déchue et recluse. Il porte un BB, condamné à ne pas naître, dans une capsule, afin de mieux détecter les esprits. Le jeu se plaît à détourner les codes et propose ainsi différentes phases de gameplay. Certaines s’apparentent à un TPS car Sam est engouffré dans des failles spatio-temporelles qui lui font revivre certaines grandes guerres. Là-bas, il affronte systématiquement Cliff Unger (Mads Mikkelsen), un soldat obsédé par l’idée de lui dérober son BB. Somme toute, Cliff est un ennemi récurrent, mystérieux et emblématique du jeu. Il met de sérieux bâtons dans les roues de Sam. Mais ce qui est étrange, c’est que le protagoniste rêve de lui dès qu’il se connecte au BB. A la fin du jeu, l’on se rend compte que Cliff ne cherchait pas le bon enfant. Il s’agit en fait d’un esprit du passé, hanté par l’idée de retrouver son fils, sans se douter qu’il a bien grandi. Cliff est en réalité le père de Sam lui-même. Outre le fait qu’il s’agit d’un excellent twist, il est très émouvant de découvrir le lien unissant les deux hommes. Cliff est plus un être trahi et maudit qu’un réel antagoniste. D’ailleurs, quand Sam est sur le point de perdre son BB, un ultime retour dans le passé lui dévoile comment Cliff était parvenu à sauver son propre fils. Cela donne la solution à Sam pour délivrer le BB de sa capsule. Ainsi, alors qu’il était un antagoniste qui nous empêchait d’avancer, Cliff Unger permet tout à coup de dénouer le nœud de l’intrigue, de façon heureuse. Ce retournement de situation a davantage lieu par des cinématiques que par de nouveaux éléments de gameplay, mais il s’agit de l’un de mes personnages favoris des jeux vidéo.

>L’article complet sur le jeu<

Faut-il présenter The Last of Us Part II ? Il s’agit d’un survival horror, développé par Naughty Dog et sorti sur PlayStation 4 en juin 2020. Il s’agit de la suite des aventures de Joël et Ellie, tentant de survivre dans un monde post-apocalyptique, envahi d’infectés. Bien que l’introduction permette d’incarner Joël, nous sommes désormais amené(e)s à jouer Ellie, qui est devenue une femme redoutable. Après la perte de son mentor, pour ne pas dire père adoptif, Ellie décide de pourchasser, sans relâche, celle qui l’a tué. Il s’agit d’une certaine Abby. La première moitié du jeu permet ainsi d’incarner Ellie, qui parcourt le monde, afin d’obtenir sa vengeance. Le rythme du jeu en a surpris plus d’un car, en plein milieu de l’histoire, et lors d’un événement plein de tension, l’intrigue s’arrête brutalement. Elle revient alors en arrière, nous permettant tout à coup de jouer l’histoire parallèle, du point de vue de Abby. Nous changeons brutalement de protagoniste, au point d’incarner un personnage qui a commis l’irrémédiable, en s’en prenant à Joël, le héros du premier opus. The Last of Us Part II commet un tour de force en nous faisant découvrir les motivations d’Abby, en nous forçant à la jouer et, de fait, à ressentir de l’empathie pour elle. Cela nous enseigne combien ce genre de conflits est peu manichéen. A la fin de l’arc d’Abby, le boss final n’est autre qu’Ellie… Elle passe de protagoniste à antagoniste, tant en terme de narration que de gameplay. Il s’agit d’un combat éprouvant, où Ellie se cache et tend des pièges. Ses tactiques ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles du terrible David. Face à une telle situation, nous sommes tiraillé(e)s. Quel que soit le personnage qui gagne, nous sommes perdant(e)s. Mais Abby décide de laisser la vie sauve à Ellie. Cet acte ne suffit pas à apaiser la colère d’Ellie, qui revient la traquer, lors d’un acte final. L’ultime combat du jeu permet d’incarner Ellie, contre Abby. Les deux femmes sont éprouvées moralement et physiquement et, contre toute attente, Ellie laisse à son tour partir Abby. Ce jeu nous apprend à nous mettre à la place de l’ennemi, et que la vengeance est un cercle vicieux. Abby est, elle aussi, l’un de mes personnages favoris.

>L’article complet sur le jeu<

Ghost of Tsushima est un jeu développé par Sucker Punch et sorti en juillet 2020, sur PlayStation 4. C’est un jeu d’action et d’infiltration se déroulant dans un monde ouvert, et plus précisément dans le Japon féodal, au XIIIe siècle. Jin Sakai est un samouraï tentant de défendre son île, face à l’invasion des Mongols. Or, pour sauver son territoire, il lui faudra laisser de côté l’honneur des samouraïs afin de développer ses propres techniques, et devenir le fantôme de Tsushima. A la fin du jeu, malgré la victoire de Jin, le Shogun n’a pas apprécié ses méthodes et décide de le condamner à mort. Or, l’exécutant choisi n’est autre que l’oncle de Jin, le seigneur Shimura. Nous devons affronter, au cours d’un duel, un membre de la famille, un mentor. Après avoir vaincu son oncle, Jin a le choix de l’achever, afin de respecter le code d’honneur des samouraïs, ou de l’épargner, ce qui ferait définitivement de lui un paria et un fantôme. Ce dilemme moral est particulièrement percutant.

>L’article complet sur le jeu<

Little Nightmares II est un jeu d’horreur et de plate-forme développé par Tarsier Studios, en 2021. Malgré son titre, on devine que cet opus se déroule avant le premier Little Nightmares. Nous n’incarnons plus Six, mais Mono, un garçon dont le visage est toujours dissimulé. Au cours des différents chapitres du jeu, nous aiderons Six à traverser une ville bien hostile, où des monstres cannibales et gargantuesques se montrent menaçants. Le jeu est réputé pour son univers à la fois oppressant, envoûtant et cryptique. Nous avons de l’affection pour Six, que nous avons incarnée dans le premier jeu et avec laquelle nous avons collaboré, dans ce titre. Il nous est même arrivé de la sauver et de la défendre car elle semble, parfois, encore plus vulnérable que nous. Or, comme Little Nightmares I le laissait présager, Six est un personnage gris et difficile à cerner. Il s’agit justement du boss final de Little Nightmares II, dans une conclusion mémorable, où elle prend à son tour une forme géante et monstrueuse. C’est un antagoniste d’exception, mais nous arriverons une fois encore à la sauver, grâce à une boîte à musique. Or, quand les deux enfants essaient de s’échapper de la Tour où ils étaient enfermés, Six décide d’abandonner Mono, en le laissant tomber dans un gouffre. On découvre alors que, en grandissant, Mono devient l’Homme Filiforme, un autre ennemi majeur du jeu. Six l’a-t-elle trahie par mesquinerie ou parce qu’elle savait qu’il représentait un danger ? Qui est l’antagoniste et qui est le protagoniste ? Une fois encore, les frontières sont brouillées. Pour l’un, comme pour l’autre, nous avons incarné des monstres en devenir, sans nous en rendre compte.

>L’article complet sur le jeu<

Spider-Man 2 est un jeu d’aventure développé par Insomniac Games et sorti sur PlayStation 5 en octobre 2023. Il s’agit ni plus ni moins de la suite des aventures de l’homme araignée, qui explore New-York avec ses toiles, afin de lutter contre le crime. Cette fois-ci, nous n’incarnons pas seulement Peter Parker, mais également Miles Morales, qui possède des pouvoirs légèrement différents. Les deux Spider-Men devront faire face à plusieurs menaces, à commencer par Kraven le Chasseur, puis le Symbiote Venom. Spider-Man 2 m’a très agréablement surprise grâce à sa mise en scène spectaculaire et son histoire passionnante. Sans surprise, Peter se laisse infecter par le symbiote qui prend progressivement possession de lui. Son costume devient alors noir et organique. Lors d’un combat contre Kraven, Peter doit bloquer la cloche de l’arène car le bruit lui est insupportable. Il prend le dessus et tente de tuer le Chasseur, mais Miles intervient et l’en empêche. Alors, un nouveau combat a lieu, dans la même arène. Cependant, nous incarnons Miles face à Peter. Et la cloche n’est plus un obstacle de l’environnement, mais une alliée. Comme si ce duel n’était pas suffisamment impressionnant, le jeu va beaucoup plus loin pour brouiller les pistes entre protagonistes et antagonistes. On apprend ainsi que c’est Harry Osborn, le meilleur ami de Peter, qui va se transformer en Venom. Le jeu permet même de contrôler cet ennemi majeur, lors d’une séquence d’anthologie. Venom pousse le vice jusqu’à contaminer MJ, la petite amie de Peter, qui se transforme à son tour en Scream. Le combat est alors tout aussi titanesque et riche émotionnellement. L’écriture de Spider-Man 2 est brillante. Le symbiote n’a jamais été aussi bien exploité car il démontre la part de noirceur qui sommeille en chacun de nous.

>L’article complet sur le jeu<

J’ai terminé le tour de ces dix jeux qui brouillent les pistes entre protagonistes et antagonistes, que ça soit par le biais de la narration ou du gameplay. En plus de rompre toute notion de manichéisme, je trouve ce mécanisme très efficace pour impacter directement les joueurs et joueuses. Une fois la surprise passée, nous sommes confronté(e)s à nos émotions et à nos responsabilités. Ce mécanisme, bien maîtrisé, peut rendre certains jeux et certains personnages particulièrement marquants. Il n’est pas rare que cela soit lié à des choix narratifs, dans des titres proposant plusieurs fins, mais ce n’est pas toujours le cas. Certains jeux savent très bien où ils veulent nous mener, à la fois pour notre plus grand malheur, et notre plus grande fascination. Si The Last of Us Part II a marqué un tournant dans cette rupture du manichéisme, il n’est pas le premier titre s’évertuant à déstabiliser les joueurs et joueuses. Peut-être a-t-il lancé un effet de mode. Dernièrement, alors que je ne m’y attendais pas, Spider-Man 2 est aussi allé très loin dans ce cheminement. Comme je le disais plus tôt, il ne s’agit que d’une liste non exhaustive. Aussi, si vous avez d’autres jeux à suggérer, n’hésitez pas à le faire !

Assassin’s Creed Mirage | Reculer pour mieux sauter

Assassin’s Creed Mirage, le dernier né d’Ubisoft, est sorti au mois d’octobre 2023. Il s’agit du 13e opus canonique d’une saga à laquelle je n’ai pas joué en totalité, mais dont j’apprécie les différentes itérations. Dernièrement, les Assassins étaient projetés dans de vastes mondes ouverts, dont les mécaniques de gameplay empruntaient tout aux RPG. Si ces épisodes ont du charme à leur façon, ils ont été beaucoup décriés à cause de l’énormité de leur carte, pas forcément jonchée de contenu intéressant. Assassins’s Creed Mirage promettait un contenu plus restreint, se rapprochant des jeux originels. Nous étions donc toutes et tous curieux de vérifier où aboutirait ce retour aux sources.

L’intrigue se situe cette fois-ci à Bagdad, en Irak, au début du 9e siècle. Les joueuses et joueurs incarnent Basim, un simple voleur qui rejoint la Confrérie des Assassins. Il sera alors formé afin de mettre fin à la corruption qui s’étend depuis le cœur de la Ville ronde de Bagdad. Fait plus ou moins étonnant : les phases de gameplay se situant hors de l’Animus ont bel et bien disparu de la saga. Pour rappel, L’Animus est une technologie permettant de projeter la conscience d’une personne au sein d’un personnage historique, afin de découvrir son histoire, grâce à une simulation du passé ultra-réaliste. Bien sûr, cela ne peut fonctionner que si l’utilisateur de l’Animus possède un ADN commun avec le personnage dans lequel il va se réincarner. Les mentions à cette partie d’Assassin’s Creed sont très discrètes, si l’on excepte la fin, mais je dois admettre que ce n’est pas pour me déranger. Ainsi, le rythme du jeu n’est plus inutilement haché, et cela rend l’identité de Basim d’autant plus intrigante. En effet, celui-ci est hanté par des cauchemars oppressants, dans lesquels ils est pourchassé par un Djinn. Ce que j’ignorais aussi, mais qui n’est pas anodin, c’est que Basim apparaît également dans le précédent volet : Assassin’s Creed Valhalla, ayant pour contexte la mythologie viking, à peu près à la même époque.

Mais la révolution d’Assassin’s Creed réside dans son gameplay. Certes, révolution n’est pas le terme adéquat dans la mesure où la saga fait un réel retour aux sources. Mirage n’est pas un RPG se déroulant dans un vaste monde ouvert. A l’instar des jeux précurseurs, il se contente de nous faire explorer Bagdad et ses alentours. Or, la ville est très bien structurée et le dosage de son contenu bien équilibré. Assassin’s Creed Mirage n’invente rien, mais il le fait bien. Le jeu est très circulaire, ce qui le rend à la fois original et agréable. Je m’explique. L’interface elle-même des quêtes ne ressemble pas à une liste verticale de tâches, mais à des missions présentées sous forme de cercles, se reliant progressivement les uns aux autres. Non seulement cela permet de poursuivre la quête principale avec une grande liberté, mais cela accentue l’immersion, car nous avons l’impression que Basim remonte jusqu’au milieu de la toile de l’araignée, au fur à mesure qu’il découvre des indices durant son enquête. Ce qui est circulaire également, c’est Bagdad elle-même. La ville se démarque du désert par des remparts rondes, et semble composée de plusieurs cercles. Au fur et à mesure que l’intrigue se dénoue, les joueuses et joueurs sont naturellement amenés à se rapprocher du cœur de la Ville ronde, où se situe le Palais du Calife. Ainsi, il est normal que la population paraisse moins pauvre et la sécurité plus renforcée tandis que l’on s’enfonce dans la cité. Le jeu est bref (il m’a fallu moins de 30h pour le terminer, mais je l’ai platiné et j’ai largement pris mon temps), cependant il est bien pensé, ce qui rend la progression et l’exploration fort plaisantes.

Bien entendu, on y retrouve tous les éléments de gameplay habituels. Basim est un expert en Parkour, capable d’escalader presque toutes les surfaces et de se déplacer très rapidement dans la ville ; bien qu’il soit pratique d’utiliser une monture, surtout lorsqu’on se rend dans le désert. La ville de Bagdad foisonne de choses à faire, qu’il s’agisse de détrousser des passants, de monter au sommet de certains bâtiments pour éclaircir la map ou de chercher des collectibles. Ubisoft semble avoir pris en compte certaines critiques car les collectibles en question sont moins nombreux que d’habitude, bien que la quantité ne soit pas négligeable. Le plus frappant, c’est qu’il n’est pas toujours question de se rendre bêtement sur un point de la carte pour récolter un objet. Par exemple, certains coffres nécessitent de se creuser la tête quelques instants pour comprendre comment les obtenir. Cela semble anodin mais nous sommes tellement guidés et peu amenés à réfléchir, dans les jeux vidéo, de nos jours, que ça fait du bien. D’autres collectibles sont liés à des quêtes secondaires, ce qui renforce l’illusion de leur utilité. Mais attention, Ubisoft restant fidèles à eux-mêmes, la quête des livres cachés est buguée, ce qui peut rendre laborieuse l’obtention des trophées « érudit » et « explorateur ». Enfin, pour faciliter le tout, Basim peut compter sur son aigle, Enkidou, pour repérer les gardes ou les points stratégiques de la map.

La plupart des missions consistent à s’infiltrer dans un lieu afin de quérir des informations, sauver un prisonnier ou tuer quelqu’un. Il n’y a aucune prouesse en terme d’écriture mais les quêtes ne se répètent guère et certaines s’avèrent même sympathiques. Il est par exemple plaisant de voir Basim emprunter un déguisement de malade, ou d’eunuque, selon les endroits où il souhaite s’infiltrer. Ceci étant dit, ayant la patience et la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, l’infiltration ne dure jamais bien longtemps avec moi. Basim n’est pas très résistant au corps à corps, mais il possède toute une artillerie de gadgets rendant les combats tout de même ludiques. Outre les quêtes principales, le jeu dispose de quêtes annexes (nommées contrats) déjà plus redondantes, mais nécessaires si l’on souhaite débloquer toutes les compétences. J’ai trouvé les Récits de Bagdad mieux scénarisés et intéressants, puisqu’ils nous amènent à rencontrer différents individus, ayant besoin de services un peu plus diversifiés. Somme toute, cet Assassin’s Creed revient radicalement en arrière. Même au niveau des graphismes, je ne trouve pas qu’il soit à la hauteur des facultés de la PS5. Je n’ai pas compris pourquoi Basim a 20 ans, alors qu’il a l’air d’en avoir 40. Le jeu est bien sûr sauvé par une direction artistique des plus charmantes, qui, combinée à l’exploration bien dosée, rend Bagdad très attrayante.

Pour conclure, il me semble important de revenir sur la fin du jeu. De fait, ce paragraphe contient des spoilers (sur Mirage et God of War). Après avoir mis fin à la menace de ses ennemis, Basim retourne là où il a été formé, non seulement parce que l’école est prise d’assaut, mais aussi parce qu’il souhaite explorer le Temple, afin d’en apprendre plus sur ses cauchemars et sa propre identité. Son mentor, une meurtrière aguerrie du nom de Roshan, tente vainement de l’en empêcher. Basim n’en fait qu’à sa tête et s’y rend, en compagnie de sa vieille amie, Nehal. Là-bas, le héros découvre un étrange sarcophage ainsi qu’une vérité dérangeante : Nehal n’était que le fruit de son imagination. Quand il sort du Temple, Basim n’est plus le même car Enkidou préfère le griffer plutôt que de lui apporter son soutien. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une allusion très subtile à l’Animus. Ainsi, Nehal serait la descendante de Basim, restée bloquée dans la réalité virtuelle, pour une raison ou une autre. Cela expliquerait pourquoi elle n’était pas vraiment là, ainsi que leur fusion finale. Mais n’ayant pas fait le jeu précédent, il me manquait des informations cruciales. Basim est a priori un antagoniste dans Assassin’s Creed Valhalla, car il est une réincarnation du Dieu de la malice Loki. Le sarcophage du Temple, lui, est un appareil des Isus. Il s’agit de la première civilisation de la mythologie du jeu, dont la haute technologie a inspiré les travaux d’Abstergo Industries, les créateurs de l’Animus. Nehal n’est donc pas une descendante de Basim mais bel et bien la part refoulée de sa personnalité : en d’autres termes, Loki. Je trouve intéressant qu’un personnage masculin et l’autre, féminin, fusionnent ; car Loki est après tout un changeur de peau. A la fin du jeu, Basim n’est plus l’allié ni de Roshan, ni d’Enkidou, puisque la personnalité de Loki a repris le contrôle, après avoir été étouffée pendant bien longtemps, à cause du châtiment d’Odin. Pour mieux appréhender tout cela, il faut bien sûr avoir quelques connaissances de la mythologie nordique. Loki décide ainsi de repartir dans les pays nordiques. Le Djinn hantant les cauchemars de Basim, quant à lui, symboliserait l’un de ses tortionnaires. Bien qu’il m’ait fallu du temps et des recherches pour la comprendre, j’ai beaucoup aimé cette fin car elle est à la fois surprenante, subtile et efficace. Elle m’a par ailleurs beaucoup rappelé l’épilogue de God of War, où l’on apprenait que le vrai nom d’Atreus était Loki.

Somme toute, j’ai tendance à conseiller cet Assassin’s Creed Mirage. Il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre, dans la mesure où il donne l’impression de retourner plusieurs années en arrière. Je ne parle pas du fait de se retrouver à Bagdad, au neuvième siècle, mais bel et bien de la qualité de certains graphismes, ou du retour de vieilles mécaniques de gameplay. Et pourtant, la saga recule pour mieux sauter. J’ai beaucoup apprécié ce retour aux sources car la map est de taille raisonnable, ce qui réduit grandement la quantité de quêtes redondantes, et surtout celle des collectibles. J’ai aimé par-dessus tout l’aspect circulaire du jeu, qu’il s’agisse de l’interface des quêtes ou de la structure de Bagdad, laquelle s’avère plaisante à arpenter, grâce à de jolis panoramas et à une bande originale discrète, mais parfois bien efficace. Compte tenu de sa fin, Assassin’s Creed Mirage est tout à la fois une suite et un reboot de reboot de la saga, mais il est fort plaisant et promet peut-être un avenir plus glorieux pour les Assassins.

La piel que habito | Un visage peut en cacher un autre

La piel que habito est un film de Pedro Almodóvar sorti en août 2011. C’est aussi et surtout l’adaptation d’un roman de Thierry Jonquet, Mygale, sorti en 1984 et dont l’action se situait en France. Bien que le fil, non pas de l’araignée, mais bien le fil rouge, soit le même ; on peut plutôt parler d’adaptation libre. En effet, Pedro Almodóvar se permet de modifier quelques ficelles de l’intrigue, mais aussi de changer ou ajouter certains personnages secondaires. Quoiqu’il en soit, La piel que habito demeure un long-métrage aussi dérangeant que fascinant. Si je le trouve virtuose et captivant à visionner plusieurs fois, il va de soi qu’il n’est pas à placer sous tous les yeux, tant certaines scènes ou certains thèmes abordés peuvent déranger. La piel que habito est l’un de ces films qui heurtent les gens, comme je les apprécie tant. Il me serait difficile d’en faire l’analyse sans spoiler, aussi ne puis-je que vous inviter à aller découvrir le film, avant de revenir parcourir ces pages. L’une des premières affirmations du chirurgien Robert Ledgard (Antonio Banderas) est la suivante : « L’essence de notre identité, c’est le visage. » Les dés sont tout de suite jetés. Nous comprenons que le film va accorder une importance cruciale à l’apparence, au paraître, au regard que nous posons – nous spectateurs et spectatrices – sur ce qui nous sera présenté à l’écran. Si certains éléments sautent aux yeux, d’autres indices sont insidieusement cachés. Encore faut-il ne pas oublier que les choses sont parfois bien trompeuses. Un regard peut se fourvoyer. Un visage peut en cacher un autre. Et si le docteur Ledgard se méprenait ?

Des exemples de plans cadres et de regards caméras.

Le regard et le paraître ont une importance capitale dans le film d’Almodóvar. Les spectateurs ne tardent pas à comprendre que le docteur Ledgard vit dans une somptueuse villa, qui lui sert aussi de clinique. Or, une seule patiente semble y résider, ou plutôt y être enfermée : une dénommée Vera (Elena Anaya). Tout laisse croire que Robert agit comme un véritable Big Brother vis-à-vis d’elle. La chambre de Vera est solidement fermée. Il y a des grilles, partout, à commencer par les fenêtres. Non seulement Vera n’a aucune liberté, mais elle est étroitement surveillée ; comme en témoignent les nombreux téléviseurs de sécurité présents dans la maison. Où qu’il se trouve, Robert peut l’observer. Il dispose même d’un écran géant dans sa propre chambre. Mais Ledgard n’est pas le seul voyeur. Almodóvar use et abuse de regards caméras et de plans cadres pour nous faire participer, corps et âme, au voyeurisme. Ces stratagèmes contribuent à rendre l’atmosphère aussi dérangeante que fascinante, puisqu’elle flatte notre curiosité morbide. On ne se sent pourtant jamais suffoquer, car les plans sont forts esthétiques et – paradoxalement – le metteur en scène sait aussi manier l’art de la suggestion.

Robert fait de Vera l’instrument de sa vengeance.

Les regards que l’on pose sur La piel que habito sont à la fois habiles et naïfs. Chaque plan a beaucoup à nous apprendre, encore faut-il que nous ne soyons pas dupes. Un deuxième visionnage est sans doute nécessaire pour apprécier tous les indices laissés par Almodóvar, ici et là. Le long-métrage est semblable à une poupée russe. On croit avoir une vue d’ensemble de l’objet, mais une poupée en cachant une autre ; nous ne sommes pas au bout de nos surprises. La piel que habito est divisé en deux parties. La première dépeint la relation ambiguë entre le docteur Ledgard et sa patiente, Vera. On ignore s’ils s’apprécient ou s’ils se haïssent, mais Robert va comprendre combien il tient à elle, lorsqu’elle sera agressée par un intrus : Zeca (Roberto Alamo). La deuxième partie se déroule six ans avant et remet tout en perspective. On apprend ainsi que Robert a perdu sa femme, peu de temps après qu’elle ait été victime d’un accident de voiture. Quelques années après, il a aussi dû enterrer sa fille, qui ne s’est jamais remise de la tentative de viol dont elle a été victime. Or, Robert a identifié et retrouvé son violeur : un certain Vicente (Jan Cornet). Aussi froid et calculateur Ledgard soit-il, il a des circonstances atténuantes. Il est, de toute évidence, traumatisé par les suicides des deux femmes de sa vie. A sa place, que serions-nous prêts à faire subir à l’homme qui a tenté de violer notre enfant ? La piel que habito est, en ce sens, un pur film de vengeance. Or, la revanche de Robert est aussi inattendue qu’impitoyable. Elle est si folle qu’on en vient à se demander si elle est juste. Il force Vicente à subir une transition de genre, en lui faisant notamment subir des opérations non consenties. Ainsi, Vicente devient Vera.

Les lieux illustrent les pensées et obsessions des personnages.

Dès le début du film, de nombreux indices laissent présager que l’histoire gravite autour d’une féminité déstructurée. On voit que Robert donne des médicaments à Vera et que celle-ci conçoit des sculptures où les corps semblent incomplets ou désarticulés. La cellule de Vera est très révélatrice. La patiente semble rechigner à porter des tenues féminines, qu’elle déchire sans vergogne, pour se mettre à coudre. Les nombreuses inscriptions sur le mur sous-entendent que Vera se trouve dans cette pièce depuis longtemps. Certains dessins représentent une entité à deux visages, ou un corps dont la tête est une maison, et l’entrejambe un simple trou béant. La maison entière de Robert est décorée avec des objets d’art, des sculptures et surtout des peintures qui évoquent des corps décharnés et déstructurés, mais aussi une féminité omniprésente. Les mannequins aux courbes féminines, on les trouve tant sur la table d’opération de Robert que dans la boutique de vêtements de la mère de Vicente. Le corps féminin et la peau incarnent un véritable objet d’obsession, au sein du film. Le twist de La piel que habito est terriblement efficace, au premier visionnage. Un deuxième regard, plus minutieux, permet pourtant de découvrir d’innombrables indices, qui ne font que rendre l’ensemble plus harmonieux et solide. La première fois que l’on voit Vicente, dans la boutique, celui-ci se tient derrière un mannequin comme s’il s’agissait de son propre corps. Il est occupé à ajuster les vêtements féminins qu’il porte. Et ce plan n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le jeune homme est amoureux de sa collègue de travail, bien qu’elle soit lesbienne. Il veut lui offrir une robe, mais elle rétorque qu’il n’a qu’à la porter lui-même, si elle lui plaît tant. Tout était écrit à l’avance et semble, de ce fait, maîtrisé d’une main de maître. Ce n’est pas surprenant car, en dépit de son esthétisme et de ses thématiques modernes, La piel que habito s’inspire de nombreux classiques du cinéma ou de la littérature, où la science et la destinée ont une place prépondérante.

On peut considérer La piel que habito comme une réécriture très libre et moderne de Frankenstein.

A mes yeux, La piel que habito ne parle pas d’une femme transgenre, puisque la transition de Vicente est forcée. On peut davantage considérer cette histoire comme une réécriture de Frankenstein ou le Prométhée moderne, un roman de Mary Shelley paru en 1818. Si Robert souhaitait d’abord se venger, il utilise ensuite Vera à des fins scientifiques. Toujours obsédé par la mort de sa femme, il désire créer une peau indestructible, qui résisterait aux piqûres d’insectes mais aussi aux grandes brûlures. Or, il entend utiliser des gênes de cochon pour cela, et cette transgenèse n’est pas éthique. Il parviendra toutefois à ses fins en multipliant les expériences sur Vera, en secret. En ce sens, Robert Ledgard a tout d’un savant fou et prêt à tout pour parvenir à ses fins. Il y arrive, d’ailleurs, ce qui ajoute au film – contrairement au roman – une part de science-fiction. Ainsi, Vera est à la fois le cobaye et la créature de Robert. « Je peux estimer que je suis terminée », lui demande-t-elle, dans l’espoir de retrouver sa liberté. Mais Vera deviendra plus la fiancée de Frankenstein, que le monstre originel lui-même.

A gauche, le masque des Yeux sans visage (1960). A droite, Robert, incarné par Antonio Banderas.

La piel que habito multiplie les références, de façon volontaire ou non. Si certaines sont confirmées par le réalisateur, d’autres ne sont que le fruit de mon interprétation personnelle. Ainsi, il est avéré que le masque blanc porté par Vera rend hommage à celui du long-métrage Les yeux sans visage, réalisé par Georges Franju en 1960. Dans ce film d’horreur, un chirurgien souhaite reconstituer le visage de sa fille, après que celle-ci ait été défigurée par un accident de voiture. Il entreprend de lui greffer de la peau prélevée sur le corps d’autres jeunes filles. Les similitudes sont troublantes, bien sûr. N’oublions pas que la femme de Robert ne supporte pas de voir son reflet brûlé et défiguré, dans la vitre, ce qui l’incite à se suicider. Quant à Vera, elle commence à incarner beaucoup de figures aux yeux de Robert. Elle est sa création, un substitut de sa fille, de sa femme. Elle est à la fois l’objet de ses désirs et de ses tourments. Cette relation ambiguë, absolue et destructrice n’est pas sans me rappeler celles des protagonistes de romans gothiques. On peut notamment mentionner Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, dans lequel le prête Frollo ne voit plus Esmeralda comme une simple bohémienne, mais comme un fantasme féminin absolu, qu’il adore et déteste à la fois. Si ce rapprochement n’est fait que par moi seule, c’est pour mettre en exergue certains archétypes de personnages et surtout certaines formes de relations. Anecdote amusante, le roman de Thierry Jonquet s’appelle Mygale car il s’agit du surnom du chirurgien, dans le livre. Sa victime, initialement appelée Eve, l’imagine comme une araignée qui étend sa toile, de façon calculatrice et fatale. L’image de la toile et de l’araignée revient aussi beaucoup dans Notre-Dame de Paris pour la simple raison qu’il s’agit d’une métaphore du prédateur et de sa proie, mais aussi de la fatalité. La fatalité, c’est quand tous les indices sont présentés à l’avance mais que l’on se précipite tout de même vers un destin morbide. Ce concept, on ne le doit pas à Victor Hugo, mais carrément aux tragédies grecques de l’antiquité. Et on le retrouve naturellement dans La piel que habito. La boucle est bouclée, la toile est tissée.

Malgré sa clairvoyance, Marilia (à droite), n’empêchera pas ses fils de s’entre-tuer.

C’est probablement à travers le personnage (inédit) de Marilia (Marisa Paredes) que le concept de fatalité se traduit le plus. Bien qu’elle ait le statut de domestique, Marilia est d’une certaine façon la matriarche de la maison. Elle y voit plus clair que les autres et explique souvent des secrets passés ou ce qu’il risque d’arriver. Elle met ainsi en parallèle les fins à la fois si tragiques et si proches de la femme et de la fille de Robert, lorsqu’elle raconte tout à Vera. Robert l’ignore, mais Marilia n’est pas une simple domestique. Elle est sa mère biologique ; ce qui fait de Zeca, qu’il a abattu, son demi-frère. Ces relations cachées, découvertes lorsqu’il est trop tard et ces meurtres au sein du noyau familial sont typiques des tragédies grecques. Ce qui l’est aussi, c’est la fâcheuse tendance avec laquelle l’histoire se répète. Marilia a beau demeurer clairvoyante et mettre plusieurs fois en garde Robert contre Vera, celui-ci demeure aussi aveugle qu’Œdipe.

Vincente/Vera est un être changeant.

Comme Œdipe, Robert a toutes les cartes en mains mais persiste à ne rien voir et à se précipiter vers une fin fatale. Mais peut-on lui jeter la pierre ? Nous autres spectateurs, étions aussi voyeurs et aussi attentifs que lui, ce qui ne nous empêche pas d’être surpris et heurtés par certaines révélations du film. Il faut dire que les personnages n’hésitent pas à porter des masques et autres déguisements pour mieux nous duper. Robert lui-même porte un masque fort inquiétant lorsqu’il décide de kidnapper Vicente. On peut parler de subterfuges mais aussi de métaphores animales. Recherché par la police, Zeca est contraint de se déguiser pour rejoindre la villa où vit sa mère. Or, il est accoutré d’une tenue de tigre. Si elle semble d’abord ridicule, elle est assez révélatrice du caractère du personnage, qui se conduit comme une bête, en violant Vera. Bien que cela soit quasiment absent du film, Robert est, quant à lui, assimilé à l’araignée. Mygale est, je le rappelle, le titre du roman original. Il est bien plus patient et calculateur que son demi-frère, mais tout aussi dangereux. Vicente est, lui aussi, traité comme un animal. Après le rapt, Robert le force à se dénuder. Il l’enchaîne, le nettoie avec un jet d’eau et le force à se nourrir comme une bête. Il ne détruit pas seulement son identité d’homme, mais aussi celle d’être humain. C’est pour mieux le modeler à son image. Mais à quoi pourrait être assimilée Vera ? Quand Robert lui donne la combinaison destinée à protéger son épiderme, il lui assure que cela sera comme une « seconde peau ». Or, Vera avait d’une certaine façon déjà changé de peau. C’est une poupée russe, un animal qui mue, un caméléon ou un serpent peut-être. Robert va tout mettre en œuvre pour l’apprivoiser et la contrôler, montrant à quel point il est fou et toxique. Mais peut-on vraiment se fier à un caméléon ou un serpent ?

Robert et Vera s’aiment autant qu’ils se haïssent.

La relation entre Robert et Vera est assurément ambiguë et malsaine. Ils se sont mutuellement détruits, si bien qu’on ne sait plus qui est le bourreau et qui est la victime. Le docteur Ledgard est un homme traumatisé, qui hurlait vengeance, mais la manière dont il obtient sa revanche dépasse l’entendement. Quant à Vera, il est impossible d’oublier que, sous son ancienne apparence, elle a tenté de violer une jeune fille vulnérable. Elle sera toutefois retenue prisonnière, opérée contre son gré, violée à son tour… Elle endure de telles épreuves qu’il serait difficile de lui refuser un arc de rédemption. Pourtant, Vera est troublante. Il est difficile de savoir ce qui lui traverse l’esprit. Quand elle dit à Robert « je suis à toi », le pense-t-elle vraiment, atteinte par je ne sais quel syndrome de Stockholm, ou bien entreprend-elle un processus de manipulation ? La piel que habito est, je le rappelle, le duel entre une mygale et un serpent. Ces deux êtres étaient condamnés à se détruire mutuellement, et pourtant, on est tentés de croire qu’ils s’aiment sincèrement, à certains moments. On aurait pu s’attendre à ce que Vera décide de rester avec Robert, comme dans le roman. Cependant, Almodóvar choisit une autre fin, qui accorde effectivement la rédemption à Vera, tout en répondant à la question que l’on se posait au début de cet article. « L’essence de notre identité, c’est le visage », affirmait Robert. Et sans doute y croyait-il car, en remodelant celui de Vera, en le rendant si proche de celui de sa défunte épouse, il est tombé amoureux. Il avait même la prétention de la changer, de la faire sienne. Vera s’est sans doute perdue en chemin, à un moment, mais elle a fini par retrouver ses esprits et par assassiner Robert. La dernière scène du film apporte un point final à ce questionnement. Vera retrouve son ancienne collègue et surtout sa mère, avant d’affirmer « Je suis Vicente ». De la même manière qu’une femme transgenre à qui l’on refuse une transition aura irrémédiablement un esprit féminin ; Vicente, dont le corps a été mutilé et modifié, reste fidèle à lui-même. La fin, ouverte, laisse toutefois supposer qu’il lui faudra apprendre à vivre avec cette nouvelle apparence et ce genre imposés, afin d’essayer de retrouver le bonheur. Après tout, Vera a déjà montré qu’elle était capable de s’adapter pour survivre…

Annette | Le fol assemblage des genres

J’ai toujours trouvé l’affiche d’Annette remarquablement belle et attractive, sans jamais chercher à franchir le pas du visionnage. Or, ce film de Leos Carax, sorti en 2021, est une expérience unique. Annette est de ces films clivants qu’on ne peut que détester ou – au contraire – adorer. Le long-métrage mettant en scène Adam Driver et Marion Cotillard est quoiqu’il en soit le lauréat du Prix de la mise en scène, au festival de Cannes. Il est difficile de résumer Annette en lui rendant honneur, tant l’intrigue semble éculée. Henry (Adam Driver) est un humoriste aussi cynique qu’acclamé. Il se fiance avec Ann (Marion Cotillard), la cantatrice la plus appréciée du moment, à Los Angeles. Ils s’aiment passionnément, si bien qu’ils brûlent la chandelle par les deux bouts. L’arrivée de leur fille, Annette, ne sauvera pas leur couple, bien au contraire. Vous l’aurez compris, Annette est une satire du monde du show-business, parmi d’autres. C’est par sa forme originale, presque expérimentale, qu’il sort du lot. Le long-métrage musical commence après tout par l’intrusion du réalisateur et même du groupe Sparks (à l’origine de la bande originale), qui défoncent le quatrième mur, dans ce qui s’annonce être une vaste et étonnante mise en abyme. Nous allons donc étudier la forme d’Annette, et tenter d’en interpréter les multiples symboles et références. Comme toujours, les spoilers, plutôt situés à la fin, seront signalés.

« Je me présente, je m’appelle Henry… » M. Cotillard et A. Driver incarne Ann et Henry.

Comme je le disais plus tôt, Henry fait du stand-up. Or, ses spectacles sont particulièrement déstabilisants. D’une part, la mise en scène est telle que nous avons l’impression de faire partie du public. De l’autre, la prestation d’Adam Driver est sombre, implacable, presque inquiétante, ce qui contraste avec l’art de la comédie. Certes, Henry pratique un humour particulier, à la fois noir et cynique. A vrai dire, son spectacle est métaphoriquement plein de violence. Avant chaque numéro, Henry s’entraîne comme un boxeur, qui s’apprête à monter sur le ring. Il confie, à son public, qu’il n’utilise l’humour que pour « désarmer les gens ». Il considère même que c’est « la seule façon de dire la vérité sans se faire tuer ». Il faudra donc bel et bien se méfier de tout ce que dira Henry, même sous couvert d’humour. Si le spectacle d’Henry nous apprend qu’il peut être vindicatif et violent, il dévoile aussi que c’est un mauvais perdant, qui ne se remet jamais en question. En effet, dès que le public commence à le désapprouver, il considère que c’est leur « problème ». Henry a beau être le personnage le plus présent dans le film, c’est un sale type, qui met sciemment mal à l’aise.

Ann, incarnée par Marion Cotillard, fréquente un tout autre type de scènes. En effet, elle est chanteuse lyrique, à l’opéra. Pour l’anecdote, les acteurs chantent vraiment sur le plateau, même si la voix de Cotillard a été mixée avec celle d’une véritable cantatrice, sur les passages les plus lyriques. La soprano paraît beaucoup moins sombre et inquiétante qu’Henry. Elle semble pourtant tiraillée par une dualité. D’une part, il y a la cantatrice qui fait des envolées lyriques au théâtre ; de l’autre, il y a la femme seule qui chante de façon introspective, assise sur les toilettes. Ann est, en définitive, une artiste perdue qui ne sait pas ce qu’elle veut. D’ailleurs, qu’elle en soit consciente ou non, elle a peur de son mari Henry. Les passages d’opéra, loin d’interrompre l’histoire, servent l’intrigue et explicitent la relation entre les deux personnages. Ainsi, l’air durant lequel la cantatrice clame avoir « peur » ou se sentir « en danger » n’a rien d’anodin.

« We love each other so much… » chantaient-ils, avant de brûler la chandelle par les deux bouts.

Annette est une satire du monde du show-business. Le couple est fortement médiatisé. Combien de fois les voit-on se faire photographier ou se retrouver sur la couverture de nombreux magasines ? Les plans durant lesquels ils s’évadent sur la route sont aussi légion, signe que dans ce milieu, tout est rapide et excessif. Annette est un film hybride, tant au niveau de sa mise en scène que de sa bande originale. Si Sparks est initialement un groupe pop-rock, on retrouve de la comédie musicale traditionnelle, de l’opéra ou même un bref passage de rap, durant le spectacle d’Henry. On identifie aussi des codes empruntés au stand-up, au conte ou même au spectacle de marionnettes. Et je suis probablement loin d’avoir cité tous les ingrédients faisant partie du cocktail. Malgré ce mélange étonnant, ou le fait qu’Adam Driver ne soit pas le chanteur de l’année, on se surprend à vouloir réécouter la bande-originale, quelques temps plus tard. Certaines chansons sont même captivantes d’emblée, comme « We love each other so much ».

Je conçois que le film puisse rebuter. J’ai moi-même mis beaucoup de temps à entrer dedans, lors du premier visionnage. C’est un film grotesque et majestueux à la fois, et véritablement hypnotisant. Si je l’ai d’abord trouvé assez cryptique, un deuxième visionnage suffit à constater combien des indices et des clés de lecture sont disséminés ici et là, et ce dès le début du film. A mes yeux, Annette constitue une expérience incroyable.

Henry coupe le cordon ombilical avant de tirer les ficelles. Les bananes et le singe sont omniprésents.

Si j’apprécie autant Annette, c’est peut-être parce qu’il a tout du conte moderne. Les personnages ont une fonction précise et des noms assez simples, tout comme dans les contes. Le nom de famille de Henry est tout de même McHenry ! L’un de ses pseudonymes, sur scène, est « le gorille de Dieu ». Or, il y a plusieurs allusions à cet animal, tout au long du film. Henry a l’habitude de manger une banane avant de monter sur scène. Il arrive aussi qu’un régime de bananes soit disposé près de lui, dans le cadre. Par-dessus tout, le doudou de sa fille Annette est une peluche en forme de singe. Leos Carax n’a pas choisi cet animal au hasard. Son père possédait en effet un chimpanzé femelle qui était jaloux de sa mère. Il a lui-même adopté deux singes par la suite. Comme tous les animaux, le primate représente des valeurs ou des défauts. Comme le dit Carax lui-même : « Les singes représentent à la fois un danger, la sauvagerie — et le martyre. Je les aime beaucoup. […] Petit à petit, les singes ont envahi le film, et sont devenus comme un lien entre père et fille, sauvagerie et enfance. » Ainsi, la peluche du gorille pourrait symboliser la force tranquille, la douceur et la protection familiale dont a besoin Annette. En ce qui concerne Henry lui-même, l’animal représente plutôt la sauvagerie et les dangers qui émanent de sa personne. Henry n’est pas un bon père. Il porte une tâche discrète sur le bas de la joue droite. On ne peut plus la manquer, à la fin, tant elle a grandi. Si j’ai d’abord cru qu’il était malade ; cela peut aussi tout simplement représenter le mal qui progresse en lui. Enfin, l’un des faits les plus surprenants du film – et ce n’est pas peu dire – c’est qu’Annette est interprétée par un pantin de bois. La référence au conte Pinocchio est immanquable. Alors qu’on serait tentés de prendre Henry pour un Geppetto (certes maléfique) ; il a plutôt tout de Stromboli, le marionnettiste exploitant l’enfant de bois.

Ann est régulièrement habillée en jaune. Annette est représentée par un pantin. Enfin, la pomme, le miroir… Tout évoque Blanche-Neige.

Ann est un personnage moins manichéen et donc plus difficile à cerner. Tandis qu’Henry est associé à la banane, Ann est régulièrement filmée en train de manger une pomme rouge. Ce fruit pourrait être une référence à la Genèse, d’autant que le début de la mise en scène de « We love each other so much » fait penser au jardin d’Eden. Le couple ne reste toutefois par longtemps au paradis, et aura tôt fait de se brûler les ailes. Si on reste dans le domaine du conte, la pomme ne peut faire penser qu’au fruit empoisonné, dans Blanche-Neige. Il reste donc à se demander si Ann est la victime d’un sortilège, ou si elle empoisonne elle-même la pomme. Les deux thèses sont probablement défendables. Plus que par un animal, Ann est symbolisée par une couleur. Le jaune est très présent, tant dans le décor que dans sa garde-robe. L’utilisation des couleurs, dans ce film, est tellement belle qu’elle n’a rien d’hasardeux. Le jaune a une connotation plutôt positive, comme le bonheur ou le soleil. Mais au vu de l’ambiance générale, on peut sans doute davantage l’associer au déclin ou à la lune. Notons que le jaune est aussi la couleur de prédilection d’Annette, donc le prénom n’est d’ailleurs qu’un dérivé de celui de sa mère. Les deux personnages sont donc encore plus liés qu’on ne pourrait l’imaginer.

La naissance d’Annette, dont le prénom sert de titre, constitue un point de non-retour. L’accouchement semble lui-même être mis en scène, signe que l’enfant est promise à un avenir dans le spectacle. Il est particulièrement perturbant de voir Henry et Ann traiter un pantin (certes expressif) comme un bébé. J’ai d’abord cru qu’il ne s’agissait que d’un spectacle, intégré au film lui-même. Mais Annette est bel et bien leur fille. Cela n’empêche certes pas Henry de s’asseoir à moitié sur le pantin, sur le canapé ; ou Ann de jouer de façon trop brutale avec. Le long-métrage de Carax fait-il une plongée dans le genre du merveilleux, ou ne s’agit-il que d’une métaphore plus explicite que les autres ? Peut-on considérer Annette comme une simple extension d’Ann ? Le mystère est à son comble. Pour plus d’éléments d’analyse, il est temps de rentrer dans la partie « spoilers »

Environ un an après la naissance de leur fille, Henry raconte, lors d’un one-man-show, la prétendue mort de sa femme, Ann. Comme le public, nous sommes bien en peine de savoir s’il invente une histoire, ou s’il dit la vérité. Le décès d’Ann pourrait après tout avoir eu lieu hors-champ, comme dans les tragédies grecques, qui n’avaient pas le droit de représenter la mort sur scène. Justement, comme dans toute tragédie classique, Annette à un dénouement à la fois funeste et inévitable, et ce même si on pouvait le prédire dès le début. Henry utilise beaucoup le champ lexical de la mort dans ses dialogues. Quand il parle de ses spectateurs, il se vante de les avoir « tués » de rire. Il complimente aussi Ann en affirmant qu’elle meurt « magnifiquement sur scène ». Enfin, lui aussi prétend pouvoir « mourir » et « saluer » à l’infini. La chanson « We love each other so much » a tendance à les décrire comme un couple heureux et amoureux, au moins au début ; mais ce n’est pas le cas. Dans l’un des premiers plans de la chanson, seules les mains d’Henry apparaissent dans le cadre. Elles s’apprêtent à attraper Ann par derrière, de façon menaçante, avant qu’il ne se contente de l’enlacer. Beaucoup d’indices similaires annoncent la dangerosité d’Henry et la fin funeste d’Ann. Après le one-man-show d’Henry, l’on se rend compte qu’Ann est toujours vivante. Mais cela ne va pas durer. La famille part en vacances sur un yatch, mais le bateau est emporté par la tempête. Annette semble terrorisée, tandis que sa mère tente de la réconforter, sous le regard tranquille d’un jouet en forme de baleine. Comme dans Pinnochio, vont-elles être englouties par Monstro ? Henry ne rencontre plus le même succès qu’avant, tandis que sa femme est acclamée. Il est rongé par la frustration et la jalousie, et comme si cela ne suffisait pas, il est sans doute alcoolique. Lorsqu’Ann arrive sur le pont du bateau, il s’empresse d’entreprendre une valse avec elle, sans son consentement. Cette scène est immortalisée par l’affiche du film, dans laquelle on voit Ann, vêtue d’un ciré jaune, pendue aux bras de son époux, en tenue de marin. Cette danse n’a rien de romantique, puisqu’Ann ressemble à une poupée de chiffon, qui pend aux bras de son bourreau. Après cette valse d’une grande violence, Ann est emportée par le tourbillon des vagues. C’est plus un meurtre qu’un accident. D’ailleurs, Henry a déjà été violent avec d’autres compagnes, auparavant. Le déclin de son succès concorde avec la prise de paroles de plusieurs femmes ayant témoigné contre lui. Elles ont mis en garde la malheureuse Ann, qui ne pourra hélas jamais s’échapper. Annette critique ainsi le monde du show-business de façon très contemporaine puisque tout cela fait écho au mouvement Me too. C’est aussi une satire universelle. Le meurtre déguisé sur le yatch est sans doute inspiré de l’histoire tragique de Natalie Wood, une actrice américaine décédée en 1981. Aujourd’hui encore, nous ignorons s’il s’agissait d’un accident, ou si elle est morte suite à des violences conjugales provoquées par Robert Wagner.

« Balance ton quoi » : des femmes (dont Angèle, au milieu) dénoncent Henry… Qui essaie d’attraper Ann. Dans la cabine du bateau, la baleine apparaît à droite.

Annette s’inspire d’une réalité bien cruelle ; sans jamais oublier sa part de conte. Juste après la mort d’Ann, Henry et Annette échouent sur un rocher, depuis lequel ils n’aperçoivent que les étoiles et la lune. Annette, malgré son jeune âge, se met alors à chanter une berceuse avec une incroyable justesse. C’est en réalité l’esprit d’Ann qui lui transmet son don. On serait tentés de croire qu’Annette devient la réincarnation d’Ann, mais il s’agit plus d’une malédiction que d’un ultime présent. L’esprit vengeur d’Ann prévient en effet que la « voix » d’Annette sera son « spectre ». Ce présent n’est qu’un « poison » qui va lui permettre d’obtenir sa revanche, sur le long terme. Ann se sert donc sans vergogne de sa fille, pour parvenir à ses fins.

Henry est un sale type qui tombe bien évidemment dans le piège. A peine s’aperçoit-il que son bébé a un don pour chanter, qu’il s’empresse de vouloir l’exploiter. Pour ce faire, il engage le personnage du chef d’orchestre, incarné par Simon Helberg. Bien qu’il ait été absent de la première partie du film, l’on se rend compte qu’il a un rôle important, depuis le début. Peut-être avait-il simplement été évincé par Henry. On apprend ainsi qu’il aimait tendrement Ann, et qu’il sortait avec elle, avant qu’elle ne tombe sous le joug d’Henry. La chanson que l’on croyait attribuée à Ann et Henry « We love each other so much » a en réalité été composée par le maestro. Le chef d’orchestre est donc une victime de plus d’Henry, lequel a besoin de lui pour monter un spectacle. Le maestro n’en demeure pas moins le personnage le plus positif du film. On sent qu’il aime sincèrement Annette, et qu’il veille sur elle, face à un père démissionnaire et même cruel. D’ailleurs, s’il apprécie tellement l’enfant, c’est parce qu’elle lui fait penser à Ann et parce qu’il soupçonne d’en être le père biologique. Forcément, dès qu’Henry apprend cela ; il s’empresse de tuer le chef d’orchestre. Par noyade, lui aussi.

Annette possède plusieurs visages. A droite, le maestro est le seul à veiller sur elle.

Le gorille de dieu a fait de la vie de sa fille un enfer. Mécontent d’avoir tué sa mère, puis son père de substitution ; il l’a exploitée sur scène. Bébé Annette a fait le buzz sur internet, ce qui lui a ouvert les portes d’une tournée mondiale. Or, il ne s’agissait évidemment pas d’un rythme sain pour une enfant. Malgré son apparence de marionnette dotée d’une petite cicatrice sur le front, Annette semblait constamment épuisée et malheureuse. Dans les scènes prenant place à l’aéroport, on voyait qu’elle était posée sur les valises, et traînée comme un objet de plus. La mort du maestro donne toutefois un électrochoc à Annette qui fait comprendre à Henry qu’elle ne veut plus chanter. Celui-ci exige au moins d’elle un dernier concert. Ce sera le plus grand et le plus faramineux de tous. Annette accepte de monter (ou plutôt de s’envoler) sur scène. Mais au lieu de chanter, elle révèle au monde entier avec de simples mots d’enfant, une réalité terrible : « Papa, il tue des gens ».

L’épilogue du film a lieu en prison, où Henry est incarcéré. Son apparence s’est dégradée ; en peu de temps, il semble avoir bien vieilli et maigri. La tâche sur sa joue a grossi. Mais Annette aussi a changé. La marionnette et la peluche de gorille tombent par terre, tandis qu’une fillette en chair et en os s’assied en face d’Henry. Elle est incarnée par Devyn McDowell, qui n’a que sept ans à la sortie du film, mais dont le regard témoigne d’une grande maturité. Et pour cause, Henry a volé l’enfance et l’innocence de sa fille. Puisqu’il est prisonnier, Annette retrouve enfin sa liberté et lui dit ses quatre vérités. Avec la douceur d’une enfant mais la sévérité d’une âme blessée, elle reproche à ses parents de l’avoir exploitée : « j’étais comme un jouet entre vos mains ». C’est bien naturellement la clé de lecture du film, qui explique pourquoi Annette ressemblait à un pantin, jusque là. Ses parents, surtout Henry, ne l’ont jamais considérée comme un être humain à part entière. Elle ajoute la condamnation implacable : « maintenant, tu n’as plus rien à aimer ». Henry a beau recevoir le sort qu’il méritait, l’épilogue d’Annette est incommensurablement triste. Après tout, l’enfant est traumatisée. Elle affirme ne plus jamais vouloir chanter et préférer passer le reste de sa vie loin des projecteurs, « dans le noir », comme un « vampire ». Cela rappelle que même quand une victime s’en sort, les conséquences peuvent être désastreuses.

Annette est un film unique, presque expérimental. Il aborde des thèmes éculés, à commencer par la critique du milieu du show-business ; mais il le fait sous une forme très originale. Si le long-métrage peut presque être considéré comme un opéra, tant la musique est omniprésente ; il est difficile de réellement lui attribuer un genre. Les codes de mise en scène et les styles musicaux n’ont en effet de cesse de se mélanger. Annette est un film étonnant et même très déstabilisant, lorsqu’on le découvre. Pourtant, les spectateurs les plus observateurs ont toutes les clés en mains pour comprendre et décortiquer ce qui est raconté. Annette est ni plus ni moins un conte, dans lequel les métaphores et le symbolisme pullulent. C’est aussi une tragédie moderne, qui dénonce les crimes d’hier et d’aujourd’hui, en mettant les personnages au pied du mur. En effet, ceux-ci ont beau prédire et annoncer leur destin funeste, il s’y précipitent corps et âme…

Dossier #5 : La Chasse et Drunk | Le diptyque de Thomas Vinterberg

Il est l’heure d’ouvrir la cinquième saison du blog et pas avec n’importe quel article. J’ai décidé de parler aussi de cinéma, dorénavant. Pour inaugurer cette catégorie, j’ai choisi deux films qui me tiennent à cœur. Bien qu’ils n’aient aucun lien concret, j’ai tendance à considérer La Chasse (2012) et Drunk (2020) comme les membres d’un diptyque. Après tout, ces long-métrages danois ont été réalisés par Thomas Vinterberg et rassemblent un casting similaire : Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen ou encore Lars Ranthe. Par-dessus tout, chaque film s’attarde sur le quotidien d’un professeur au bord de la dérive. Nous allons vérifier comment fonctionne le réalisme de ces films qui, avec subtilité, interrogent et questionnent nos limites morales. Cette analyse mettra en exergue leurs points communs mais aussi leurs différences. L’ensemble de l’article devrait être accessible à toutes et à tous ; les véritables spoilers étant réservés pour la troisième partie.

Mads Mikkelsen, au Festival de Cannes, en 2012.

Bien qu’ils soient parfois sujets à débats, La Chasse et Drunk sont des films salués par la critique et plusieurs fois récompensés. La Chasse avait été nominé aux Oscars, dans la catégorie des meilleurs films en langue étrangère. Mads Mikkelsen avait remporté le prix de l’interprétation masculine, à Cannes. Drunk n’est pas en reste puisqu’il a obtenu le César et l’Oscar du meilleur film étranger.

Les deux films de Vinterberg ont des scènes d’ouverture similaires. Nous sommes plongés, in medias res, au sein de traditions danoises. Dans le premier, les membres du club de chasse n’hésitent pas à faire trempette dans l’eau glacée du mois de novembre. L’ambiance est festive et les protagonistes ont certainement bien bu. Sans surprise, le prologue de Drunk est tout aussi arrosé. Au rythme des premières notes de la chanson phare du film (What a life), des lycéens font une course rituelle, avant de semer la zizanie dans les tramways de Copenhague. Ces prologues posent bien évidemment le contexte, tout en présentant les personnages.

Dans La Chasse, Mads Mikkelsen incarne Lucas, un ancien professeur travaillant désormais au jardin d’enfants. Il semble bien intégré à la fête, et même plutôt conciliant et serviable, puisqu’il n’hésite pas à plonger dans l’eau glacée pour prêter main forte à un camarade dans le besoin. Dans Drunk, Martin (Mads Mikkelsen) est évidemment absent des festivités. Le montage coupe court à la fête pour révéler une salle des profs terne, dans laquelle la principale s’inquiète des dérives de ses élèves. Les salles de classe des quatre protagonistes du film sont alors dévoilées les unes après les autres. Si les trois amis de Martin ne respirent pas la joie de vivre, celui-ci propose des cours d’histoire particulièrement moroses et ennuyeux, qui n’inspirent ni intérêt ni respect à ses élèves.

Lucas, dans La Chasse, est un homme bien intégré. Il est apprécié par les enfants sur lesquels il veille et il fréquente régulièrement son frère Bruun (Lars Ranthe) ou la famille de son meilleur ami Theo (Thomas Bo Larsen). Néanmoins, à plus de 40 ans, Lucas est séparé de son ex-femme et de son fils. Il vit seul, avec sa chienne Fanny, et on comprend à demi-mot que cela fait jaser le reste du bourg, où tout le monde se connaît. Martin, dans Drunk, n’a même pas l’illusion que tout va bien. Alors qu’il fête les 40 ans de son ami Nikolaj (le prof de psycho, Magnus Millang) en compagnie de Tommy (le prof de sport, Thomas Bo Larsen) et Peter (le prof de musique, Lars Ranthe), il boit un verre de trop et fond en larmes. Ses collègues de travail comprennent qu’il souffre de dépression, tant à cause de la situation au lycée que de sa vie personnelle, sa femme Anika (Maria Bonnevie) étant devenue particulièrement distante.

En dépit de toutes les similitudes entre La Chasse et Drunk, une différence capitale est mise en exergue. Lucas est un homme ordinaire dont un élément déclencheur va provoquer une véritable descente aux enfers. En effet, un mensonge hasardeux de Klara (Annika Wedderkopp), la fillette de son meilleur ami, incite tout le monde à croire qu’il agresse sexuellement les enfants du jardin. Au contraire, Martin est déjà au bord du gouffre et va essayer, notamment par le biais de l’alcool, de s’en sortir… La Chasse est un film sombre et suffoquant, dans lequel l’espoir s’étiole comme au fond d’un entonnoir. Le rythme est lent et soutenu à la fois, car il ne faut même pas deux mois pour que l’existence de Lucas devienne un calvaire. L’atmosphère de Drunk est plus équilibrée, alternant entre des hauts et des bas, au cours de toute l’année scolaire (du mois d’août au mois de juin, au Danemark). Les deux longs-métrages, liés à bien des égards, vont ainsi aborder une vision des choses et des thèmes assez différents.

II. Une science socialeIII. L’analyse de scènes clésConclusion : Des œuvres amorales ?

The Last of Us (HBO) | Épisode 1

Si vous avez l’habitude de me lire, vous savez que je suis une immense fan des jeux The Last of Us, dont le premier opus est sorti en 2013, sur PlayStation 3. A moins d’être vous-mêmes prisonniers d’une zone de quarantaine depuis des années, il ne vous aura pas échappé que la chaîne américaine HBO a produit une adaptation du jeu. La série est chapeautée par Craig Mazin, le créateur de Chernobyl et Neil Druckmann, celui des jeux en question. Une telle collaboration promettait un projet ambitieux, et que j’attendais au tournant, surtout après avoir découvert la dernière bande-annonce.

Le 15 janvier dernier, le premier épisode de la série « When you’re lost in the Darkness », durant environ 1h20, est sorti aux États-Unis. Nous n’avons pas eu à attendre plus de 24h pour obtenir une diffusion française, et une VF, puisque The Last of Us peut être visionné sur Amazon Prime, sans surcoût. Si, comme moi, vous vous êtes précipités sur l’épisode 1, il est temps de revenir dessus ; afin d’analyser à quel point il peut être fidèle au jeu original, mais aussi et surtout comment il s’en détache, en bien ou en mal, mais aussi par la force des choses, puisqu’il s’agit d’un medium différent. La série est-elle plus à la portée des fans du jeu ou des néophytes ? Seul le temps le dira, mais j’ai déjà de nombreux points à évoquer.

Une série motivée par la fidélité

N’y allons pas par quatre chemins. La série s’annonce extrêmement fidèle au jeu original, au point que certains dialogues et certaines scènes soient des quasi copiés/collés. Faire une adaptation d’un jeu vidéo n’est pas un exercice aisé, surtout si l’on se réfère à un historique plutôt négatif. De nombreuses tentatives ne furent pas suffisamment fidèles au point de susciter la déception voire la colère des fans. Les jeux vidéo, portés au cinéma ou à la télévision, ont rarement brillé par leur excellence, même si les adaptations se multiplient depuis de nombreuses années. Aussi est-il compréhensible et bienvenu que Craig Mazin et Neil Druckmann aient choisi de demeurer loyaux à un matériau de base qui n’avait plus rien à prouver. Cela permet aux non gamers de découvrir une histoire bouleversante et aux autres de se laisser porter par la nostalgie.

Il faut reconnaître que la bande originale du générique a suffi à provoquer son petit effet, chez moi. Le thème du jeu est le même, à peine réorchestré. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où on retrouve toujours, à la composition, le brillant musicien argentin Gustavo Santaolalla.

Pour rappel, le jeu compte 12 chapitres tandis que la série comptabilisera 9 épisodes. Le pilote s’étend jusqu’au tout début du chapitre 3, moment où Joel, Tess et Ellie quittent définitivement la zone de quarantaine, afin de se retrouver en ville. Le choix paraît logique dans la mesure où le premier épisode comprend le prologue et tout ce qui concerne l’exposition de l’intrigue ou des personnages principaux.

Le prologue en question est fidèlement adapté puisqu’il épouse le point de vue de Sarah, la fille de Joël incarnée par Nico Parker. Alors que nous la jouions au début du jeu, la série choisit de suivre ses péripéties, jusqu’à un certain point. L’intention est évidemment de laisser penser qu’il s’agit du personnage principal, avant que n’arrive l’irrémédiable.

La fidélité de l’adaptation est telle qu’il y a de nombreuses références, comme le tee-shirt identique de Sarah, ou la mention du film Curtis and Viper 2, dont Joël regarde le DVD, le soir de son anniversaire. C’est dans The Last of Us Part II qu’Ellie confie à son amie Dinah, que Joël est fan de ce genre de films.

En parlant de Joël, celui-ci est tout de suite présenté comme un survivant, prêt à tout pour se sortir des situations les plus désespérées. Il est brillamment interprété par Pedro Pascal (Game of Thrones, The Mandalorian) mais ce n’est pas franchement une surprise. Vingt ans s’écoulent après le prologue. C’est l’occasion pour les spectateurs d’aller à la rencontre de Tess, incarnée par Anna Torv (Fringe, Mindhunter) ou des Lucioles, présentées tantôt comme des terroristes, tantôt comme un groupe luttant contre la dictature militaire. La dirigeante des Lucioles est une dénommée Marlene, interprétée par Merle Dandridge, comme c’était déjà le cas dans le jeu de 2013. Enfin, on retrouve une Ellie a priori indomptable et donc fidèle à elle-même, en la personne de Bella Ramsey, qui s’était déjà faite remarquer dans Game of Thrones. Par la force des choses, Joël et Tess sont contraints d’escorter Ellie en dehors de la zone de quarantaine. Le fil rouge est sensiblement le même, au risque de ne réserver que peu de surprise à ceux qui – comme moi – connaissent parfaitement le jeu. On peut légitimement se demander quelle plus-value va apporter l’adaptation au support originel. Heureusement, il existe déjà un certain nombre de différences.

Quelques points discutables

J’admets ne pas être convaincue par l’intérêt ou le bienfait de certaines de ces différences. Était-ce bien utile d’expliquer comment Sarah s’était procurée la montre offerte à Joël, pour son anniversaire ? On peut aussi être déçus par le traitement de Robert, qui était le premier adversaire – certes anecdotique – du jeu. Il n’apparaît véritablement que lors d’une scène, où il paraît bien ridicule face à Tess. Il se fait ensuite tuer par les Lucioles. Quoique discutable, il faut reconnaître que le choix est stratégique. La série a tant à raconter qu’on lui pardonne aisément de faire l’impasse sur l’altercation entre Joël, Tess et les hommes de Robert. De plus, ce qui fait office de niveau pertinent dans un jeu vidéo ne sera pas forcément approprié dans une série télévisée. Il est aussi plus explicite que Joël et Tess sont ensemble, puisqu’on les aperçoit dormir dans le même lit. L’information n’est pas dérangeante, quoique peu nécessaire.

Enfin, ce qui étonnera le plus les fans, c’est qu’il n’y a pas de spores contaminants et nocifs, dans la série. Les créateurs du show ont confié qu’ils préféraient utiliser les vrilles, comme moyen de contamination et de menace, afin de rendre la série plus effrayante. Pour rappel, les vrilles sont les tiges qui permettent aux plantes grimpantes de s’agripper aux murs. J’imagine qu’on les aperçoit dans le générique ainsi que dans la bouche de la vieille voisine, au début de l’épisode 1. Ma théorie est qu’il était pratique de se passer de spores, ou de masques à oxygène, afin de garder l’image plus lisible, et de ne pas toujours cacher le visage des comédiens, lors des scènes d’action. Voilà les seules différences m’ayant interpellée, plus que véritablement gênée. Autant dire que ce premier épisode n’a que peu de défauts, si ce n’est aucun.

Le développement de l’histoire et des personnages

D’autres différences sont bienvenues et même très pertinentes. Ainsi, la série débute par une introduction inédite où des savants expliquent ce qu’il se passerait si, en cas de réchauffement climatique, le champignon Cordyceps se mettait à parasiter des êtres humains plutôt que des insectes et araignées. Le prologue est aussi plus long que dans le jeu. Il prend le temps de raconter comment s’est déroulée la dernière journée de l’humanité, avant l’apocalypse. Cela apporte des informations mais permet aussi de s’attacher au personnage de Sarah, et de partager la peine de Joël.

L’épisode 1 a l’intelligence de ne montrer que peu d’infectés, pour le moment, et aucune créature, à l’exception du rôdeur mort contre le mur. Le suspense engendre une tension, comme lorsque Sarah cherche un DVD, dans l’étagère de ses voisins. La vieille dame handicapée est alors floutée, en arrière plan ; et l’on se rend compte qu’elle esquisse des mouvements étranges et saccadés. L’angoisse. Sarah ne reste pas chez elle quand tout dérape mais choisit d’aller voir ces mêmes voisins. Alors, on salue la référence faite au premier jeu Resident Evil, lorsque la vieille infectée dévore une dépouille, avant de relever la tête vers l’adolescente.

Parmi les autres nouveautés, l’intrigue ne se déroule pas en 2033 mais en 2023, tout simplement pour rendre la série plus actuelle. Un enfant inconnu arrive dans la zone de quarantaine où vit Joël. En s’apercevant qu’il est infecté, les forces de l’ordre décident de l’euthanasier. Cette scène inédite laisse comprendre la dureté de ce monde post-apocalyptique mais aussi la valeur d’Ellie, qui ne souffre d’aucun symptôme, des jours après sa morsure. La jeune fille est d’ailleurs introduite plus tôt que dans le jeu vidéo, puisqu’on la voit prisonnière de Marlene, avant qu’elle ne soit remise à Joël et Tess.

Quant à Joël, bien qu’il paraisse toujours aussi brut de décoffrage, il s’annonce peut-être plus humain que dans le jeu vidéo. On sent qu’il est très proche de son petit frère Tommy, incarné par Gabriel Luna. S’il a pactisé avec Robert, puis avec Marlene, c’est d’ailleurs pour obtenir une batterie de voiture, afin d’aller vérifier si son frère va bien. Joël semble assurément plus protecteur même si sa rencontre avec Ellie se passe mal et qu’il demeure un homme froid, traumatisé par la mort de sa fille, comme en témoigne sa hargne contre le soldat qu’il passe à tabac. En d’autres termes, la série prend le temps de développer l’histoire et les personnages, et c’est un vrai bonheur.

Une adaptation réfléchie et efficace

Enfin, d’autres nouveautés s’expliquent simplement par le fait qu’il s’agit d’un medium différent. Le premier épisode doit tout naturellement poser des pistes et des bases pour la suite. Compte tenu de la future importance de Tommy, il est crucial qu’il soit introduit assez tôt et qu’on insiste sur le lien unissant les deux frères. Je m’interroge davantage sur l’importance du plan où Sarah contemple un couteau, avec une lame gravée. Cet objet aura-t-il une utilité par la suite où ne s’agit-il que d’un parallèle émis avec Ellie, qui se défend elle-même avec un couteau ? On en apprendra davantage dans les prochains épisodes.

On comprend très tôt que Joël est un anti-héros, puisqu’il fait affaire avec les uns, et semble redouté par les autres, dans la zone de quarantaine. Il semble insensible et même opposé à la propagande mise en place par les Lucioles. Marlene fait par ailleurs mention de Riley, à Ellie, signe que les événements racontés par le DLC Left Behind seront pris en compte dans la série. Ce n’est évidemment pas une surprise pour ceux ayant regardé les bandes-annonces. Pour finir, Ellie s’aperçoit que Joël est en communication avec Bill et Frank. On peut supposer et espérer qu’on verra les deux hommes ensemble, dans la série, alors que Bill était déjà seul, lorsque Joël le retrouvait pour la première fois, dans le jeu vidéo.

L’épisode se termine avec un plan large sur les bâtiments en ruine de la périphérie, où les joueurs ont des souvenirs cuisants. Le danger est aussi annoncé aux néophytes puisque retentit une musique des années 80, dans la radio utilisée par Bill. Si l’on se réfère au code décrypté par Ellie, cela est annonciateur de problèmes. J’ai trouvé la fin un peu abrupte et sans chute véritable, mais il ne s’agit après tout que d’un épisode d’exposition. Et puis, sans doute voulais-je en voir plus, tout simplement. Vous l’aurez compris, je valide complètement le pilote de The Last of Us, et il me tarde d’être à lundi prochain, pour découvrir la suite. Je gage que la série saura contenter les fans les plus assidus, tout en restant à la portée de ceux découvrant l’histoire pour la première fois.

J’ai le projet de poster un article par semaine, sur le blog, afin de continuer les articles ordinaires, en parallèle des chroniques de cette série. On se retrouve donc jeudi prochain pour un article traditionnel, et le jeudi 2 février pour revenir sur les épisodes 2 et 3 de The Last of Us. Enfin, retrouvez les analyses de The Last of Us et de The Last of Us Part II, sur le blog.